Rechercher
Rechercher

À La Une - Liban

Ersal : L’affaire racontée minute par minute par l’armée

Le chef des services de renseignements de l’armée parle rarement à la presse. En général, il préfère agir sur le terrain et dans la plus grande discrétion, si possible. Mais le général Edmond Fadel a pour une fois dérogé à ses habitudes et réuni des représentants de la presse locale. C’est que l’heure est grave et les événements à Ersal exigent non seulement la plus grande vigilance mais aussi l’aide des médias pour mettre un terme aux versions fantaisistes qui circulent et qui, consciemment ou non, enveniment encore plus un climat général suffisamment tendu. L’officier, qui ne cache pas sa peine d’avoir perdu deux de ses hommes, reprend l’histoire depuis le début, répondant à toutes les questions avec un grand souci de transparence.
Khaled Hmayed, alias Abou Koutayba ou encore Adam Chahine (il a peut-être encore d’autres surnoms, tant ceux qui évoluent dans cette mouvance aiment à prendre de nombreuses identités), est recherché depuis longtemps par l’armée. Il a participé à l’enlèvement des Estoniens et à la mise à l’abri d’un autre militant recherché par la justice, Abdel Ghani Jawhar, qui avait attaqué des bus de l’armée au Nord. Khaled Hmayed avait réussi à le faire fuir via Majdel Anjar. Il l’a caché pendant 15 jours chez lui avant d’assurer son départ vers la Syrie. Khaled a aussi participé à l’attaque d’un barrage des « Fouhoud » (les commandos des FSI) et il coopère de près avec le groupe des « Kataëb de Ziad Jarrah et Abdallah Azzam » proches de la mouvance el-Qaëda. Il a aussi des connexions dans le camp de Aïn el-Héloué et avec Jabhat al-Nosra en Syrie. Bref, il s’agit d’un homme dangereux, capable de mobiliser les foules et qui évolue dans le sillage de Fateh el-Islam, Jabhat al-Nosra et les groupes qui leur sont alliés. Les SR de l’armée le guettent depuis longtemps pour pouvoir l’arrêter. En réalité, Khaled Hmayed partage son temps entre le Liban et la Syrie et lorsqu’il est au Liban, dans sa localité natale de Ersal, il évite d’utiliser les téléphones portables pour ne pas être repéré. Les SR de l’armée avaient toutefois réussi à localiser son domicile dans la partie sud de la bourgade, qui abrite plus de 40 000 résidents (dont 500 sont dans la troupe),en plus de 20 000 déplacés syriens. Par leurs moyens de surveillance, ils ont réussi à savoir que Khaled Hmayed est au Liban. Ils ont donc décidé de l’arrêter par le biais d’une opération discrète afin d’éviter l’effusion de sang. Ce jour-là, les guetteurs des SR ont vu Khaled quitter son domicile. Une unité de dix soldats (deux habillés en civil et huit en uniforme militaire) répartis en deux voitures de type Humvee lui tombent dessus. (À ce point du récit, le général Fadel précise qu’il n’y avait pas de membres du Hezbollah avec les soldats, car ceux-ci ne l’auraient pas permis, ni les sunnites ni les chrétiens et encore moins les chiites, qui s’ils le voulaient auraient pu s’enrôler directement dans le Hezbollah, mais ont préféré l’armée).
Il y a un échange de coups de feu et Khaled Hmayed tire le premier quatre balles en direction des soldats. Ceux-ci ripostent et Hmayed est blessé. Les militaires s’en emparent et le transportent dans un de leurs véhicules. Ils voulaient quitter au plus vite Ersal, mais il neigeait et les routes cahoteuses rendaient leur avancée difficile. Les deux voitures avançaient péniblement. Il leur a fallu une heure pour faire quelques kilomètres. Ce qui a facilité aux partisans de Hmayed alertés par les coups de feu, l’organisation d’une embuscade à 18 km de la bourgade. Les militaires n’étaient que dix mais ils devaient soudain affronter plus de 80 hommes qui ont débarqué à bord de mobylettes et encerclé les deux voitures. Il y avait probablement des Syriens parmi eux, mais on ne pouvait pas en être sûr à cent pour cent à ce stade.
L’officier Bechaalany est tué au cours des affrontements alors que le sergent Zahraman est blessé. Les militaires se défendent comme ils peuvent, mais les assaillants sont les plus forts et ils savent parfaitement qu’il s’agit de soldats, puisque huit d’entre eux portaient des uniformes, alors que les voitures étaient aisément identifiables comme appartenant à la troupe. D’ailleurs, ce sont les assaillants qui ont filmé la scène et ont ensuite communiqué les films aux médias, car ils étaient fiers de leurs actes. Les soldats sont alors emmenés vers le siège de la municipalité où ils sont exposés pendant 3 heures devant la foule ameutée pour participer aux « festivités ». Les blessés (dont trois graves) sont torturés devant les habitants. Des couteaux sont utilisés, mais pas de haches ou de bâtons de fer comme cela a été dit. Il a fallu l’intervention du directeur des FSI le général Achraf Rifi pour que l’exposition des blessés et des morts soit suspendue. Au final, sur les dix militaires participant à l’opération, l’armée a eu deux morts et huit blessés.
En réponse à une question, le général Fadel a catégoriquement démenti la présence de membres du Hezbollah avec les soldats, précisant que si les assaillants avaient trouvé un membre du Hezbollah, ils ne l’auraient jamais relâché. Ils ont bien vérifié les identités des soldats avant d’autoriser la remise des blessés et des dépouilles mortelles à la Croix-Rouge. Il faut encore signaler le fait que pendant l’exhibition des soldats au siège de la municipalité, cheikh Moustafa Hojeïry, alias Abou Takyé, a incité la foule à s’en prendre aux militaires, à partir de la mosquée où il prêche, jetant ainsi de l’huile sur le feu.
Le général Edmond Fadel a expliqué que ces détails sont le fruit de l’enquête menée par les services autorisés de l’armée auprès des militaires rescapés et des habitants. Il a affirmé que l’armée ne peut pas recourir à la vengeance et ne considère pas Ersal et ses habitants comme des ennemis ou comme un environnement hostile. Elle se contente simplement d’appliquer la loi et ceux qui ont agressé les soldats doivent être remis à la justice. Il a aussi rejeté les critiques au sujet du modus operandi de la mission, précisant que l’armée mène souvent des opérations de ce genre et qu’il y a toujours des risques. D’ailleurs, en faisant son devoir, l’armée sait qu’elle peut avoir des victimes, ceux-là la rendant plus forte et plus déterminée, d’autant que les citoyens lui demandent de les protéger.
Le ton grave, le chef des SR a affirmé que Ersal ne sera pas un nouveau Nahr el-Bared et qu’il n’y aura pas non plus dans cette localité une réédition de l’affaire de Chadi Mawlawi (arrêté par la Sûreté générale comme faisant partie du réseau el-Qaëda, il avait été relâché avec les honneurs suite aux pressions politiques). Mais il a bien précisé que l’armée considère qu’elle n’a pas d’ennemis et que sa mission est de protéger le Liban et les Libanais.
À la question de savoir si la troupe ne s’en prend qu’aux localités sunnites, évitant d’agir dans la banlieue sud ou dans les régions chiites, le général Fadel a rappelé que l’armée avait arrêté 23 personnes de la famille Mokdad il n’y a pas si longtemps en plein cœur de la banlieue sud, tout comme elle a mené des opérations dans la Békaa, dans le fief de la tribu Jaafar. Il a encore révélé que l’opération avait été préparée depuis deux semaines et que son timing n’était pas lié au voyage du commandant en chef de l’armée en France. Ce dernier était d’ailleurs tenu au courant des développements minute par minute. Enfin, le général Fadel a insisté sur la nécessité de maintenir l’armée loin de la politique et du confessionnalisme. Il a répété que celle-ci ne veut pas combattre les Libanais ni entrer en conflit avec eux, mais que son devoir est de protéger le pays et que dans ce cas précis, ceux qui l’ont agressée devront être livrés à la justice.

 

Reportage

Encerclés par l’armée, les habitants de Ersal accusent le Hezbollah

 

Lire aussi

Vaste opération militaire de la troupe

 
Le chef des services de renseignements de l’armée parle rarement à la presse. En général, il préfère agir sur le terrain et dans la plus grande discrétion, si possible. Mais le général Edmond Fadel a pour une fois dérogé à ses habitudes et réuni des représentants de la presse locale. C’est que l’heure est grave et les événements à Ersal exigent non seulement la plus grande...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut