Rechercher
Rechercher

Diaspora - Interview

De Niha à Princeton, le parcours exceptionnel de Bernard Haykal

Considéré comme une autorité en matière de droit islamique, d'histoire de l'islam, du mouvement salafiste, et spécialiste de l'Arabie saoudite, Bernard Haykal a accordé cet entretien exclusif à « L'Orient-Le Jour ».

Bernard Haykal.

Bernard Haykal a le vent en poupe. Professeur d'études du Moyen-Orient et directeur de l'Institut d'études transrégionales du Moyen-Orient contemporain, d'Afrique du Nord et d'Asie centrale à l'Université de Princeton, son activité académique est intense. Il écrit beaucoup, enseigne beaucoup et dirige une dizaine d'étudiants qui préparent leur doctorat. Il organise également des séminaires internationaux dont, tout récemment, un en coordination avec l'académicien franco-libanais Amin Maalouf. Il est l'auteur de deux ouvrages, le premier sur le salafisme qui vient d'être traduit en arabe et publié à Beyrouth par Dar el-Jadawel, et le second sur l'Arabie saoudite. Il s'attelle à deux autres ouvrages sur ces deux thèmes.


Dans une interview accordée à L'Orient-Le Jour à New York, Bernard Haykal se dit «à la fois américain, français et libanais». Il se définit comme «un historien de formation ayant des intérêts en économie politique». «Je m'intéresse au droit islamique, au mouvement intellectuel et politique, à l'histoire de l'islam et à l'histoire contemporaine», dit-il. Son champ d'action s'étend aussi à la Syrie, au Liban et aux États Unis. «Je suis de très près la politique moyen-orientale américaine, précise-t-il. J'ai des contacts à Washington où je me rends souvent pour discuter de ces sujets avec des responsables du gouvernement.»

 

(Pour mémoire : Amin Maalouf à « L'OLJ » : « J'évite de dire je suis citoyen du monde parce que c'est prématuré »)

 

L'élan du 11 septembre
Son expertise le hissera dans les hautes sphères politiques et médiatiques deux jours après les événements du 11 septembre. Il a alors 33 ans. Un des rares aux États Unis à très bien connaître le salafisme et el-Qaëda, Bernard Haykal est contacté par la chaîne américaine CNN afin d'analyser les raisons pour lesquelles les responsables de ces attentats ont agi. Il suggère alors comment réagir. Devenu soudain incontournable auprès des médias et des hommes politiques britanniques et américains, ce spécialiste reçoit, à sa grande surprise comme il le dit lui-même, «un appel téléphonique du Premier ministre britannique Tony Blair». Ce dernier le sollicite pour «travailler avec son bureau afin de l'aider à répondre à ces événements».
Une activité intense marque cette période. Bernard « lit les discours du Premier ministre britannique et les commente ». Il publie aussi de nombreux articles dans le New York Times et d'autres médias internationaux. « J'ai connu un grand élan à la suite du 11 septembre», dit-il. Pure coïncidence? «Je crois que c'est pour cette raison que les professeurs de Princeton m'ont repéré», estime-t-il. Sa contribution est tout aussi importante pour le nouveau musée commémoratif qui vient d'être inauguré au «Groundzero» (site où se trouvaient les tours jumelles, détruites au cours de l'attentat).

 

« Fier d'être libanais »
Né à Beyrouth en 1968, Bernard Haykal se dit « fier d'être libanais et de ses racines ». « Je suis originaire de Niha, un petit village dans les montagnes de Batroun, près de Tannourine, dont les habitants ont choisi d'émigrer en Guadeloupe, en Australie et au Canada, dit-il. Mon père est libanais d'origine, né en Guadeloupe où il a vécu jusqu'à l'âge de 18 ans. Après des études de médecine à la faculté de Paris, il se spécialise en chirurgie aux États-Unis. C'est à New York qu'il rencontre ma mère, qui était une infirmière de nationalité polonaise. »


La vie du couple connaîtra un profond changement lors de leur lune de miel au Liban, quand ils demandent d'y rester. Après avoir travaillé à l'Hôpital Rizk à Achrafieh, son père construit l'hôpital Haykal à Tripoli qui a été détruit en 1975. Il sera ensuite reconstruit. En 1984, un incident sécuritaire marque le départ de la famille Haykal à nouveau pour les États Unis. Bernard finit ses études secondaires à Miami, et intègre l'Université de Georgetown pour des études en relations internationales où il obtient de « très bonnes notes ». Ne pouvant s'engager dans le corps diplomatique américain, «en période de guerre froide» et «avec trois nationalités», sa vie professionnelle prendra un tournant académique.

 

Oxford, NYU, Princeton
C'est à l'Université d'Oxford que Bernard rencontre « le fameux Albert Horani, le grand historien anglais d'origine libanaise », qui lui ouvre la voie. Il y décroche trois diplômes: deux maîtrises et un doctorat. Il obtient aussi la bourse Fullbright. Il se rend ensuite au Yémen où il étudie l'histoire du mouvement salafiste. Après le doctorat, il remporte le prestigieux «Price Fellowship » à Oxford, au Collège de Magdalena. Il s'embarque dans l'enseignement d'abord à Oxford puis à l'Université de New York (NYU) où il intègre le département d'études du Moyen-Orient. Il sera « titularisé » huit ans plus tard. Le parcours qu'il suivra ensuite à l'Université de Princeton est jalonné de succès. Il devient «full professor» en charge du département du Proche-Orient et du monde islamique, qui a été fondé par le célèbre historien libanais Philip Hitti. Il occupe le poste de directeur de l'important Institut d'études transrégionales qui, comme il le dit lui-même, «couvre les questions du jihad, du pétrole, de l'énergie et des relations avec les États-Unis».

 

Syrie : une « proxy war »
Comment lit-il la guerre en Syrie? «Cette guerre, qui a commencé comme une révolution arabe à l'instar de celles de Tunisie, de Libye, d'Égypte, du Yémen et encore de Bahreïn, est devenue une guerre civile, estime-t-il. Tout comme la guerre du Liban, il s'agit d'une » proxy war «où les forces internationales et régionales subventionnent, financent, et arment les différentes parties». «La tragédie syrienne va se poursuivre à long terme, car elle convient à beaucoup d'États et de puissances régionales et internationales», juge-t-il.
Quel risque pour le pays du Cèdre? «Le mouvement el-Qaëda est présent au Liban, tout comme en Syrie et en Irak, affirme-t-il. S'il se trouve bloqué en Syrie, il fera la guerre à ses ennemis, les chiites et à toutes les forces alliées à l'Iran, et aussi à tous les laïcs et les sunnites modérés. » Faut-il s'en inquiéter ? « La guerre syrienne est en effet une guerre inquiétante, dit-il. La grande crainte est que les réfugiés syriens au Liban risquent, tôt ou tard, à l'instar des Palestiniens après la création de l'État d'Israël, de se radicaliser parce qu'ils n'ont plus rien à perdre. Mais si les forces régionales, à savoir l'Arabie saoudite, l'Iran, les États-Unis et la Russie, trouvent qu'il est convenable que le Liban reste calme, il le restera. »

 

Exode des chrétiens d'Orient
Pour ce spécialiste, « l'éveil de l'islam des années 70, qui s'exprime par une radicalisation extrême des mouvements islamistes, est maintenant dans sa dernière phase ». « En raison de cette radicalisation, tous les modérés ou ceux qui appartiennent à d'autres religions – tels que les chrétiens ou les laïcs d'Irak ou de Syrie – se trouvent mal à l'aise de rester dans ces pays, dit-il. La grande tragédie de l'époque moderne est l'exode des chrétiens d'Irak et de Syrie. » Doit-on s'en inquiéter ? « Oui absolument, répond-t-il. Je crois que la diversité est la richesse d'un pays. Lorsqu'il n'y a pas de diversité religieuse, sociale ou économique, il y a un appauvrissement. Les pays sont alors moins capables d'être productifs et moins compétitifs. »


« Le Liban pourra devenir comme le Qatar »
Expert en énergie, Bernard Haykal jette un regard sur les riches ressources énergétiques du bassin méditerranéen. Cet enjeu stratégique changera-t-il la donne ? Le Liban connaîtra-t-il une nouvelle ère de prospérité ? « Si l'on délimite bien les frontières maritimes, le Liban, comme d'ailleurs Israël, pourra profiter largement de son grand gisement gazier, estime-t-il. Il pourra devenir énergétiquement indépendant et exporter ses ressources. Le Liban pourra devenir comme le Qatar. On n'en est pas encore là, à cause des problèmes intérieurs et aussi parce qu'on n'a même pas commencé à exploiter ces ressources. Pour cela, il faut avoir de la stabilité. Il faudra attendre encore longtemps, au moins dix ans, entre le début de l'exploitation et l'exportation. Israël est, en tout cas, le seul pays à avoir déjà mis en place l'infrastructure nécessaire. »

Bernard Haykal a le vent en poupe. Professeur d'études du Moyen-Orient et directeur de l'Institut d'études transrégionales du Moyen-Orient contemporain, d'Afrique du Nord et d'Asie centrale à l'Université de Princeton, son activité académique est intense. Il écrit beaucoup, enseigne beaucoup et dirige une dizaine d'étudiants qui préparent leur doctorat. Il organise également des...