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Liban - Société

La Fondation Adyan : quand citoyenneté rime avec diversité

À qui appartenons-nous ? À un pays, une religion ou une culture ? Depuis 2006, la Fondation Adyan tente de prouver que la question ne se pose pas vraiment.

Adyan signant un accord avec le ministère de l’Éducation, au profit de ses quatre départements : Éducation et coexistence, Productions médias et films, Solidarité et réconciliation et Études interculturelles.

À bien des égards, le dialogue interreligieux au Liban n'est pas chose acquise. Dans un pays miné par les appartenances religieuses étroites sur fond d'appartenances partisanes conflictuelles, où cohabitent tant bien que mal 18 communautés qui se sont battues des années durant avant d'enterrer la hache de guerre à regret sans avoir assouvi leurs vicieux désirs de victoire, le dialogue interreligieux reste un sujet épineux. Autrefois perdue, la volonté de coexistence n'a en effet toujours pas été retrouvée, les souvenirs de la guerre étant bien trop présents dans la mémoire collective des Libanais. Et si aborder le dialogue reste chose difficile, œuvrer pour un partenariat véritable entre les composantes libanaises relèverait plutôt de l'illusoire.


C'est pourtant le défi que s'est lancée la Fondation Adyan, depuis 2006, décuplant les efforts «afin de consacrer une véritable solidarité interreligieuse dans le pays, et aboutir à une gestion positive de la diversité culturelle et religieuse au Liban et dans la région», comme l'explique l'un de ses fondateurs et président, le père Fady Daou. Et au cœur de cette ardue besogne à laquelle s'adonne la fondation, une question-phare: comment concilier citoyenneté et appartenances religieuses au sein d'une société pluraliste telle que la nôtre?
«Il s'agit d'un travail que menaient les cinq fondateurs d'Adyan il y a bien des années, mais qui s'est concrétisé en 2006 avec la création de l'organisation, qui est devenue le cadre pour mener des études interreligieuses et permettre une connaissance mutuelle et une solidarité spirituelle au Liban entre les différentes composantes, explique le père Daou. C'est plus qu'un simple dialogue. Il s'agit d'un travail beaucoup plus approfondi. Ici, c'est une quête de vérité pour aboutir à cette solidarité longtemps rêvée, afin de pouvoir travailler ensemble pour une cause commune.»


Religion, intégration, cohésion sociale ou encore citoyenneté, autant de thèmes récurrents au sein de la Fondation Adyan qui regroupe chrétiens et musulmans, et qui adopte une hiérarchie toute particulière afin de mener à bout ses différents projets visant le Liban et la région euro-arabe. En tout, quatre départements indépendants collaborent au succès de ce combat difficile, le premier étant celui de l'Éducation scolaire pour la coexistence, autant il est nécessaire d'instaurer cette culture du vivre-ensemble parmi les nouvelles générations en premier lieu.

 

Citoyenneté inclusive et développement pédagogique
Pour trouver ce lien entre diversité religieuse et citoyenneté au Liban, «où se manifeste un problème au niveau de l'identité nationale et de la gestion de la diversité religieuse», le père Daou explique avoir développé au sein de la fondation un concept de citoyenneté inclusive, «pour remettre l'accent sur la citoyenneté comme cadre englobant la diversité en tant que finalité, afin d'aboutir à un véritable partenariat».


«Nous avons ensuite tenté d'introduire cette notion dans les écoles, en partenariat avec le ministère de l'Éducation, explique alors Hoda Barakat, directrice du département de l'Éducation scolaire pour la coexistence. Nous travaillons en fait sur le développement conceptuel, la réforme des livres scolaires, la création de clubs Adyan dans les écoles et la sensibilisation des jeunes à la notion de coexistence entre les religions, dans le cadre d'un accord que nous avons signé avec le ministère de l'Éducation. Au niveau pratique, nous avons revu tous les livres officiels libanais d'éducation civique, de sociologie et de philosophie, essayant de voir combien les notions de vivre-ensemble et d'héritage national diversifié y étaient présentes.» Et de poursuivre: «Avec les principaux acteurs du secteur éducatif, nous avons œuvré aussi pendant plus de deux ans à l'élaboration d'une charte nationale pour l'éducation au vivre-ensemble au Liban, un document de base sur la réforme pédagogique, qui est le fruit d'une concertation avec les responsables du secteur de l'éducation, les enseignants, les élèves eux-mêmes et leurs parents.»


«L'application de ce document se fait avec l'aide du ministère», ajoute Hoda Barakat, qui explique en outre que la Fondation Adyan a développé un curriculum auxiliaire transversal pour toutes les années scolaires et intégrable à différentes matières, et qui comporte des notions essentielles liées au concept de citoyenneté inclusive et de coexistence. «Ce curriculum doit être pris en considération pour tout développement ultérieur des programmes scolaires, en fonction de notre accord avec le ministère», fait remarquer la responsable.

 

Quand le printemps arabe réveille les différences interculturelles...
Forte de son expérience scolaire auprès des jeunes et au Liban, la Fondation Adyan n'a pas daigné se limiter au pays du Cèdre. «Avec le début des révolutions arabes, des problèmes d'un tout autre genre sont apparus, explique pour sa part Nayla Tabbara, responsable du département d'Études interculturelles. De nouvelles questions se posent dans les pays arabes où vivent plusieurs communautés. Ces questions sont en relation avec la présence des minorités, leur avenir, et celui de la diversité religieuse, ethnique, culturelle et linguistique dans le monde arabe. Et c'est là que nous intervenons pour tenter de faire prévaloir un autre concept en ce qui concerne la région arabe, celui de la citoyenneté interculturelle, par le biais d'un projet de formation d'éducateurs et de décideurs dans dix pays arabes sur la citoyenneté interculturelle, et pour aboutir à l'élaboration d'un manuel d'éducation en ce sens.»


Et de poursuivre: «Il y a besoin d'expliquer que la citoyenneté est un cadre où l'on peut gérer la diversité, que celle-ci est une source d'enrichissement pour l'identité nationale et qu'elle n'est pas en conflit avec elle. On peut être égyptien et copte au même titre, sans que les deux s'opposent par exemple. La question "Quelle appartenance dois-je avoir, religieuse ou nationale?" ne doit pas se poser, car les deux appartenances ne sont pas en conflit et l'enseignement à l'éducation citoyenne ne doit pas exclure la religion et les appartenances spécifiques, religieuse, culturelle ou autre.» «Au Liban, nous avons longtemps essayé de vendre ce concept de fusion avec l'accord de Taëf, mais il n'a pas fonctionné. À l'époque, pour éviter la guerre civile, on a voulu établir un double déni: un déni de l'histoire et un déni de nos différences, alors que nous devons engager un travail de mémoire et nous enrichir de notre diversité», ajoute Nayla Tabbara, dont le département vise au départ les jeunes professionnels et universitaires, dont bon nombre bénéficient aujourd'hui de la Fondation Adyan.


«Notre département offre des cours en ligne sur des sujets en rapport avec la notion de citoyenneté et de diversité religieuse, et nous mettons en contact des universités européennes et arabes pour cela. Nous avons aussi œuvré en 2012 à former des centaines de jeunes professionnels libanais toutes confessions confondues», explique la directrice, qui estime que le travail de la fondation est un travail «à contre-courant». «Il y a une vague de cristallisation des appartenances actuellement, mais notre vocation donnera ses fruits sur le long terme; il faut du temps, même si tous les jeunes que l'on forme se transforment et deviennent véritablement des ambassadeurs de ce concept de citoyenneté inclusive. Ils sont surpris de voir les choses sous un angle nouveau et se demandent pourquoi ils n'avaient jamais pensé de la sorte», conclut la cofondatrice et vice-présidente d'Adyan.

 

Mars 2013: l'expérience libanaise au Danemark
Si la Fondation Adyan s'est engagée à réformer les cursus des matières de philosophie, de sociologie et d'éducation civique, pour y intégrer les valeurs citoyennes respectueuses de la diversité religieuse, elle n'a toutefois pas osé s'attaquer directement aux matières d'éducation religieuse, «par peur qu'on nous mette des bâtons dans les roues», confie le père Fady Daou, qui assure pourtant qu'«il n'est pas suffisant de travailler sur l'éducation citoyenne à la diversité religieuse, mais qu'il faut aussi travailler sur l'éducation religieuse pour qu'elle ne contredise pas les valeurs citoyennes et qu'elle soit apte à se placer sous cette couverture».
Un travail dans les deux sens étant requis pour le succès de son ardue besogne, Adyan s'est finalement jetée à l'eau, élaborant un projet qui a été financé par le ministère danois des Affaires étrangères à travers la fondation danoise Danmission, l'un des partenaires européens d'Adyan.


«C'est un projet qui s'étale sur deux ans et que nous avons amorcé début 2013, explique Saria Khabsa, coordinatrice du projet au sein d'Adyan. Nous l'avons proposé à Danmission qui a accepté d'y prendre part et le ministère danois l'a financé, le Danemark s'intéressant beaucoup aux notions de compréhension mutuelle entre religions, depuis le 11 septembre 2001 et bien avant. La notion de conciliation entre citoyenneté et appartenance religieuse est aussi soulevée dans ce pays, et ce projet aura un retour positif pour la société danoise, de par l'échange des expériences.»


Et de poursuivre: «Le but de ce projet est d'élaborer, entre autres, un manuel d'éducation qui explique comment éduquer aux valeurs citoyennes à partir de l'éducation religieuse au Liban. À partir de la foi, on peut être un bon citoyen et on peut être attaché à son identité nationale. Nous avons donc réuni des experts venant chacun d'une institution religieuse au Liban et qui représentent toutes les communautés. Ce sont les responsables du secteur éducatif au sein de Dar el-Fatwa, du Conseil islamique chérié, du Conseil des Églises du Moyen-Orient, etc. Chez Adyan, ces experts ont accepté de se réunir. Ensemble, ils se sont mis d'accord sur une liste de dix valeurs citoyennes qui ne contredisent pas les religions. Ils en ont ensuite choisi trois pour élaborer le manuel: l'acceptation de l'autre, la justice et le respect de la loi».


À partir du manuel, Saria Khabsa assure que les experts développeront chacun de son côté un enseignement religieux qui est propre à son institution, de façon à y intégrer l'éducation à ces valeurs citoyennes. Après un premier séminaire qui s'est tenu à Beyrouth en présence d'experts danois il y a plusieurs mois, les experts libanais se rendront demain à Copenhague où ils finaliseront le projet et partageront leur expérience et les résultats de leurs discussions avec le public européen, rencontrant par ailleurs des personnes-clés dans ce domaine et apprenant les meilleurs moyens d'initier les professeurs à ce nouvel enseignement religieux.
«C'est un travail très pionnier qui constituera une base pour d'autres avancées sur ce plan, ajoute la coordinatrice du projet de l'Éducation interreligieuse pour la citoyenneté interculturelle. Il va contre l'idée générale que la citoyenneté doit se construire loin de la religion, et c'est déjà important de savoir que tous ces experts qui représentent toutes les composantes du pays se sont réunis et se sont mis d'accord, pour le Liban.»

 

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