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Campus - Entretien

Adnan Sayed Hussein : N’impliquez pas l’UL dans vos divergences politiques

Professeur de sciences politiques, chercheur, auteur de nombreux ouvrages dont le dernier sur la citoyenneté, Adnan Sayed Hussein est le recteur de l'UL depuis 2011. « Campus » l'a rencontré pour faire le point sur l'actualité de la plus grande université du pays.

Question – Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de l'UL ?
Réponse – L'UL, c'est 74 000 étudiants, 16 facultés et 49 sections répandues à travers le pays, ainsi que six divisions de la faculté des sciences et trois grandes écoles doctorales. Cette ramification – que je n'apprécie pas – date de 1977. C'était le résultat direct de la guerre civile, et cela aurait dû changer à la fin de la guerre. Personnellement, je suis contre l'ajout de sections. J'ai même fermé deux divisions de la faculté de tourisme à Tyr et à Rachaya qui me semblaient inutiles. J'espère que dans deux générations, toutes les facultés s'unifieront, se repartiront dans les cazas et comprendront des foyers pour les étudiants, comme le prévoyait le plan en 1974. La faculté de génie sera à Tripoli ou ailleurs au Nord, la faculté de médecine à Saïda ou au Sud, la faculté d'agriculture à la Bekaa, la faculté des lettres à Fanar et la faculté de droit à Sanayeh (Beyrouth). Actuellement, le campus de Hadeth peut accueillir 35 mille étudiants, nous en avons 20 mille, répartis entre autres dans les trois grandes facultés unifiées, qui sont la médecine, l'art dentaire et la pharmacie.
Imaginez alors la responsabilité de devoir gérer – d'une façon égale sur les plans académique et administratif – 49 sections, sans avoir recours au conseil d'université, d'ailleurs inexistant. Cela demande beaucoup d'effort de la part du directeur de la section, du doyen et de moi-même. Mais parce que l'UL possède un corps académique très compétent dans toutes les spécialités, elle a pu garder son excellent niveau malgré la diversité de ses sections. Prenons l'exemple de la faculté des sciences : elle occupe la première place du point de vue académique au Liban.

Comment éviter les dérives politiques ou sectaires relevées dans quelques facultés et y remédier ?
En ce qui concerne les activités politiques, tant qu'il s'agit de débats purement philosophiques ou stratégiques, nous les encourageons. Mais proposer une conférence débat entre un courant et autre, entre un ministre et un autre, cela n'est pas permis au sein de l'UL. Et là, j'adresse des remerciements à l'armée libanaise, qui nous a sauvés de la mainmise, au campus de Hadeth, d'un petit nombre d'éléments perturbateurs auxquels on a interdit l'accès au campus. L'armée a pu aussi contrôler les différentes entrées de la fac et les sécuriser.
Il convient de rappeler que l'UL est à l'image du Liban : une mosaïque de confessions, ce qui fait sa richesse. Ainsi, je veille personnellement à avoir à Hadeth un taux d'étudiants chrétiens en augmentation d'année en année. Dans les facultés unifiées, il y a autant d'étudiants chrétiens que musulmans.
Je suis persuadé que l'UL, comme l'explique si bien son règlement intérieur, a deux missions : l'une académique et l'autre patriotique. Je demande solennellement à tous les Libanais d'épargner l'UL et de ne pas l'impliquer dans leurs divergences politiques. Personnellement, je suis assez fier d'avoir pu éviter cet écueil tout au long de mon mandat. Les problèmes de la rue n'ont pas été importés au sein de l'UL. Mon rêve est d'en faire une institution autonome, sans aucune ingérence politique.

Quelles sont les raisons de la polémique qui a entouré la nomination des derniers doyens ?
Afin d'insuffler du sang neuf dans cette institution, j'ai choisi un des cinq doyens élus par les conseils des différentes facultés. Mon choix a été uniquement déterminé par l'intérêt académique de l'université. À travers cette nomination, j'ai appliqué les prérogatives que m'octroie la loi 66 et j'ai voulu éviter le clientélisme. L'équilibre confessionnel est sauf. Les doyens sont toujours répartis de la façon suivante : 9 chrétiens, 5 sunnites et 4 chiites.

Comment expliquez-vous que le conseil d'université soit toujours inexistant ?
Le conseil d'université doit être créé par un décret ministériel. Rien n'a été accompli à cause des divergences et des pressions politiques qui s'immiscent dans les affaires internes d'une institution publique possédant sa propre autonomie financière, administrative et académique. C'est une violation flagrante de l'intégrité de l'Université libanaise pour des profits personnels, partisans et électoraux.
Personnellement, toutes ces considérations ne m'importent pas. Ce qui compte pour moi, c'est le niveau académique de la faculté, les diplômes délivrés ainsi que l'étudiant lui-même. De cette manière, je servirai tout le Liban. Je refuse d'être partie dans un quelconque conflit politique et je refuse d'être considéré comme le représentant des chiites au sein de l'UL. Je représente tout le Liban à l'UL, et c'est dans cette optique que je la dirige.

Certains locaux sont dans un piteux état. Des projets pour y remédier ?
À mon avis, les bâtiments sont essentiels, non uniquement pour recevoir décemment les étudiants, mais aussi pour y installer des laboratoires, pour effectuer des recherches, pour constituer une bonne bibliothèque et pour permettre l'échange des étudiants dans le cadre du nouveau système LMD. C'est dans cette optique que je poursuis depuis le début de mon mandat les projets menés dans différents campus.
Le campus Rafic Hariri à Hadeth est le meilleur au Moyen-Orient et nous espérons en créer de similaires partout. Les plans pour la réalisation de la faculté de santé à Fanar sont déjà prêts. Le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) va les exécuter et la Banque islamique va financer le projet. Ce projet était dormant, je l'ai réactivé. Il y aura ensuite le projet de la faculté de génie et des beaux-arts à Fanar. Mais comme le terrain ne pourra pas recevoir toutes les spécialités, nous avons prévu d'aménager une importante parcelle dans le village de Eddé, près de Jbeil, avec également un grand foyer pour étudiants. En ce qui concerne le Nord, les plans sont prêts pour le campus de Bohsass, qui va regrouper huit facultés, mais l'entrepreneur est trop lent dans la réalisation ; on le relance sans cesse. Le plus grand écueil demeure le campus de la Békaa. J'ai sollicité le gouvernement à trois reprises afin de commencer les travaux dans le campus de Zahlé, comme prévu en 1996. Nous possédons déjà la parcelle 66 à Hoch el-Oumara. Mais la politique s'en mêle et gâche tout. Personnellement, j'insiste pour avoir le campus à Zahlé, qui est le cœur de la Békaa, tandis que d'autres voudraient l'avoir à Baalbeck ou dans la partie Ouest de la Békaa, ce qui est inconcevable. Comme on ne pourra construire qu'un seul campus dans la Békaa, tout est gelé pour le moment. Au Sud, il n'y a pas encore de vision claire concernant l'emplacement du futur campus.
C'est vrai que les locaux loués ne sont pas idéaux, mais l'Université libanaise paie 25 milliards par an en frais de loyer, sans oublier l'entretien que nécessitent de tels bâtiments, le chauffage et tout le reste. Donc la solution serait de réaliser les différents campus le plus tôt possible. Mais la décision est finalement politique, nous sommes une institution publique. Si cela revenait à moi, j'aurais déjà commencé il y a bien longtemps.

Une arabisation galopante envahit quelques facultés, quelles en sont la cause et la solution ?
Ce n'est pas exact. La plupart des facultés dispensent les trois quarts de leurs
matières en français et le reste en anglais. Dans toutes les facultés de l'UL, les langues étrangères, le français et l'anglais, sont obligatoires. Mais parallèlement, on ne néglige pas l'enseignement de l'arabe, essentiel pour sauvegarder le rôle culturel de l'UL au sein des pays arabes.
Prenons l'exemple de la faculté de droit. L'enseignement s'y fait en arabe puisqu'il s'agit du droit libanais. Mais plusieurs matières en français sont obligatoires. Et en contrepartie, nous avons une filière de droit entièrement francophone, qui est considérée comme un pôle d'excellence.
Pour remédier à une défaillance au niveau des langues, héritée des classes secondaires et qui sévit au plan national, nous avons développé et agrandi notre Centre des langues qui, en 2011, avait deux mille étudiants et qui en compte actuellement 20 000 à travers tout le pays, et qui est très bien dirigé par une équipe de spécialistes. Et là je remercie vivement les directeurs et les doyens qui soutiennent ce projet activement. Nous allons bientôt inaugurer un autre centre de langues dans la Békaa. Tout cela avec l'aide de l'AUF.

Quelle importance accordez- vous à la recherche et comment soutenez-vous les chercheurs à l'UL ?
La place de la recherche scientifique à l'UL est en nette progression. Son budget était de 2 milliards de LL, il est actuellement de 3,5 milliards. Le nombre des chercheurs a augmenté et les champs de recherche sont devenus beaucoup plus vastes. Nous avons introduit une nouvelle branche de recherche : celle de l'innovation et du développement, en partenariat avec le secteur privé ou public, comme Caritas ou quelques ministères : Affaires sociales, Industrie, Agriculture. Ce genre de recherche est lié aux besoins de la société et du marché. C'est une ancienne revendication de l'UL, que j'ai réactivée, et un besoin réel dans les pays en voie de développement.
Par ailleurs, nous avons constitué dans chaque faculté un comité pour développer et encourager la recherche, et une commission centrale pour évaluer ces travaux. De même, nous avons repris la publication des revues scientifiques, dans les 3 langues, qui font état des recherches dans les différentes facultés.

Quels sont les dessous du dossier de titularisation des enseignants contractuels ?
Vous soulevez un sujet très sensible. Cela nous a pris un an pour constituer un dossier complet, très équilibré sur le plan confessionnel, et le présenter au Conseil des ministres. Mais au cours de la séance du Conseil des ministres du 27 décembre 2012, il a été retiré sous prétexte qu'il faudra auparavant constituer le conseil d'université. Cela est triste. L'UL perd chaque année une centaine de professeurs qui vont à la retraite et que je n'arrive pas à remplacer depuis 2008. De même, je dois élargir les masters, augmenter les différentes spécialités et recevoir de nouveaux étudiants venant du privé sans professeurs titulaires.

La place du sport est quelquefois occultée à l'UL, pourquoi ?
C'est vrai que le sport à l'UL a besoin d'être développé davantage. Une commission sportive centrale existe au campus de Hadeth où nous avons des terrains sportifs de niveau olympique ; quelquefois, nous y recevons des équipes nationales et internationales. Dans les autres facultés, les activités sportives se limitent au basket-ball et au volley-ball par manque d'espace.

Le manque d'un calendrier universitaire précis désoriente l'étudiant. À quoi cela est dû et quelles solutions pour y remédier ?
J'admets que, quelquefois, on n'arrive pas à respecter à un calendrier précis en raison du au grand nombre de sections et, quelquefois, des incidents sécuritaires comme à Tripoli ou à Saïda. Mais nous essayons autant que possible de prévoir des dates communes, comme celle de l'inscription, et de nous y tenir.

Un dernier mot ?
Pour la première fois depuis la création de l'UL, le recteur publie un rapport annuel sur les travaux et les activités, et le présente au président de la République, au Conseil des ministres et aux responsables ; ainsi qu'une longue étude sur les stratégies de développement à entreprendre pour préserver le rôle pionnier de l'UL.

 

 

 

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Question – Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de l'UL ?Réponse – L'UL, c'est 74 000 étudiants, 16 facultés et 49 sections répandues à travers le pays, ainsi que six divisions de la faculté des sciences et trois grandes écoles doctorales. Cette ramification – que je n'apprécie pas – date de 1977. C'était le résultat direct de la guerre civile, et cela aurait dû changer à...

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