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Nos Lecteurs ont la Parole - Carole Georges CHELHOT

Foire aux anniversaires

Il est bien révolu le temps de mon enfance, quand, pour chacun de nos anniversaires, nous préparions dans la modeste cuisine de maman un gâteau marbré. Nous nous retrouvions avec elle et, en bon chef pâtissier, elle assignait une tâche à chacun : l'un battait les œufs, l'autre y ajoutait le sucre, le suivant faisait fondre le beurre, le quatrième mélangeait farine et chocolat et le plus habile mettait la pâte dans un vieux moule à gâteau, tout simplement. Maman prenait soin, sous notre regard émerveillé, de mettre le tout dans un four bien chaud. Nous nous attroupions alors tous au tour de l'alléchant moule et, avec nos petits doigts, on s'amusait à essuyer les restes de la pâte et à nous lécher les doigts. Le soir venu, on attendait la fin du festin, pris en famille, à table. Mon père se levait, faisait un signe de la tête à maman, comme pour donner le tempo du début de la fête, et, d'un geste majestueux, mettait le gâteau à table, y plaçait soigneusement les bougies, les allumait méticuleusement, donnait le ton pour le fameux joyeux anniversaire et demandait au petit de souffler les bougies. On l'applaudissait, on l'embrassait, on le serrait, on le félicitait d'avoir passé une année et on lui présentait nos meilleurs souhaits. Le plus âgé d'entre nous se chargeait de prendre des photos souvenir avec un appareil Kodak. On remettait le cadeau au fêté : des livres de Kant, Nietzsche, Hugo, Rousseau, un dictionnaire, un jeu de scrabble, un jeu de Monopoly, un set de minivoitures Matchbox, des jumelles, un abonnement à des cours de tennis, ou de guitare, ou d'échecs, une poupée pour moi, un set de couture, de peinture, etc.
Le repas terminé, on aidait maman à ranger cuisine et vaisselle. On remerciait papa et maman pour ces beaux moments, on les embrassait, et hop ! on allait retrouver les bons bras de Morphée, toujours à la même heure, vers 20h30.
Depuis le temps de mon enfance, les choses ont bien changé par ici et pourtant, je ne suis pas si vieille, j'ai juste 50 ans.
J'habite un quartier chic et célèbre de la riche banlieue de Beyrouth, un quartier où juste la marque de la voiture dévoile votre identité. Tous les matins, en me rendant au bureau pour gagner mon pain quotidien, comme le faisait mon père et ma mère, je côtoie les chauffeurs attitrés de Madame ou Monsieur adossés à des voitures luisantes, bien astiquées par le pauvre concierge qui, en plus de sa besogne quotidienne, s'applique à laver des voitures. Ils attendent leur maître pour le conduire, non pas à son travail comme tout le monde, mais à ses réunions d'affaires, ou encore, ils attendent Madame qui doit courir à son cours de sport parce que le coach est indisponible ce jour-là.
Je rencontre les gentilles femmes de ménage toutes citoyennetés confondues, soumises, promenant les chiens ou encore chargées comme des abeilles de sacs d'école des enfants, guettant l'arrivée du bus scolaire et de pas n'importe quelle école : les plus chics, les plus chères, les plus snobs, ces écoles où on ne dispense plus de cours de catéchisme ou de leçons de vie, ces écoles où parler de religion, de Dieu, du Christ, d'Allah est sujet tabou. Ces écoles où on n'éduque plus, mais on enseigne seulement, où le principe de l'égalité est désuet, où le port du costume scolaire est dépassé,.
J'habite un quartier où il n'y a plus de balcons, ils sont vitrés. Juste des terrasses et pas n'importe lesquelles. Des terrasses pompeuses où sont bien implantées des jacuzzis géants regorgeant d'eau claire, malgré la pénurie, sur des plateformes illuminées de toutes les couleurs, sans esprit, comme des pistes d'aérodrome sans avion, agrémentées de palmiers, enjolivées de bananiers, décorées d'un bar où de l'alcool coulera à flots. Des terrasses transformées en sky bar où des fauteuils de marque vous invitent à vous prélasser sous le soleil chaud d'un été qui ne finira pas de vous ennuyer, à vous vautrer par manque d'activités lucratives. Le tout évidemment enrichi d'un système de son assourdissant, bruyant, perçant, strident, avec de la musique désagréable, discordante, criarde, qui ébranle vos murs, secoue vos vitres, choque votre âme et perce vos oreilles. Il est bien loin, le temps de Aznavour, Brassens, Bécaud, Piaf, Montand, Mozart et Chopin. Et tu es bien loin, papa.....
Des terrasses où on célèbre des anniversaires à tout moment de l'année. On se contente de vous envoyer une notice de dernière minute avec le concierge pour vous aviser que cette nuit, hélas, malgré votre dure journée, votre fatigue, vos soucis, votre épuisement, vous ne pourrez pas vous prélasser chez vous, vous ne sauriez pas vous détendre, vous ne vous permettrez pas de vous reposer, vous ne dormirez pas tout simplement. La musique battra à fond, on invitera le Conservatoire national ou encore un chanteur banal et vulgaire pour animer un assourdissant karaoké. Le champagne coulera à flots, une énorme pièce montée fera la joie des affamés et des feux d'artifice souligneront l'occasion pour vous épater.
Alors, vous essayez de négocier non pas l'arrêt de la batterie ou de la cérémonie très prestigieuse, mais juste l'ajustement du volume de celle-ci pour au moins pouvoir rester chez vous. Vous envoyez à votre voisin chic et célèbre des messages affables, polis, civilisés sur son portable pour lui souligner votre malaise, en vain. Vous essayez de l'appeler, mais il n'entend pas sonner. Vous décidez d'envoyer le pauvre concierge lui remettre votre message courtois. Il le renvoie, sans plus. Alors vous décidez de lui parler affablement, poliment, civilement, courtoisement. Et là, votre voisin, aussi charmant qu'il soit, se met en colère. Non seulement Monsieur chic et célèbre n'entend pas baisser le volume de sa cacophonie, mais en plus il vocifère son chapelet d'insultes les plus éculées, les plus humiliantes. Vous vous dépêchez alors, par respect de vous-même et de l'éducation de votre père, de fermer votre vitre. Vous appelez les gendarmes, Monsieur a le droit de vous déranger jusqu'à minuit, a le droit de vous priver de votre droit le plus élémentaire, celui de rester chez vous, jusqu'à minuit. Mais Monsieur n'a pas le droit de vous calomnier, de vous diffamer, de vous dénigrer, de vous humilier et de vous insulter. Alors, vous portez plainte et vous obtenez gain de cause, oui, gain de cause, même au Liban, pour avoir été insulté, diffamé calomnié. Votre voisin est invité au poste de police. C'est insultant pour un homme aussi chic et célèbre de se faire traîner au « caracol », c'est humiliant pour ce fameux directeur de je ne sais quelle entreprise de se faire sermonner, c'est même dégradant pour cet habitant d'un fameux quartier, de se faire réprimander, mais c'est comme cela, lorsqu'on insulte publiquement son voisin de quartier.
Désormais, votre voisin saura garder ses limites et regrettera le temps de mon père, le temps de mon enfance où, pour les anniversaires, on se contentait d'un bon gâteau marbré.

Carole Georges CHELHOT

Il est bien révolu le temps de mon enfance, quand, pour chacun de nos anniversaires, nous préparions dans la modeste cuisine de maman un gâteau marbré. Nous nous retrouvions avec elle et, en bon chef pâtissier, elle assignait une tâche à chacun : l'un battait les œufs, l'autre y ajoutait le sucre, le suivant faisait fondre le beurre, le quatrième mélangeait farine et...

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