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Liban - Tradition

Au siècle dernier, la rencontre de l’homme et de la foi au cœur des tribus chrétiennes

« Comment accorder le christianisme des Bédouins à leur mentalité tribale ? » l’archimandrite Basilius Antoine Génadry a choisi de valoriser l’homme, l’essence même de la religion. Silencieusement, il a contribué à aider les tribus de Jordanie à s’affranchir de la violence.

Notre vie à l’est de la Jordanie, de 1950 à 1972. Ce titre ouvre une compilation de photos légendées, presque un souffle encore vif du passé, offertes par l’archimandrite Basilius Antoine Génadry à son frère, feu le général François Génadry, ancien commandant de l’École militaire. Les clichés en noir et blanc pris par le prélat cristallisent les souvenirs de sa vie auprès des tribus chrétiennes de Jordanie. Les photos de groupe des doyens tribaux en kaffiyé, posant fièrement avec le prêtre ; celles d’enfants prenant part à des présentations organisées par les écoles catholiques ; les portraits de femmes en robes décentes, balayées par le vent des étendues de Karak ; des regards méditatifs, d’une puissance nostalgique... éternisent des instants fuyants de vie, observée par le prélat. Comme s’il avait voulu dépeindre une nature humaine, qui transcende autant les règles tribales que la raison religieuse.
La question substantielle qui se posait d’ailleurs à la mission du jeune prêtre est celle « d’accorder le christianisme des Bédouins de Jordanie à leur mentalité tribale ». Conscient d’une réalité qui fait prévaloir « les préceptes tribaux sur l’enseignement chrétien », il a tenté avec ses pairs, au fil d’idées subtilement insérées entre les lignes de sermons, « d’influencer leur mentalité dans la prédication de l’Évangile ». Évitant de recourir à la méthode vaine de la morale prêchée de haut, il a préféré leur indiquer l’essence, profondément humaine, de la religion chrétienne : « La valeur de la vie. »
Pendant près de 22 ans, l’archimandrite Génadry a pu témoigner en effet « des habitudes injustes et sauvages des tribus de Jordanie », que le roi Abdallah avait tenté par ailleurs d’ébranler. « Tentative difficile, puisqu’il est ardu de faire changer ce qu’il y a dans le sang », souligne le prélat, rappelant que les mêmes lois relatives aux tueries vindicatives, par exemple, continuent de régir les rapports tribaux sur tout le Golfe persique.
S’agissant néanmoins des tribus chrétiennes, la prise de conscience lente mais inévitable des frustrations engendrées par la tradition de violence a trouvé un écho favorable auprès des prêtres. Sans intervenir dans les procès tribaux, présidés traditionnellement par le doyen de la tribu pour juger d’une affaire, les prélats ont pris des initiatives silencieuses qui ont permis de contourner certaines injustices et de réinsérer, au sein des tribus, une conception réajustée de la dignité humaine.

« Faire voyager une fille déflorée »
« Quand une fille perdait par exemple sa virginité, l’archimandrite la conviait à une institution religieuse en dehors du pays », se souvient Antoine Génadry. S’il a pu observer discrètement deux tribus s’entendre sur une somme d’argent pour contrer la revanche de l’une à l’assassinat par l’autre de l’un de ses membres, tandis que le coupable se cachait, protégé par la tribu la plus forte qui aurait convenu de l’accueillir, c’est que le prélat avait compris que pour s’interposer entre les deux parties, il fallait d’abord intégrer leur milieu en messager de paix, sans provocation. « Toute notre vocation est d’asseoir la paix, en vertu de deux constantes : servir et pardonner », affirme-t-il, révélant qu’il a réussi à régler des différends sur cette base.

Des pratiques tribales, même à Toronto
Il relève en même temps, presque paradoxalement, que « l’expérience a montré que les meurtres sont moins nombreux dans les pays régis par les lois tribales que dans les villes ». Comme si les tribus servaient de régulateurs d’une nature humaine portée sur la violence. Sur la base de ce constat, « seule l’éducation permet de se libérer véritablement ». Avec le temps, poursuit-il, « les chrétiens de Jordanie ont changé de mentalité, et beaucoup ont quitté le Sud, et même le Nord, pour s’installer à Chicago, Montréal et Toronto. Cette dernière compte à elle seule aujourd’hui 300 à 400 familles issues des tribus chrétiennes de Jordanie ». Leur intégration ne les a toutefois pas affranchies entièrement du passé tribal, dont elles conservent – étonnamment – des réflexes de meurtre et de revanche, dont les pratiques ponctuelles continuent de solliciter les médiations de l’archimandrite Génadry.
De ses 22 ans de jeunesse, « qui font partie de mon être », il s’est constitué, comme une immuable vérité, la conviction selon laquelle « l’enseignement du Christ et le travail se font essentiellement dans la réflexion propre de chacun, fût-elle entretenue par la présence silencieuse des prêtres ».

 

S. N.

Notre vie à l’est de la Jordanie, de 1950 à 1972. Ce titre ouvre une compilation de photos légendées, presque un souffle encore vif du passé, offertes par l’archimandrite Basilius Antoine Génadry à son frère, feu le général François Génadry, ancien commandant de l’École militaire. Les clichés en noir et blanc pris par le prélat cristallisent les souvenirs de sa vie auprès...
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