Nasrallah et les messages à l’adresse des pays du Golfe et de la Turquie

Comme d’habitude, les réactions au discours du secrétaire général du Hezbollah, pourtant très attendu, ont précédé son contenu. Les partisans l’appuient aveuglément et ceux qui critiquent le Hezbollah le dénoncent sans même l’écouter.

Pourtant, dans ce discours au ton encore plus franc que d’habitude, Hassan Nasrallah a lancé des messages importants, notamment à l’adresse des pays du Golfe et de la Turquie. Il a d’abord réaffirmé presque solennellement que les auteurs, au niveau des planificateurs et des exécutants, des attentats de Bir el-Abed et de Roueiss ont été identifiés et que les informations ont été recoupées et confirmées par celles des services de renseignements officiels. En d’autres termes, il a quasiment dit aux assassins : « Je vous connais, mais je ne vous dénoncerai pas pour vous donner encore une chance. » En fin stratège, le secrétaire général du Hezbollah ne joue pas toutes ses cartes, mais il fait en sorte que les adversaires et les alliés sachent qu’il en possède encore de nombreuses.

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Comme s’il annonçait déjà que la tendance générale est au compromis sur les grands dossiers et en harmonie avec les propos du nouveau président iranien Hassan Rohani, qui tend la main aussi bien à l’Occident qu’aux pays du Golfe – et bien que certains analystes locaux misent sur un changement dans la politique de l’Iran à l’égard du Hezbollah et de la Syrie –, Hassan Nasrallah a ainsi invité les pays du Golfe à œuvrer en faveur d’une solution politique en Syrie, leur disant pratiquement : « Si vous vous entêtez dans la voie de la confrontation militaire, vous risquez de perdre cette bataille. » Pourtant le Hezbollah détient des informations sûres sur le fait que les pays du Golfe, l’Arabie saoudite en tête et la Turquie, pèsent de tout leur poids pour torpiller la conférence de Genève 2 et empêcher une solution politique, tant qu’elle n’est pas à leur avantage.

Selon la presse américaine connue pour son sérieux, près de 130 000 combattants étrangers participent à la guerre en Syrie aux côtés des rebelles et ces combattants appartiennent à 49 nationalités différentes. Ils viennent de plusieurs pays d’Europe, mais aussi de Libye, du Koweït, de la Tchétchénie, d’Arabie saoudite, de Jordanie, de Tunisie, du Yémen et d’ailleurs. Ils sont financés essentiellement par le Qatar et l’Arabie saoudite, et constituent le plus gros des effectifs de l’opposition au régime syrien. Même si quelques chercheurs continuent d’affirmer que les jihadistes takfiristes représentent une infime minorité au sein de l’opposition syrienne, personne n’y croit et, au contraire, nul n’ignore désormais que sur le terrain la situation est différente.

(Repère : Liban : l'implication du Hezbollah dans le conflit syrien)

Presque chaque jour, de nouvelles unités qui combattaient sous la bannière de l’Armée syrienne libre sont en train de rallier les deux grands groupes jihadistes et takfiristes : le premier mené par Abou Mohammad al-Joulani, qui dirige le Front al-Nosra, et le second, l’État islamique en Irak et au Levant que l’on appelle en arabe « Daich » et qui est dirigé par Abou Bakr el-Baghdadi. La dernière unité à faire défection de l’ASL est la brigade de l’islam qui se bat à Ghouta sous le commandement de Zahrane Allouche. Elle a rejoint la bannière du Front al-Nosra. Cette défection intervient après l’annonce mardi par 13 formations de leur détachement de l’ALS. D’ailleurs, depuis l’abandon par les États-Unis du projet d’entreprendre des frappes militaires contre les forces du régime syrien, le mouvement semble s’être accéléré, les bailleurs de fonds et fournisseurs en armes mettant la pression sur les chefs militaires pour qu’ils laissent tomber l’Armée syrienne libre dirigée par Sélim Idriss.

Cette insistance de la part des pays du Golfe et de la Turquie à islamiser l’opposition syrienne serait l’indice de leur volonté d’avoir une influence directe et déterminante sur la tenue ou non de la conférence de Genève et, en tout cas, d’avoir leur mot à dire sur l’avenir de la Syrie dans le cadre d’une solution négociée. Sans entrer dans les détails, le secrétaire général du Hezbollah a simplement conseillé à ces pays de ne pas se placer à contre-courant de la tendance générale et à saisir les chances de mettre un terme à la guerre sanglante qui se déroule en Syrie, au lieu de s’enfoncer dans une option militaire destructrice pour tout le monde. Hassan Nasrallah a aussi adopté ce ton en fonction de la rencontre annoncée entre le roi Abdallah d’Arabie et le président iranien cheikh Hassan Rohani dans le cadre du pèlerinage de La Mecque à l’occasion de la fête de l’Adha. Il ne l’a pas précisément dit, mais il a laissé entendre qu’il y avait une opportunité à saisir pour jeter les bases d’une entente fondamentale, dont le Liban et la Syrie pourraient bénéficier.

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En même temps, le numéro un du Hezbollah a adressé un message clair à la Turquie qui, depuis le début, a ouvert ses frontières aux islamistes de toutes les tendances pour qu’ils puissent se battre librement en Syrie, en lui disant qu’elle est en train de reproduire le scénario du Pakistan avec l’Afghanistan. Tout le monde se souvient en effet du rôle ambigu joué par le Pakistan auprès des talibans et la façon dont il est aujourd’hui secoué par les activités des intégristes musulmans qu’il a lui-même encouragés, aidés et formés... mais pour se battre en Afghanistan. D’ailleurs, de plus en plus de critiques sont adressées au gouvernement d’Erdogan par des éditorialistes turcs sur le danger qu’est en train de constituer la présence islamiste destinée à la Syrie.

Pourquoi les pays du Golfe et la Turquie tiennent-ils à islamiser l’opposition syrienne ? Telle est la question à laquelle il n’y a pas encore de réponse claire. Pour certains, la Turquie étant dirigée par un pouvoir affilié aux Frères musulmans, elle souhaiterait un régime identique en Syrie sur lequel elle aurait la plus grande influence. Même chose pour l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe, qui sont les seules à avoir de l’influence sur les groupes jihadistes et takfiristes dans la mouvance d’el-Qaëda. Mais pour d’autres, la raison est que ce sont les seuls combattants capables d’affronter les soldats du régime syrien, la fibre islamique restant un moteur efficace pour se battre... Un bien triste constat.

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