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À La Une - Liban-Reportage

Encerclés par l’armée, les habitants de Ersal accusent le Hezbollah

À Ersal, localité témoin de l’incident qui a coûté la vie à deux soldats, les habitants se demandent où sont passés quatre cadavres qu’ils avaient livrés à l’armée.

Le déploiement massif de l’armée autour de Ersal. Photo Wissam Ismaïl

Soixante kilomètres de frontière avec la Syrie (les départements de Homs et de Rif el-Cham), 40 000 habitants exclusivement sunnites enclavés dans une zone chiite, et une population qui soutient, depuis le printemps 2011, les révolutionnaires syriens, Ersal est située au pied de la montagne de l’Anti-Liban. Hier, et depuis vendredi soir, quelques heures après la mort de deux soldats libanais à Ersal, la localité était toujours encerclée par l’armée.
La troupe avait dressé des barrages à toutes les entrées de Ersal, fouillant minutieusement les voitures et les habitants qui quittent ou arrivent dans la localité. L’armée compte ainsi arrêter les individus impliqués dans la tuerie des deux soldats : le commandant Pierre Bechaalany et l’aspirant Ibrahim Zahraman. 

 

(Lire aussi : Vaste opération militaire de la troupe)


Il existe deux versions concernant l’incident de vendredi : celle de la troupe qui avait souligné dans un communiqué que les deux soldats étaient tombés dans une embuscade alors qu’ils arrêtaient Khaled Ahmad Hmayed, recherché par la justice. Selon le texte, ce dernier a été tué dans un échange de coups de feu et des dizaines d’individus avaient tiré en direction de la troupe.
Et il y a l’autre version, celle des habitants de Ersal, qui rapportent tous comme un seul homme les événements qui se sont déroulés, tout au long de trois heures, dans la localité et son jurd, ce vendredi-là, montrant des photos et présentant à la presse des témoins oculaires qui préfèrent cependant conserver l’anonymat.
Voila la version des habitants interrogés :
« Khaled Hmayed est un combattant de l’Armée syrienne libre. Il était le chef d’une unité formée d’habitants de la localité et de Syriens réfugiés à Ersal. Il avait pris les armes depuis le début des événements en Syrie. Souvent il ramenait avec lui, au Liban, des blessés ou des réfugiés. Vendredi midi, il se rendait à la mosquée pour prier. Deux véhicules, une camionnette Toyota blanche et une Honda Accord CRV couleur bleu marine, l’attendaient en chemin. Les deux voitures ont bloqué la camionnette, des hommes en civil en sont sortis et avec des armes automatiques, ils ont tiré sur le pare-brise du véhicule que Khaled conduisait. Ils ont ouvert la portière de la camionnette, ont traîné le cadavre jusqu’au sol. Lui ont encore tiré deux balles dans la tête et l’on transporté à bord de l’une de leurs voitures ».



 « Officier en civil »
Hier, l’on pouvait toujours voir sur la chaussée, garée à l’extrême droite, sur la route menant au domicile de Hmayed, sa camionnette dont le pare-brise est criblé de balles.
« Quarante-trois balles ont transpercé le pare-brise. Regardez son sang qui a giclé sur les deux sièges avant. Et regardez encore ces taches brunes sur le sol. C’est quand ils l’on traîné par terre », indique un témoin.
Les habitants rapportent encore : « Les hommes en civil ont emprunté la route du jurd. Ce sont des gens qui connaissent la région car ils ont pris la route de Rayene, une zone montagneuse de Ersal, qui mène à Nahlé, un village sous la coupe du Hezbollah. À Rayene, deux véhicules Hummer de l’armée libanaise les attendaient. Les habitants de Ersal ont suivi les voitures jusqu’à Rayene, où elles ont été bloquées par la neige. Certains hommes, qui étaient en tenue civile, et qui se trouvaient à bord des véhicules, ont pris la fuite à pied. D’autres ont été tués et d’autres encore blessés. »
« En tout, six personnes ont été tuées. Il y avait le commandant de la patrouille, Pierre Bechaalany, qui était en civil, et l’aspirant Ibrahim Zahraman, en treillis militaire, mais qu’a fait l’armée des quatre autres cadavres que nous avons également transportés à la caserne de Ersal », demande-t-on dans la localité. Ils font aussitôt le lien avec des funérailles de miliciens du Hezbollah enterrés, selon eux, en week-end et hier à Laboué, Bzalié et Oura Bsalim.
Mais pourquoi les habitants de Ersal ont transporté les cadavres de la municipalité à la caserne de la localité ?
Cette caserne a été mise en place depuis plus de sept ans et il semble que les relations sont bonnes entre la troupe et les habitants ; l’armée libanaise compte environ 3 000 soldats originaires de Ersal.
Les habitants poursuivent leur histoire :
« Le président du conseil municipal, Ali Houjeiry, est entré en contact avec la caserne de l’armée qui se trouve dans la localité, pour rendre compte des véhicules Hummer dans le jurd. Mais après maints coups de fil, les soldats de la caserne nous ont informés que le commandement de la troupe n’était pas au courant de l’opération. Nous avons transporté les cadavres et les blessés au siège de la municipalité pour la simple raison que cette dernière a reçu diverses aides en matière de premiers secours, de plusieurs ONG internationales, destinées aux réfugiés syriens, accueillis dans la localité. Tout s’est fait en coopération avec l’armée, qui a demandé au président du conseil municipal de remettre les Hummer et les corps des individus tués à la caserne et de transporter les blessés dans les hôpitaux de la région. C’est pour cette raison que le fils du président du conseil municipal a conduit l’un des véhicules où se trouvaient les cadavres », affirme-t-on encore.
Le président du conseil municipal et Ahmad Fliti, son vice-président, reçoivent des délégations, dont l’une venant de Dar el-Fatwa de Baalbeck au siège de la municipalité.

« Le Hezbollah livre une bataille sous l’étendard de l’armée »
Houjeiry, qui confirme la version des habitants de Ersal depuis vendredi dernier, conclut à l’adresse de L’Orient-Le Jour : « C’est dommage que le Hezbollah mène une bataille contre Ersal en utilisant l’étendard de l’armée libanaise. »
Ahmad Fliti met l’accent, de son côté, sur la lutte que le village a menée durant trente ans d’occupation contre l’armée syrienne. « Sous l’occupation, le régime Assad a tué 27 habitants de Ersal, les liquidant tout simplement après les avoir arrêtés aux barrages militaires. En 1991, les soldats syriens avaient tiré sur un convoi funèbre, une chose qui n’est arrivée dans aucun autre village du Liban », dit-il.
Un homme présent au siège de la municipalité se souvient qu’en novembre 2011, des hommes en civil s’en étaient pris à des maisons et des familles de la localité à la recherche de réfugiés syriens. Aujourd’hui, la localité en compte 12 000. Et comme toutes les zones frontalières du Liban, des liens de parenté rapprochent les habitants de Ersal de leurs voisins en Syrie. 

 

(Lire aussi: Des lectures politiques différentes)


Depuis le début des événements en Syrie, cinq habitants de la localité ont péri par des obus syriens lancés en direction de leurs terrains agricoles.
Les personnes interrogées à Ersal rapportent également que depuis une dizaine de jours, l’armée syrienne s’est retirée de la frontière. « Maintenant on peut aller en Syrie sans passer par aucun barrage », assurent-ils. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui lient l’incident de vendredi dernier au retrait de l’armée syrienne de la frontière.
Un peu plus loin du conseil municipal, deux grandes tentes sont dressées devant un bâtiment en dur. C’est ici que la famille de Khaled Hmayed reçoit les condoléances. Les personnes présentes reprennent la version des autres habitants croisés en chemin. Hussein Ahmad Hmayed, le frère de Khaled, déclare : « Je suis aussi triste pour mon frère que pour les soldats de l’armée qui sont tombés à Ersal. Chaque maison de notre localité compte au moins un soldat. Mon frère n’a pas été tué par l’armée, mais sous les feux du Hezbollah. Ils le connaissaient. Depuis deux ans déjà, il se rendait en Syrie avec son unité. Il allait à pied, traversait le village chiite de Kseir et d’autres localités du Hermel. Il était rentré au Liban trois jours avant son décès, il avait ramené avec lui un blessé, qui est mort exténué une fois arrivé à Ersal. » « Le Hezbollah savait qu’il était là et l’attendait. Mon frère n’était pas recherché par la justice. Nous portons l’armée dans notre cœur et nous voulons qu’elle nous protège », souligne-t-il en conclusion.
Contacté en soirée pour commenter les réactions des habitants de la localité, le ministre de la Défense Fayez Ghosn était injoignable.

 

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