Rechercher
Rechercher

Liban - Éclairage

Tripoli : comment découpler modération et frustration sunnites ?

Tripoli s'attache à son symbole de convivialité et de civilisation, comme ici, lors du bikeathon organisé en mars dernier. Photo d'archives

La frustration de la rue sunnite n'est minimisée par aucune partie. Mais il existe des divergences de points de vue sur les effets de cette frustration : se muera-t-elle inévitablement en fanatisme religieux ? Et comment la gérer ?
Il serait utile d'observer, en guise de réponse, les réactions à l'émergence du groupe mené actuellement par deux islamistes fugitifs, Chadi al-Mawlawi et Oussama Mansour, qui ont établi un fief plus ou moins sécurisé dans le quartier de Bab el-Tebbané, à Tripoli.


Pour le membre du bureau politique du Futur, l'ancien député Moustapha Allouche, ce groupe pose « un problème qui reste pour l'instant limité ». Il indique ainsi à L'Orient-Le Jour que le groupe en question « ne compte pas plus de quarante éléments », c'est-à-dire qu'il n'est pas en voie d'expansion. Il existerait plusieurs raisons à cet immobilisme. L'ancien député relève « la crainte du groupe d'être infiltré par des agents ». Mais il y voit en même temps un signe de la difficulté pour un groupe ayant prêté allégeance au Front al-Nosra de rallier des éléments fidèles, même à l'intérieur de Bab el-Tebbané. « Il est plus correct d'affirmer que la rue sunnite est sensible aux arguments des fanatiques, non qu'elle leur offre véritablement un terrain fertile », relève-t-il, dénonçant « des impressions véhiculées loin des faits ».
Ainsi, l'envergure actuelle du groupe Mawlawi-Mansour est « exagérée par les médias qui contribuent en quelque sorte à entraver son éventuelle éradication ». Mais une solution est nécessaire, aussi limité soit le problème, souligne Moustapha Allouche. Dans ce cadre, il existerait deux options. « Si le groupe incarne un projet fanatique, toute tentative de dialoguer avec lui est vouée d'avance à l'échec, les fondamentalistes étant enclins à gagner du temps en attendant le changement de la situation », souligne-t-il, revenant sur l'échec des médiations du comité des ulémas auprès du groupe Mawlawi-Mansour. Si, au contraire, il s'avère que « ce groupe a une entité propre », dans le sens qu'il tend à véhiculer une part des griefs sunnites, avec à l'appui la menace de recourir à la violence, alors « il faudra trouver une issue ».
Cette issue pourrait prendre la forme d'un « compromis, ou d'un arrangement », comme celui par exemple de les inciter à fuir, en renonçant en contrepartie à toute poursuite judiciaire. Cette option nécessiterait toutefois de resserrer l'étau sur le groupe en question. L'enjeu de causer « le moins de dégâts » est à prendre en compte là aussi – les compromis étant peut-être ce qui préserve aujourd'hui l'entité libanaise.

 

La main visible des services secrets
Moustapha Allouche endosse sur ce point les arguments d'ordre technique et stratégique avancés par des sources sécuritaires sur la difficulté de mener une opération militaire contre le groupe en question : l'étroitesse du quartier aux bâtisses précaires et surpeuplées qui entoure la base du groupe ; le refus de la méthode de destruction arbitraire qui avait été appliquée à Nahr el-Bared, d'une part à cause de l'incapacité de l'État à dédommager les habitants et, d'autre part, à cause du « risque d'exacerber la frustration sunnite ».
Or la démarche du Futur viserait pour l'instant à contenir cette frustration en maintenant son discours de non-violence et d'allégeance à l'État, y compris à l'armée, en dépit de l'impopularité de ce discours. « Il existe une frustration sunnite mais aussi une frustration chiite, et libanaise d'une manière générale », relève-t-il.
Cette frustration serait propice à la manipulation par les services secrets. S'agissant ainsi du groupe Mawlawi-Mansour, Moustapha Allouche n'écarte pas la possibilité qu'il soit « fabriqué par les services secrets ». « Sur la base de mon expérience, je dirais qu'il est fort probable que ce groupe soit maintenu délibérément en vue d'être utilisé éventuellement, et pas forcément par le Front al-Nosra, mais par des parties qui théoriquement combattent ce groupe, à savoir le Hezbollah, ou le régime syrien et ses alliés », a-t-il conclu.

 

Ahdab : « La modération du Futur, une bêtise et une trahison »
L'ancien député de Tripoli, Misbah Ahdab, adopte une partie de ce discours. Il évoque ainsi « une frustration libanaise, et pas seulement sunnite, qui est la recette idéale d'une confrontation à l'intérieur du Liban, et d'un ébranlement profond de la structure libanaise ». Sans contester la démarche intégratrice du courant du Futur, ni son appui à l'armée, il met en doute toutefois, non sans virulence, la capacité de la politique de ce courant à assumer la modération qu'il entend représenter. « La modération sunnite qui veut combattre le terrorisme est incompatible avec la couverture que le Futur accorde au Hezbollah au sein du gouvernement », déclare-t-il à L'OLJ. « Cette couverture relève de la trahison et de la pure bêtise, mais pas de la modération », assène-t-il. Il revient avec insistance sur les « 10 000 mandats d'arrêt émis arbitrairement contre des sunnites de Tripoli dans le cadre du plan de sécurité » et dément catégoriquement l'abolition d'un grand nombre de ces mandats par le gouvernement. Il dénonce en outre le déséquilibre régional dans la distribution des fonds aux municipalités.


Le discours de récupération de la base sunnite de Misbah Ahdab reste donc compatible avec la modération dont il est une figure à Tripoli, mais une modération qu'il veut plus pragmatique et plus dynamique que celle du Futur. L'approche qu'il a choisi d'adopter par rapport au groupe Mawlawi-Mansour reflète cette forme d'équilibre. Ainsi, il avait pris l'initiative de se rendre chez les deux islamistes fugitifs « afin de les écouter ». Mais il s'abstient de rapporter la teneur de leurs échanges, veillant à ne pas se positionner en tant que porte-parole de ce groupe. Il s'étonne d'avoir été lui-même traité de fondamentaliste à l'issue de cette rencontre. Il met en garde contre « l'existence de 10 000 Chadi Mawlawi », soulignant que ce dernier avait été détenu « injustement » pendant deux ans entre 2007 et 2009. Toutefois, il s'abstient de révéler son opinion sur une éventuelle opération militaire qui mettrait fin au groupe en question. Son inquiétude porte surtout sur « la probabilité de résurgence d'un 21e round à Tripoli ».


Entre-temps, le mufti de Tripoli et du Liban-Nord, cheikh Malek Chaar, prépare un congrès pour Tripoli, qui doit regrouper des personnalités civiles, politiques et religieuses de tout le Nord. Un congrès pour une consolidation progressive de la modération « que nous représentons », déclare-t-il à L'OLJ. L'intégralité de son interview sera publiée demain.

 

Pour mémoire
Tripoli : le groupe Maoulawi-Mansour, « un mal plus médiatique que réel », pour l'instant

Face aux foyers de tension potentiels, la vigilance est de mise, le décryptage de Scarlett Haddad

La frustration de la rue sunnite n'est minimisée par aucune partie. Mais il existe des divergences de points de vue sur les effets de cette frustration : se muera-t-elle inévitablement en fanatisme religieux ? Et comment la gérer ?Il serait utile d'observer, en guise de réponse, les réactions à l'émergence du groupe mené actuellement par deux islamistes fugitifs, Chadi...

commentaires (2)

LES FRUSTRATIONS RÉPÉTÉES, LOCALEMENT ET RÉGIONALEMENT, SONT LES MÈRES DES EXTRÉMISMES ! L'ANALYSE OBJECTIVE COMMENCE ET PART DE LÀ...

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 51, le 10 octobre 2014

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • LES FRUSTRATIONS RÉPÉTÉES, LOCALEMENT ET RÉGIONALEMENT, SONT LES MÈRES DES EXTRÉMISMES ! L'ANALYSE OBJECTIVE COMMENCE ET PART DE LÀ...

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 51, le 10 octobre 2014

  • Ceux qui veulent transformer Tripoli en Qandahar ne comprennent pas la moderation. Ca ne fait pas partie de leur logique destructrice.Ils ne comprennent uqe le le language du sang et de la mort.

    Gerard Avedissian

    13 h 13, le 10 octobre 2014

Retour en haut