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Le Liban en 2013 - Rétro 2013

Apprentissages

Pour Michel Chiha

 

...Nathanaël, je te l'avoue ; j'ai changé d'avis. Après toutes ces années. Que veux-tu... soixante-dix ans, c'est long. Dans ses moments de grande solitude, on a le temps de refaire le monde, mais non plus sur le mode des grandes idées et des élans passionnés de génie. On ne grandit pas en sagesse, Nathanaël ; on s'affadit.

Alors, je t'enseignerai non pas la ferveur, mais l'imposture. L'imposture, c'est ce qui reste devant soi quand il ne reste plus rien.

De ma jeunesse primesautière, je n'ai guère appris. De mon adolescence tourmentée non plus. L'âge m'a surpris trop tôt ; je n'étais pas encore rassasié de mes sanglantes bouffonneries que les premières rides se dessinaient déjà sur mon front. Je n'ai pas su mûrir. Je n'ai pas su raffermir mon indépendance. Ma liberté s'est confondue avec mon sens poussé de l'hédonisme. Le résultat, Nathanaël, c'est que j'ai perdu, au final, le goût des deux.

Nathanaël, je t'apprendrai la perversion et le renversement des valeurs. Je t'apprendrai à défendre le bourreau contre la victime, la création de nouveaux bourreaux pour magnifier les criminels et les transformer en héros, la transformation des saints en assassins, au nom de la « résistance », au nom de la « morale religieuse », au nom de la survie et de la préservation de soi. Je t'apprendrai non pas la révolution ou la résilience, même pas l'indignation ; mais la résignation, la servitude, ou, pire encore, l'indifférence. Je t'apprendrai le sectarisme et le culte de l'identitaire. Que veux-tu, Nathanaël, soixante-dix ans, c'est lourd. On perd sa prestance, son prestige. On tombe de son piédestal. On accepte son déchirement, sa déchéance ; pire même, on apprend à s'y complaire. On oublie les visages et on oublie les voix. Ou alors on les réinvente. Que dis-je, on les remplace par des masques, par des marionnettes. On oublie même de dialoguer avec les morts. Le cœur, quand ça bat plus...

Nathanaël, je t'enseignerai surtout la violence, sous toutes ses formes et ses facettes. C'est une putain magnifique, la violence. Suffisamment lascive, perverse, envoûtante, insoumise, qu'on en redemande toujours. On ne s'en lasse jamais. Mais qu'ai-je besoin de t'apprendre la violence, Nathanaël... Elle est ontologique, comme la haine. Elle est à la source de l'humanité et de la civilisation. Tu es né avec. Sinon, comment expliquer qu'elle soit désormais aussi banale, qu'elle ne suscite plus que mépris et indifférence, au point que la vie, dénuée de sens, ne ressemble plus qu'à une répétition sordide, une petite caricature insignifiante, inutile? Comment expliquer l'effondrement de toutes les catégories conceptuelles, remplacées par une haine, une cruauté orgiastique ?

Est-ce cela, la vieillesse, la sénilité, Nathanaël, ou bien suis-je victime de tares existentielles qui font de moi un héros de pacotille condamné à aller volontairement jusqu'au bout de sa tragédie ?

Je ne sais plus, Nathanaël. On apprend à vivre sans certitudes. Je me confie à toi, loin de mes bravades d'antan : à soixante-dix ans, j'ai peur. C'est dur de mûrir à l'automne, tu sais.

Mais cesse donc de m'écouter passivement. Apprends-moi, Nathanaël. Apprends-moi à espérer de nouveau, toi qui es le fol, le vif espoir de mon renouveau. Ne te tais pas. Ne subis pas en silence toutes mes avanies. Révolte-toi, Nathanaël. Révolte-toi. Demain, bientôt, ce soir. Vomis ma torpeur, ma tiédeur. Réveille-moi, Nathanaël, avant qu'il ne soit trop tard. Les nuits sont trop longues et je commence à avoir froid...

Pour Michel Chiha
 
...Nathanaël, je te l'avoue ; j'ai changé d'avis. Après toutes ces années. Que veux-tu... soixante-dix ans, c'est long. Dans ses moments de grande solitude, on a le temps de refaire le monde, mais non plus sur le mode des grandes idées et des élans passionnés de génie. On ne grandit pas en sagesse, Nathanaël ; on s'affadit.
Alors, je t'enseignerai non pas la...

commentaires (1)

A ce Petit Poucet de Grand-Liban : "On ne s'afflige point d'avoir beaucoup d'enfants, Quand ils sont tous beaux, bien faits et bien grands, Et d'un extérieur qui brille ; Mais si l'un d'eux est faible ou ne dit mot, On le méprise, on le raille, on le pille ; Quelquefois cependant c'est ce petit marmot Qui fera le bonheur de toute la famille." !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

03 h 35, le 03 janvier 2014

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Commentaires (1)

  • A ce Petit Poucet de Grand-Liban : "On ne s'afflige point d'avoir beaucoup d'enfants, Quand ils sont tous beaux, bien faits et bien grands, Et d'un extérieur qui brille ; Mais si l'un d'eux est faible ou ne dit mot, On le méprise, on le raille, on le pille ; Quelquefois cependant c'est ce petit marmot Qui fera le bonheur de toute la famille." !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 35, le 03 janvier 2014

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