En moins d'une semaine, quatre soldats ont annoncé avoir déserté l'armée libanaise pour rejoindre les groupes terroristes. La dernière en date est celle du soldat Abdel Menhem Khaled qui apparaît dans une vidéo, diffusée hier par l'État islamique. Exhibant sa carte militaire, il annonce sa défection de « l'armée de croisés et de rafidi (chiites, NDLR) », avant de prêter allégeance à l'émir de l'EI. « L'armée humilie les sunnites », déclare-t-il, lisant un texte entre les mains. Devant un drapeau de l'EI, il qualifie le secrétaire général du Hezbollah de « criminel, meurtrier et menteur ». Le soldat déserteur dénonce également en substance une subordination des soldats à des autorités exclusivement chrétiennes. Il souligne enfin que « l'armée est formée de chrétiens, de chiites et de druzes », excluant les sunnites qu'il appelle d'ailleurs à suivre son exemple et déserter l'institution.
Ces défections successives sont-elles des actes isolés, ou portent-elles les germes d'une division dans les rangs de l'institution militaire ? Sont-elles pour le moins suffisantes pour dénoter un malaise au sein de l'armée, dans le prolongement de la frustration générale de la rue sunnite ?
Toutes les parties interrogées par L'Orient-Le Jour, y compris les plus critiques à l'égard de la troupe, s'entendent à rejeter les propos sur un risque de division au sein de l'armée. Tous confirment tout autant l'allégeance sunnite à l'institution militaire.
Ceci n'empêche pas une lecture objective des « déséquilibres » qui alimenteraient le malaise sunnite, y compris au sein de l'armée. Pour l'instant, toute réserve susceptible d'égratigner le moindre comportement lié à l'institution militaire est écartée du discours du courant du Futur, en vertu d'instructions claires et fermes de l'ancien Premier ministre Saad Hariri.
Le bloc du Futur, réuni hier, a pris une position qui s'aligne parfaitement avec la position des sources militaires sur la question des désertions. Dans le communiqué de la réunion, il a stigmatisé « les rumeurs qui amplifient les cas de désertion de l'armée, qui sont des cas isolés ne bénéficiant ni d'une couverture politique ni d'une couverture populaire ».
(Lire aussi : En finir de Daech impose le renversement préalable du régime d'Assad)
« Des ex-soldats, mais pas des dissidents »
Le Futur et l'armée s'accordent à dénoncer « une exagération médiatique de ces cas ». Même au niveau de la sémantique, ils s'entendent à qualifier les soldats de « déserteurs », ou « ex-soldats », mais non de « dissidents ».
Une source militaire autorisée est intransigeante sur ce dernier point. « Ces hommes ne font plus partie de l'armée », déclare-t-elle à L'OLJ, soulignant que les quatre déserteurs avaient « fui l'armée plusieurs mois avant d'annoncer leur soi-disant défection ».
« Perdus de vue sans qu'il y ait moyen de les poursuivre, ils ont fait l'objet de jugements émis par contumace par le tribunal militaire, les expulsant de l'armée », explique-t-elle. « Les cas de fuite, ou de désertion sont chose courante, et ne relèvent ni des circonstances sécuritaires ni de l'appartenance communautaire du déserteur en question », ajoute la source, qui fait état surtout de « troubles psychologiques, comportementaux ou disciplinaires » qui en seraient la principale cause. Néanmoins, au regard des circonstances actuelles, les déserteurs sunnites seraient « une cible-clé pour les organisations terroristes, qui pourraient les séduire par divers moyens, même les kidnapper », ajoute la source. Mais quelle autorité est responsable d'enquêter sur ces possibles enlèvements? La source précise que cette responsabilité relève des services secrets de l'armée et s'abstient de toute évidence de préciser les démarches de l'enquête.
Jisr
Pour le député Samir el-Jisr, président de la commission de la Défense et membre du bloc du Futur, « ces cas anormaux, qui ne dépassent pas les cas de désertion individuelle, ne sont en aucun cas constitutifs d'un phénomène de désertion, et encore moins de dissidence de la composante sunnite de l'armée ». Il rejette avec certitude les craintes d'une division dans les rangs de l'armée à l'occasion de nouveaux combats avec les groupes terroristes. « Pareille division nécessiterait une profonde division politique dans le pays, voire un état de guerre intérieure, ce qui est loin d'être le cas actuellement », affirme-t-il à L'OLJ. Il répond en outre par la négative à la question de savoir si la commission parlementaire de la Défense aurait un rôle à jouer à ce niveau.
Merhebi
Le député du Akkar, Mouïne Merhebi, membre du bloc du Futur, dénonce « la politique des deux poids, deux mesures » qui ébranle le moral des militaires sunnites. Cette politique s'appliquerait autant aux nominations et avancements internes qu'au comportement externe de l'armée à l'égard des citoyens. S'il relève la « justesse politique de la réaction du bloc du Futur aux cas de désertion », il y apporte une précision : « Ces désertions sont un indicateur de ce qui pourrait se préparer. » Mais rien ne présage, selon lui, d'une tendance sunnite à se rallier au terrorisme. « Preuve en est, jamais les déserteurs ne rentrent chez eux. Ils disparaissent avant d'annoncer leur désertion », conclut-il.
Lire aussi
Face à la tentation jihadiste, le « niet » du sunnisme libanais
Les poursuites contre cheikh Hojeiri, une entrave aux négociations sur les otages ?
Ahdab aux sunnites du cabinet : Pourquoi acceptez-vous d'être les instruments du Hezbollah ?
commentaires (5)
JAMAIS ENTENDU UN RAISONNEMENT PAREIL...
LA LIBRE EXPRESSION
20 h 21, le 16 octobre 2014