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À La Une - Coups d’épingle

À ses côtés ?

Le général Michel Aoun est bien inspiré de lancer un appel solennel aux Libanais pour les exhorter à affronter le « démantèlement » de l’État, comme il l’a fait lundi.
Il a parfaitement raison de considérer que la Constitution et les lois sont méthodiquement transgressées à chaque échéance et l’on ne peut que souscrire à son credo en faveur d’une « patrie régie par le droit et non par la loi de la jungle ».


La pertinence de son argumentation contre cette véritable manie de la prorogation des mandats, contraire au principe élémentaire de l’alternance au pouvoir, ne fait pas de doute. Et la liste d’ « exemples modèles » de transgression des textes qu’il a égrenée ne souffre aucune contestation.
Mais, sur un seul point, le principal pour lui, le général Aoun paraît difficilement crédible : lorsqu’il invite les Libanais à combattre le démantèlement de l’État à ses côtés. Comment cela serait-il possible du moment qu’on est raisonnablement en droit de penser qu’il est l’un des artisans de ce démantèlement qu’il dénonce ?

 

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Si sa liste est inattaquable, elle est néanmoins incomplète : on pourrait y adjoindre ses propres « exemples modèles » de transgression de la Constitution et ceux dont il partage la paternité avec ses alliés « stratégiques » du Hezbollah. En voici des illustrations :


En 2007-2008, dans une tentative visant en apparence à débloquer l’élection présidentielle, le général Aoun prit argument de sa position comme chef du bloc parlementaire chrétien le plus grand pour faire à Saad Hariri, vu exclusivement à travers le prisme de son leadership sunnite, la proposition suivante : au premier de « nommer » le futur président de la République, au second de « désigner » le chef du gouvernement. Une fois l’accord scellé entre les deux, les institutions, devenues chambres d’enregistrement, n’avaient plus qu’à le mettre en forme.
Cette proposition pouvait alors être considérée comme une consécration parfaite de la dérive du système politique libanais vers une sorte de fédéralisme communautaire contraire en tous points à l’esprit et à la lettre de la Constitution, dans la mesure où il va bien au-delà du confessionnalisme politique tel que voulu par les pères fondateurs de la République libanaise. S’il n’est pas lui-même l’inventeur de cette dérive, le général Aoun y a excellé en épigone, bien mieux que ses prédécesseurs.
Mais ce n’est guère le débat juridico-philosophique autour de cette dérive qui importe ici, c’est simplement le fait qu’en poussant le système politique vers ce fédéralisme-là, plus assimilable à la Loya Jirga des chefs de tribu qu’au confédéralisme suisse, on prend à l’évidence le risque de multiplier les blocages, voire d’instituer le blocage en méthode de gouvernement et... d’opposition. D’où le « démantèlement » de l’État dont parle à juste titre le chef du CPL.

 

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En 2009, le jour de la formation du cabinet dit d’ « union nationale » de Saad Hariri, le général Aoun prit soin de devancer le chef du gouvernement pour annoncer, de son domicile de Rabieh, les noms et les portefeuilles de « ses » ministres. À quoi pouvait rimer pareil comportement, clairement contraire aux normes institutionnelles, si ce n’est pour tenter d’inscrire ce type de fédéralisme dans les mœurs ?
Si chaque chef de bloc parle de « ses » ministres au sein d’un même gouvernement, à quoi logiquement devrait-on s’attendre de la part de ce dernier ? Au mieux à des donnant donnant, au pire à des blocages...
Au lendemain des législatives de 2009, l’ensemble de la classe politique décida qu’il fallait faire un pied de nez au vote des électeurs et céder au rapport de force sur le terrain en formant un gouvernement d’« union nationale ». Ce comportement ne constituait pas seulement une trahison des principes élémentaires de la démocratie, c’était surtout une porte ouverte à tous les blocages.
Dès lors, l’ensemble de la classe politique assume la responsabilité de l’état de « démantèlement » auquel les institutions sont parvenues et le général Aoun plus que d’autres puisque, dans le rapport de force en question, c’est du côté menaçant qu’il se plaçait.
À l’époque, le CPL, à l’instar de son allié « stratégique », faisait l’apologie du concept de la « représentation proportionnelle des blocs parlementaires au sein du gouvernement » – euphémisme désignant la volonté de détenir le tiers de blocage (encore ce mot) – et les revoici tous deux réclamant aujourd’hui la même chose au Premier ministre désigné.


En 2009, certains députés du CPL pouvaient encore faire étalage de pudeur et reconnaître que ce qu’ils réclamaient était « hors » de la Constitution, mais pas nécessairement « contraire ». Alors, « pourquoi pas ? » se demandaient-ils en signe d’autolégitimation. Aujourd’hui, on ne s’embarrasse plus de ce genre de scrupules. On fait comme si c’était entré dans les mœurs. De toutes les manières, le résultat est le même : il n’y aura pas de gouvernement de sitôt.
La liste n’est encore qu’à ses débuts... Que penser, par exemple, de la proposition de loi électorale dite « orthodoxe » dont le général Aoun se fit le chantre (aux côtés d’autres, hélas) ? Ce projet ne constitue-t-il pas le point d’orgue de l’espèce de fédéralisme tribal générateur de blocage (et donc de « démantèlement » de l’État) cité plus haut ?
Et que dire du fait que le général Aoun et son bloc furent parmi les premiers à envisager sans ciller, dès l’hiver dernier, l’ajournement des élections législatives ?


Mais trêve de broutilles, venons-en à l’essentiel : comment affronter le « démantèlement » de l’État lorsqu’on se considère l’allié « stratégique » d’un parti dont le statut est, du point de vue des règles constitutionnelles, proprement obscène, et qui, dans les faits, ne se contente pas de « démanteler » l’État, mais carrément l’explose ?
Le peuple libanais souhaiterait-il encore combattre le « démantèlement de l’État » aux côtés du général Aoun ?

 

 

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