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À La Une - Terrorisme

« C’est la pire nouvelle possible pour les musulmans américains »

Les attentats du 15 avril à Boston ont ravivé les blessures du 11-Septembre aux États-Unis, d’autant que les deux suspects tchétchènes, neutralisés par les forces de l’ordre, ont aiguillé les enquêteurs sur une piste islamiste possible. Deux experts se penchent pour « L’Orient-Le Jour » sur les conséquences d’une telle éventualité sur la minorité musulmane mal comprise au sein de la plus grande puissance mondiale.

Tamerlan (à gauche) et Djokhar Tsarnaev, deux jeunes Tchétchènes musulmans soupçonnés d’avoir fait exploser les deux bombes qui ont coûté la vie à trois personnes durant le marathon de Boston, le 15 avril.  Handout/FBI/Reuters

Après une chasse à l’homme digne d’un film hollywoodien, la ville de Boston a repris peu à peu son rythme normal.

 

Tout a basculé le lundi 15 avril, lorsque deux bombes ont explosé à douze secondes d’intervalle près de la ligne d’arrivée du célèbre marathon qui rassemble des milliers de personnes chaque année. Bilan : trois morts, dont un garçon de 8 ans, et près de 180 blessés dont plusieurs devront être amputés. En effet, les bombes en question étaient composées de cocottes-minute bourrées de clous et de billes pour que les dégâts occasionnés soient maximaux. Constituant la pire attaque sur le sol américain après celui du World Trade Center le 11 septembre 2001, les attentats de Boston ont aussitôt donné lieu à toutes sortes de réactions : solidarité, entraide, ainsi que condamnations internationales immédiates, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Mais encore, et surtout, l’absence de pistes et de revendications a donné lieu à toutes sortes d’hypothèses et de théories : terrorisme intérieur ou extérieur ? Piste islamiste ou d’extrême droite?

 

Le fait également que les explosions aient eu lieu ce jour-là – Patriot’s Day – rappelait tristement d’autres attentats survenus à cette même date (qui commémore les débuts de la guerre d’indépendance américaine en 1775). Pour n’en nommer que quelques-uns, en 1993, l’assaut ce jour-là des forces de l’ordre contre la secte des davidiens, barricadés et surarmés dans un ranch de Waco, au Texas. Quatre-vingt-deux personnes, dont 21 enfants, y perdent la vie. Trois ans plus tard jour pour jour, 168 personnes sont tuées dans les attentats d’Oklahoma City contre un bâtiment fédéral. Ses auteurs, des suprémacistes blancs, auraient voulu venger l’assaut de Waco. En avril 1999 a ensuite lieu la fusillade de Columbine : deux lycéens tuent 12 de leurs camarades, avant de retourner leurs armes contre eux, notamment pour « commémorer » les deux précédentes tueries. Sans oublier celle de l’université de Virginia Tech en 2007.

 

(Portraits : Tamerlan et Djokhar, deux frères attachés à leurs racines tchétchènes)

Premiers réflexes
Quoi qu’il en soit, dès les premières heures, l’on apprenait par les médias qu’un étudiant saoudien (blessé) a été brièvement interpellé et interrogé peu après les explosions, faisant craindre une résurgence de la méfiance, de la paranoïa même, américaine vis-à-vis des étrangers, plus particulièrement arabo-musulmans. Selon Élisabeth Vallet, directrice de recherche à la chaire Raoul-Dandurand, professeure associée en géopolitique et auteure d’ouvrages sur la politique étrangère américaine, « avant même que ne soit mentionnée son arrestation, le fait qu’un étudiant saoudien ait été blessé a été évoqué par les grands médias traditionnels (à commencer par CNN) et immédiatement la mention suivante a été ajoutée “et il ne semble pas qu’il soit impliqué dans ces événements”. Ce qui pouvait donc constituer une volonté très louable d’éviter que tout le monde opère un délit de faciès est en fait extrêmement gênante. Car elle suppose en effet qu’il y a un a priori important à l’égard des personnes originaires du Moyen-Orient. Il reste donc une forme de paranoïa rampante, qui est restée après s’être cristallisée, avec le 11-Septembre, sur les Arabo-musulmans ».

 

(Lire aussi: Boston : le profil d'une nouvelle génération venue au jihad par internet ?)

Amalgames
Quelle n’a donc été la surprise lorsque les enquêteurs ont suivi la piste et recherché deux suspects d’origine tchétchène et de confession musulmane, les frères Tamerlan (26 ans) et Djokhar (19 ans) Tsarnaev, apparus sur les caméras de vidéosurveillance près des lieux des explosions. Thomas Snégaroff, directeur de recherche à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste des États-Unis, juge alors que « c’est la pire nouvelle possible pour les musulmans américains, qui avaient très peur que ce soient des musulmans, parce qu’ils ont très peur de l’amalgame.

 

À peine les attentats ont-ils eu lieu que les médias conservateurs ont privilégié la thèse islamiste, plutôt que celle du terrorisme intérieur, contrairement à ce que les modérés ont pensé plus tôt. Le fait donc que les deux suspects soient des musulmans originaires d’Asie centrale, pas du Moyen-Orient, fait craindre aux musulmans américains un amalgame comme celui qui a suivi le 11-Septembre, une sorte de racisme à l’encontre de l’ensemble de la communauté musulmane aux États-Unis, racisme qui s’était en quelque sorte apaisé au cours des quelques dernières années ». Notons que cela est dû surtout à l’absence de nouveaux attentats sur le territoire américain, aux discours apaisants de Barack Obama à la communauté musulmane, à l’ouverture d’un centre communautaire musulman à proximité du Ground Zero à New York (même si une partie de l’opinion américaine ne l’avait pas acceptée)...

 

(Lire aussi: Attentat de Boston : les suspects adeptes des sites islamistes ?)

 

« Tout ça avait joué à contribuer à une pédagogie aux États-Unis visant à promouvoir une distinction entre islam et islamisme. Là, forcément, on commence à voir de nouvelles menaces, ça devient irrationnel, et quand l’irrationalité prend le pouvoir, des parallèles, des raccourcis très rapides voient le jour – on l’a vu aussi en France (nous nous référons notamment à l’affaire Merah) – entre islam et islamisme, et donc islamophobie. »

Réseaux sociaux
De même, il est essentiel de noter que dans la foulée des attentats de Boston, les réseaux sociaux ont très clairement démontré les réflexes de la société américaine. Dès lundi soir, un tweet circulait, révélant l’angoisse de la communauté musulmane US : « Please don’t be a Muslim », craignant à juste titre de revivre ce qui a suivi le 11-Septembre. Pour Mme Vallet, « effectivement, le risque est grand. D’un côté on peut penser que le président, qui a fait preuve de modération dans la qualification des événements (tardant à utiliser le mot de terrorisme), pèsera fort dans la balance pour prévenir la stigmatisation. D’un autre côté, dans une période où les États-Unis vivent une crise identitaire très forte (le fameux Who Are We de Samuel Huntington) liée à l’évolution démographique du pays, et où les groupuscules “haineux” d’extrême droite ont proliféré depuis une décennie, le terreau est fertile ; les risques sont donc énormes pour une communauté qui serait dénoncée car présumée coupable d’avoir porté atteinte à des symboles forts de l’identité nationale ». Toutefois, M. Snégaroff tempère un peu ces craintes de discrimination et de haine : « Il y en a toujours, il ne faut pas non plus exagérer, il y a toujours eu des radicaux pour s’exprimer ainsi sur les réseaux sociaux. La crainte réside dans le passage à l’acte, surtout dans le fait que dans l’opinion publique américaine, disons modérée, le “mainstream”, s’enracine l’idée que les musulmans sont des citoyens dangereux par définition, et pas intégrables à la société américaine. »

 

(Lire aussi : Boston : les droits du suspect peuvent être limités pour raisons de sécurité)

Vision simpliste et scénarios
Néanmoins, malgré le fait que les frères Tsarnaev soient de « fervents musulmans », aux dires de leur oncle Rostan, et qu’ils aient souvent posté des vidéos prônant le jihadisme sur certains réseaux sociaux, il ne faudrait peut-être pas non plus se précipiter sur la piste d’un réseau international dans le style el-Qaëda. D’ailleurs, selon les enquêteurs, ils auraient agi de manière isolée. Leurs proches également insistent sur le fait qu’ils étaient très tolérants, ouverts, et ne menaient pas exactement le train de vie auquel on pourrait s’attendre chez un musulman conservateur, à savoir que filles et soirées faisaient partie de leur mode de vie.

 

Nombres de personnes ont donc exprimé leur surprise sur le web, dévoilant une vision quelque peu manichéenne de l’« autre », comme le confirme M. Snégaroff : « C’est très simpliste, caricatural même, parce que dans la tête d’un Américain moyen de base, le musulman, c’est un Arabe. Donc là le fait que ce soient des Tchétchènes montre qu’il va falloir qu’ils revoient un peu ce qu’est l’islam, et cela permettra peut-être de remettre les choses à leur place. Le travail du politique sera d’éviter des amalgames dangereux. »


Plusieurs scénarios envisageables pour la communauté musulmane américaine sont donc à craindre, pour Élisabeth Vallet, qui estime que « les distinctions que “nous” sommes capables de faire (Arabes/non-Arabes – Asie centrale/Moyen-Orient), les Américains ne sont pas toujours à même de le faire ». La spécialiste propose deux raisons principales à cela : « L’absence d’un enseignement réel de la géographie dans beaucoup d’États au secondaire ET, le poids des médias de masse de droite qui tendent à la simplification », en référence notamment à Fox News, l’exemple le plus criant. « Les risques d’amalgame sont considérables. Oui, certains médias (comme le New York Times) ont déjà tenté de replacer les choses dans leur contexte après l’emballement du début de la “traque” », ajoute-t-elle. « Mais le problème demeure. Réel et entier. Et sur fond de discussion autour de la réforme de l’immigration au Congrès, l’instrumentalisation des événements, la stigmatisation de la communauté musulmane, la question de la fermeture/porosité des frontières et de leur sécurité vont être réelles », conclut Mme Vallet.

 

 

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