À Yarzé, ce qui fut la forêt de mon enfance

Ceux qui ne connaissent pas la forêt de Yarzé ne peuvent comprendre le déchirement qu'on ressent suite à l'incendie qui a ravagé il y a un mois, jour pour jour, tous ces espaces verts. De tout temps, pour nous, fils de Baabda et de la région, Yarzé était notre lieu privilégié de promenade, parmi les pins, une végétation abondante, et le gazouillis des oiseaux. On respirait les parfums de la nature, s'engageant sur des sentiers encore en terre, loin de toute pollution, on cueillait des cyclamens, des pâquerettes et des anémones. Que de beaux souvenirs! Il n'y avait encore à Yarzé que quelques belles villas bien blotties au milieu des arbres, des plantes et des fleurs grimpantes. Au début des années 60, les sœurs clarisses ont choisi cet antre de la nature pour installer le monastère de l'Unité, lieu de silence et de recueillement parfaitement intégré à l'environnement.
Avec les années de guerre de 1975, la forêt a subi des bombardements sauvages qui ont meurtri sa nature, touché ses villas et le monastère de l'Unité. Mais la vie et la nature ont repris le dessus.
Puis ce fut la vague de construction, l'asphalte et le béton qui se mirent à grignoter jour après jour le vert de cette forêt, unique poumon d'oxygène de la capitale. Les immeubles, certes, sont de haut standing, mais la majorité d'entre eux ne respectent pas pour autant les normes établies pour cette zone résidentielle. Et si la frénésie de constructions se poursuit au même rythme, on se demande s'il restera un coin de verdure alors que toute la promotion immobilière vante les charmes des lieux !... Qu'en sera-t-il de ces charmes dans quelques années ?
La forêt de Yarzé n'en demeure pas moins notre lieu de promenade privilégié, même si, entre-temps, on a perdu les sentiers en terre et une belle route piétonne. Mais on peut toujours admirer du haut de cette colline un merveilleux coucher de soleil et avoir de belles perspectives de vue sur Beyrouth, et respirer un air frais... L'affluence des marcheurs quotidiens se poursuit en plus des habitués du Country Club, construit de longue date, et du Yarz Club, plus récent. C'est dans ce cadre enchanteur que Yarzé accueille plusieurs résidences d'ambassadeurs et même des chancelleries, les diplomates étant attirés par le calme et le vert des lieux.
Non loin de Yarzé, la région abrite un autre lieu idéal de promenade au cœur de la nature : l'espace en contrebas de la route qui mène de Baabda vers le collège Notre-Dame de Jamhour, qui longe le chemin de fer et qui est connu sous le nom de Khandak al-Rehban, car il est la propriété des moines du monastère des pères antonins de Baabda. Cette vallée protégée, réputée pour la diversité de sa biosphère, est une importante réserve gérée par l'ONG Terre Liban. Les ravages de l'incendie du lundi 5 mai y furent dramatiques.
Les voix qui se sont élevées pour dénoncer et condamner le retard mis à éteindre les flammes sont totalement justifiées, d'autant que cette lourde faute a permis au feu de s'étendre de Wadih Chahrour à Beit Chay, puis à Khandak al-Rehban, pour atteindre la forêt de Yarzé en plusieurs endroits. Quid aussi de l'origine de cet incendie ?
Le mal est fait... Mais au moins que cette perte immense d'espaces vitaux serve de leçon à tous les responsables en vue de prendre les mesures adéquates pour protéger ce qui reste de vert dans le pays du Cèdre, entièrement couvert de forêts, autrefois. Conjuguons aussi nos efforts pour redonner aux lieux incendiés leur éclat et leur fonction tant nécessaire à l'équilibre climatique et écologique du pays...