« L’allégeance » d’Abou Sayyaf à Daech, une « manœuvre douteuse du régime syrien »

Un homme se présentant sous le nom d'Abou Sayyaf el-Ansari de Tripoli a annoncé samedi dans une vidéo diffusée sur YouTube et retransmise par plusieurs médias libanais, qu'il fait allégeance à Abou Bakr el-Baghdadi, l'émir de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL/Daech, lié à el-Qaëda).
« Nous avons décidé d'aider nos frères sunnites en Irak et à Damas dans leur guerre, depuis Tripoli, au Liban », lance Abou Sayyaf el-Ansari dans l'enregistrement. « Nous avons proposé à l'EIIL de créer des cellules pour poursuivre le jihad qui terrorise les États-Unis et le parti du Diable (Hezbollah, NDLR) », ajoute-t-il. L'homme demande également aux cheikhs et aux ulémas libanais de soutenir son groupe. « Ne nous trahissez pas, nous sommes là pour secourir la oumma », dit-il.
Dans l'enregistrement, qui n'a pas été authentifié, Abou Sayyaf el-Ansari exhorte les sunnites « membres de l'armée du Salib (chrétiens, NDLR) », à ne pas être « les alliés des infidèles ». « Attendez-vous bientôt à une déclaration du porte-parole officiel de l'État islamique au Liban, Abou Omar el-Mohajer », conclut-il. L'EIIL ou Daech est un groupe islamiste extrémiste lié à el-Qaëda, actif en Syrie et en Irak, qui avait revendiqué l'attentat à la voiture piégée de Haret Hreik en janvier dernier.
Le député du Hezbollah, Ali Fayad, ne laisse aucune place au doute. « Le danger takfiriste est une menace immédiate et dangereuse », a-t-il affirmé hier. Le nom de Daech tagué sur les routes du Akkar, comme hier au niveau du carrefour du village de Miniara sur la route de Sahliyé, est de nature à attiser ces craintes. Les murs des villages de Kantara et Bkerzla avaient déjà été remplis de graffitis similaires il y a un mois, selon l'Agence nationale d'information.

Damas, principal bénéficiaire
Réagissant à l'initiative de Ansari, le courant du Futur et les figures tripolitaines ont rejeté en chœur toute allégeance de Tripoli à Daech. L'ancien Premier ministre Saad Hariri a appelé « les Libanais en général et les sunnites en particulier » à ignorer « les appels douteux et suspects visant à entraîner le Liban dans une guerre condamnable ». Dans un communiqué, le leader du courant du Futur a affirmé que « les Libanais, dont les sunnites, refusent de prendre part à toute guerre, au Liban ou dans la région, entre le Hezbollah ou el-Qaëda. Ils refusent que les civils, quelle que soit leur région d'origine, deviennent les cibles de cette guerre folle », a-t-il ajouté.
Il a surtout fait remarquer que « le lien est clair entre les forces extrémistes et les appels suspects qu'ils lancent, ces appels ne visant qu'à exporter le conflit syrien vers le Liban, au profit du régime » de Damas. « Dans ce sens, ces appels rejoignent les objectifs de la guerre du Hezbollah en Syrie pour défendre le régime Assad », a-t-il insisté, appelant une nouvelle fois les Libanais, et notamment les sunnites, à ne pas se laisser entraîner par ces appels.
En outre, une réunion s'est tenue hier au domicile tripolitain du député du Futur, Samir el-Jisr, pour affirmer que « Daech n'a pas sa place à Tripoli ». Étaient présents à la réunion les députés Mohammad Kabbara et Badr Wannous, l'ancien député Moustapha Allouche et l'ancien directeur général des Forces de sécurité intérieure, le général Achraf Rifi. « Le retour de la stabilité commence par la présence effective des forces sécuritaires », a souligné le communiqué publié à l'issue de la réunion.

Accusations
De son côté, le député Mohammad Kabbara a accusé explicitement le régime syrien et les gardiens de la révolution en Iran « d'avoir fabriqué et monté de toutes pièces la mascarade d'Abou Sayyaf el-Ansari, en l'associant à l'organisation terroriste Daech, étroitement liée aux services de renseignements de Bachar el-Assad présents à Tripoli ». Le but de ce « montage » serait de « nuire à l'image de la ville, en vue de saper sa sécurité et sa stabilité ». Il a appelé les Tripolitains, dans un communiqué, à « faire échouer tous ceux qui complotent contre leur ville ». « Cet inconnu portant le nom d'Abou Sayyaf el-Ansari, et son prétendu émir, tout aussi inconnu, Abou Bakr al-Baghdadi, n'ont rien à voir avec les sunnites, ni avec Tripoli », a-t-il encore insisté. « Les sunnites ne suivent pas les inconnus », a-t-il martelé.
Pour sa part, le député du Akkar, Khaled Daher, a démenti la mort de 828 Libanais prétendument tués, selon lui, lors des combats aux côtés de Daech en Syrie. « Le nombre de Libanais sunnites qui ont combattu aux côtés de Daech en Syrie n'excède pas la soixantaine. Et ils s'y sont rendus à titre personnel, sans bénéficier de l'appui d'aucun parti, d'un groupe ou d'une jamaa », a-t-il précisé lors d'une entrevue à la chaîne LBC.
Rappelons que l'agence United Press International (UPI) a publié des chiffres attribués au courant salafiste jordanien qui montrent que le nombre de non-Syriens tués depuis 2011 lors de combats dans les rangs de Daech ou du Front al-Nosra contre l'armée syrienne s'élève à 9 936 personnes, dont 828 Libanais. À ce propos, Khaled Daher a estimé que « Daech n'est autre que le Hezbollah ».

Le Front al-Nosra
Notons que Daech n'est pas le seul groupe lié à el-Qaëda, qui serait actuellement actif au Liban. Vendredi, le « Front al-Nosra au Liban », considéré comme une branche d'al-Nosra syrien lié à al-Qaëda, a annoncé sur son compte Twitter que « le parti de l'Iran (en référence au Hezbollah, NDLR), ses sièges et ses bases militaires et de sécurité sont une cible légitime pour nous, où qu'ils soient ». Après avoir revendiqué le premier attentat à la voiture piégée perpétré à Haret Hreik, et celui du 16 janvier à Hermel, al-Nosra au Liban a revendiqué samedi le tir de roquettes sur la ville de Hermel.