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Liban - Tribune

Hommage aux naufragés du Akkar

Ils sont partis, ils ne sont plus là ; tous ces gens du Nord qui ont voulu fuir leur réalité quotidienne pour retrouver un semblant de dignité et un avenir qu’ils croyaient meilleur. Tous ces braves gens embobinés par de véreux mafieux et délestés de leur maigre « fortune » pour être ensuite projetés, comme dans un mauvais polar, dans un paysage hostile et une mer démontée... Ils ont foncé tête blessée jamais baissée... gens de rage et de courage jusqu’au point de rupture où leur embarcation de fortune chavira, et leur vie bascula dans le temps et l’obscurité. Pourquoi ? Pour qui ?
Sans doute pour rien, et ce en dépit des témoignages justificatifs des quelques rescapés et de proches qui s’affichent dans les colonnes de journaux ou s’étalent sur les plateaux de télé... avec bien sûr leurs lots habituels de diatribes et de récupérations politiques ou partisanes. Mais eux, où sont-ils, et pour ceux qui restent, que leur reste-il ? Certains ont voulu émigrer car, disaient-ils, au pays de la neige et du soleil, ils n’avaient encore reçu à ce jour dans leurs hameaux ni eau ni lumière. D’autres cherchaient des solutions sous d’autres cieux, croyant il y a quelques jours encore pouvoir offrir à leurs filles un traitement qui améliorerait leur vue défaillante avant d’être aujourd’hui définitivement privées de leur vue. Mais quel témoignage serait assez précis pour consigner ces souvenirs qui furent tant pour chacun, mais sont si peu dans l’étendue de leur douleur ?
Or, ce qui rend la réalité encore plus effroyable et donne froid dans le dos plus que la simple évocation de cette mer frigorifiée d’Indonésie, c’est le refus acharné des quelques rescapés – meurtris dans leur chair, morfondus dans leur chagrin, pris dans la tourmente et traqués par la mafia locale – de se faire rapatrier dans leur pays au prix de leur vie. Combien est-il loin, ce temps où le Libanais s’enorgueillissait de posséder un petit « morceau de ciel sur la terre » et d’être une terre d’accueil pour tous ceux qui se sentaient abandonnés ou persécutés. Hier encore, notre nation était exportatrice de l’alphabet et du savoir, et offrait au monde des hommes de science, de lettre et d’esprit. Aujourd’hui, nous faisons la une des journaux avec nos « boat people », leur désolation et tout leur désespoir. À quoi donc peut servir le verbe si l’on ne sait plus l’utiliser ?
Manal, Hamza, Rana, Reem, Ali, Ahmad, Bassam, Tania, Maya, Ibtissam et tous les autres... l’image de vos sourires radieux, immortalisés sur une photographie prise sur votre embarcation de fortune dans le tumulte et juste avant le naufrage ne me quitte plus. Vous êtes cette sœur, ce frère, ce fils, cette nièce, cette cousine ou ce cousin que j’ai perdus dans cette tragédie et que je pleure comme l’on pleure ses morts ; avec dignité, recueillement et sans excès. Pour vous désormais, demain n’a pas d’avenir. Pour vous cependant et afin que votre sacrifice ne soit pas vain, je m’attacherai encore plus à cette terre et essayerai d’y croire, ne serait-ce que pour donner l’exemple... car ce que l’on croit peut devenir réalité. Non, vous ne tomberez pas dans l’oubli puisque vous êtes déjà en pleine lumière. La lumière des justes.
Ils sont partis, ils ne sont plus là ; tous ces gens du Nord qui ont voulu fuir leur réalité quotidienne pour retrouver un semblant de dignité et un avenir qu’ils croyaient meilleur. Tous ces braves gens embobinés par de véreux mafieux et délestés de leur maigre « fortune » pour être ensuite projetés, comme dans un mauvais polar, dans un paysage hostile et une mer démontée......

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