Mais ce n’est pas la seule concession obtenue par la diplomatie américaine. Selon une source diplomatique arabe à Beyrouth, Washington voulait absolument une couverture arabe à la participation d’une délégation de l’opposition syrienne à la conférence de Genève, alors que la Coalition nationale des forces de l’opposition (CNFO) y était fermement opposée. La Ligue arabe a donc tenu une réunion urgente dans ce but, précise la source diplomatique arabe, qui ajoute que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn n’y ont pas participé. On peut interpréter leur absence comme un refus de cautionner la participation de l’opposition syrienne à la conférence de Genève 2, mais la source diplomatique arabe préfère y voir une volonté de la part de l’Arabie de ne pas entraver la réunion, sans avoir à donner son aval. D’ailleurs, le chef de la CNFO, Ahmad el-Jarba, proche de l’Arabie, était présent à cette réunion de la Ligue arabe, et il a même prononcé un discours devant les présents. La source diplomatique arabe précitée ajoute qu’au cours de cette réunion, le ton des représentants des pays arabes était totalement différent de celui qui prévalait au cours des réunions précédentes. Au point d’ailleurs que le ministre irakien des Affaires étrangères a lancé à Ahmad el-Jarba : « Vous feriez bien de changer de ton. » Ce qui a poussé ce dernier à répliquer : « Et vous, vous feriez bien de retirer vos combattants de Syrie. » (L’Irak est accusé d’aider le régime syrien). Mais en dépit de cet échange aigre-doux, le communiqué final de la réunion a appuyé la tenue de la conférence de Genève 2, ouvrant ainsi la voie à la participation de l’opposition syrienne à cette conférence. Par rapport aux précédentes réunions, c’est un grand pas vers une solution politique, telle que définie par l’accord russo-américain. D’autant qu’il y a plus d’un an, lorsqu’il a commencé à être question de la tenue de cette conférence, l’opposition et ses parrains ne voulaient pas entendre parler de la participation du régime de Damas...
En ne participant pas à cette réunion de la Ligue arabe, sans l’entraver, l’Arabie a ainsi fait un signe en direction des Américains. Mais elle n’a pas encore renoncé à sa condition d’obtenir une annonce du départ d’Assad dans le cadre de la conférence de Genève 2. C’est pourquoi on ne peut pas dire que la visite de John Kerry à Riyad a aplani les difficultés. Les dirigeants saoudiens ont ainsi reconnu le principe de la conférence sans donner le feu vert à sa tenue, ni à la participation de l’Iran. Ils auraient obtenu, estime la source diplomatique arabe, une sorte de délai de quelques semaines (ou plus, car si la conférence ne se tient pas dans la première moitié de décembre, elle sera reportée jusqu’en 2014) pour tenter de changer la donne sur le terrain en Syrie. Même si, en réalité, le temps ainsi gagné semble jouer en faveur des forces du régime qui poursuivent leurs percées.
En même temps, trois « fronts » régionaux se sont brusquement embrasés : celui du Yémen, où les houthis (accusés par les Saoudiens d’être proches de l’Iran) ont subi des attaques de la part des islamistes, celui de la frontière pakistano-iranienne, où les agressions contre les pasdaran se sont multipliées ces derniers jours, et enfin celui de Bahreïn, où le régime a brusquement durci le ton à l’égard de l’opposition.
Une autre scène a aussi connu des développements dramatiques, celle de Tripoli au Liban, où la tension entre les islamistes de Bab el-Tebbaneh et les alaouites de Jabal Mohsen a failli se transformer en guerre communautaire. Avec la convocation par le service de renseignements des FSI du chef du Parti démocratique arabe Ali Eid, la ville et l’enclave alaouite ont failli connaître une nouvelle explosion encore plus meurtrière que les précédentes à la suite de l’agression contre un bus de travailleurs alaouites. Mais la réaction rapide des notables de la ville et des dirigeants du courant du Futur ainsi que la prise en main par la justice de l’affaire de Ali Eid ont permis d’éviter le pire.
Pour reprendre une formule banale, le feu couve toutefois sous la cendre, alors qu’aucun déblocage politique n’est en vue. La visite du président Sleiman à Riyad, qui se fait à la demande des Saoudiens eux-mêmes, pourrait donc être l’occasion d’évoquer à la fois le dossier de la formation d’un nouveau gouvernement et celui de la situation à Tripoli. Comme l’a déclaré le leader druze Walid Joumblatt dans sa dernière interview télévisée, « le Premier ministre désigné Tammam Salam attend d’être libéré par l’émir Bandar ben Sultan ». C’est dire que c’est bien Riyad qui détient la clé de la formation d’un nouveau gouvernement, tout comme celle de l’influence sur les groupes islamistes et les composantes du 14 Mars. Dans ce contexte, les entretiens de Michel Sleiman avec les dirigeants saoudiens seront forcément très importants car ils interviennent à un moment crucial.
OU, LA MÉTHODE COUÉ.........
08 h 49, le 08 novembre 2013