Il y a une quinzaine de jours, entre deux attentats, était publié dans cette même colonne un billet sur le retour des étudiants et des expatriés pour les fêtes de fin d'année. Celui-ci fut suivi, le surlendemain, d'un témoignage amer écrit à ses parents par une jeune femme, Yara Zgheib, sur le même thème. « Le temps d'illuminer » et « Mal de vous » ont suscité des milliers de partages et de recommandations sur les réseaux sociaux. Plus que la guérilla à Tripoli, plus que le TSL à La Haye, plus que Genève 2 et bien davantage que la couverture des explosions. Un phénomène sans précédent qui mérite que l'on s'y arrête. Car pour créer une telle unanimité, il fallait avoir touché du doigt une plaie vive.
Des conclusions s'imposent. Oui, le départ des jeunes, l'éclatement des familles, les « pour toujours », la solitude de l'exil figurent en tête des sujets qui préoccupent la majorité des Libanais. La douleur des séparations, les retrouvailles douces amères, le mal du pays, ce mélange de nostalgie et de rancune, cet amour haine pour une terre qui n'a jamais su garder les siens sont les sentiments qui nous affectent le plus. Étrangers chez nous parce que sans cesse un pied ailleurs, étrangers à l'étranger malgré notre exceptionnelle capacité d'adaptation, la question de l'identité – et donc de l'image – se pose à nous sans cesse. Soit.
Mais le monde entier est en mouvement. Un nombre incalculable de jeunes du monde entier migrent et émigrent pour étudier ou travailler sans se voir apposer l'étiquette d'« émigré ». L'émigration est un complexe libanais dû à un manque de confiance en l'avenir, justifié par 15 ans d'un conflit resté sans issue. Mais nous avons aussi l'appel atavique du large. On ne vit pas impunément au bord de la mer. Et pour ceux de la montagne, le Rocher de Tanios a le vice d'être toujours orienté vers l'horizon. Quand la « situation » est mauvaise, entendre par là le retour des attentats et les bras de fer insensés à la veille de chaque échéance électorale ou gouvernementale, nous commençons par envisager le départ des enfants. Quand ça s'envenime, nous passons à l'acte. De toute façon, ils ne nous attendent pas. S'ils ne peuvent même plus aller à l'ABC, à Gemmayzé ou à Hamra, ils se demandent très vite à quoi sert leur vie et se mettent à chercher des issues en râlant après la lenteur de la connexion Internet (raison de plus pour « quitter »).
Nous les avons gâtés, c'est clair, pour compenser à travers eux notre jeunesse perdue. Pire, ils sentent notre souhait, conscient ou pas, de les voir construire un avenir dans des pays plus stables. C'est pourtant chez nous qu'il y a le plus à entreprendre et à créer, à prouver et à inventer. Bidouillée avec peu de moyens, cette nouvelle vague d'attentats tue peu, même si elle enlève des vies précieuses. Mais elle contribue à vider le pays de ses rêves et de ses forces vives. Pourtant, si les Japonais craignaient les tremblements de terre, il n'y aurait jamais eu de Japon.
commentaires (7)
Fifi dans l'absolu vous avez raison, mais tous nos jeunes n'ont pas la vocation de missionnaires... Il y en a qui ont besoin de se construire, de fonder un foyer, d'élever des enfants dans un environnement sain. L'horizon au Liban est noir de corruption, de fausses religions, de vendus, d'ignorants, de prétentieux, etc. Ne culpabilisons pas nos jeunes, comprenons-les et préparons-leur, si possible, une "Mère Patrie", au moins en voie de développement et pas le contraire.
Christiane Chammah Sahyoun
18 h 51, le 23 janvier 2014