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Nos Lecteurs ont la Parole

I.- Afin que l’Église libanaise devienne la voix de ceux que l’on n’entend pas...

Par Wissam MACARON
Est-il normal de rester coincé quatre heures sur la route de Dahr el-Baïdar ? Est-il normal de payer l’électricité plusieurs fois à chaque échéance ? Est-il normal de craindre pour sa sécurité à chaque fois que l’on prend sa voiture ? Le pape est venu au Liban il y a trois mois, a empli nos cœurs d’espoir, avant de repartir, mais en quoi notre pays a-t-il changé depuis ?
Différents constats apparaissent aujourd’hui pour qui veut analyser la situation politique et sociale générale libanaise avec quelque distance.
Le premier constat – peut-être le plus flagrant – tient à l’incapacité à traiter les véritables problèmes, et ceci même lorsqu’il s’agit des questions les plus consensuelles. Lorsque – après de multiples discussions et tergiversations – des lois sont finalement édictées (la mise en place de radars pour lutter contre la vitesse excessive ou l’interdiction de fumer dans les lieux publics), ces lois passent bien vite à la trappe, avant d’être finalement oubliées faute de discipline, de sérieux ou de volonté politique réelle.
Pourquoi tant d’amnésie ? Pourquoi tant de laisser-aller et de paralysie au sein de la classe politique, et plus largement au sein d’une société libanaise qui ne parvient même plus à exiger de ses représentants les avancées les plus basiques ?
Pourquoi les citoyens libanais doivent-ils mendier et se livrer à toute sorte de courbettes et d’acrobaties pour voir leurs droits les plus primaires respectés : celui d’être entendu et celui de voir leurs problèmes véritablement pris en considération ?
Plusieurs raisons tiennent à cela. L’une des raisons premières tient à l’incapacité à faire répondre de leurs actes les représentants et les agents de la fonction publique. Le souvenir de la guerre et des difficultés traversées sont en effet si vivaces dans la mémoire collective des Libanais que la seule exigence véritable émanant de ces derniers tend à concerner la paix civile et la sécurité.
Ainsi, alors que le monde arabe tout entier est parcouru de spasmes convulsifs du changement social, les citoyens libanais semblent totalement anesthésiés, sous l’effet dissuasif du puissant fantôme de l’instabilité et des troubles passés, instrumentalisés avec brio par les maîtres chanteurs de la classe politique locale (qui jouent avec talent depuis plusieurs années sur la crainte perpétuelle du spectre de la fitna).
Les conséquences de cette situation se manifestent dans une passivité, une résignation et un fatalisme qui – facilités par la division confessionnelle du pays – empêchent tout processus véritable d’amélioration politique et sociale, et cela malgré toutes les vexations quotidiennes endurées par les citoyens libanais dont la patience semble désormais sans limite.
Ainsi, alors que le monde entier, du Brésil à l’Extrême-Orient chinois en passant par l’Afrique dont la croissance économique récente surprend les observateurs les plus avertis, est traversé par un véritable volontarisme et une prise de conscience qui conduit immanquablement à plus de modernité, davantage de progrès économiques suivis d’avancées sociales, qui elles-mêmes provoquent plus de transparence, une meilleure gouvernance, moins de corruption et davantage de respect des citoyens, le Liban quant à lui reste empêtré dans un sombre marasme qui semble totalement figé et dans lequel plus aucune perspective d’issue ne semble ouverte. Le pays du Cèdre continue ainsi de se ranger dans le tristement célèbre classement des pays les plus corrompus du monde.
Alors que nous brillons à l’étranger, que nous manions avec aisance plusieurs langues, et que notre intelligence est saluée par beaucoup, pourquoi sommes-nous condamnés à tant de misère dans notre propre pays ?
Les raisons de cette situation sont nombreuses, et difficiles à traiter dans un article, si long soit-il. Nous pouvons néanmoins tenter de nous focaliser sur une question plus spécifique à partir de laquelle nous pouvons tenter de définir les contours d’une solution partielle à cette paralysie libanaise généralisée. Cette question que nous pouvons aborder ici est avant tout celle du leadership (et de son absence presque chronique dans le cas libanais).
Si l’on regarde en arrière, que constate-t-on ? Les récentes décennies nous ont implacablement démontré le manque de leadership au sein d’une classe politique libanaise davantage intéressée par des querelles intestines et les éléments de division plutôt que par une réelle volonté de rassembler, d’aborder et de traiter les véritables problèmes. L’autre constat irréfutable concerne le non-renouvellement et le maintien presque maladif des mêmes acteurs, des mêmes noms et des mêmes partis aux principaux postes de responsabilité.
Il y a ainsi fort à parier que même dans le cas où un accord sur un nouveau système électoral – plus juste envers les chrétiens – était finalement entériné (proposition de la Rencontre orthodoxe ou autre), il est probable que ce soit, à la suite des prochaines élections (si ces dernières ont bien lieu), très largement les mêmes acteurs, les mêmes noms et les mêmes partis qui se partageront une nouvelle fois le juteux gâteau des principales responsabilités libanaises.
Or un constat s’impose. Si depuis plusieurs décennies ces figures nous ont conduits aux résultats que nous ne connaissons que trop bien et dont nous souffrons si largement aujourd’hui, comment pourrions-nous envisager dans l’avenir de quelconques améliorations sociales, politiques et économiques ?
Comment pouvons-nous envisager un progrès quelconque si ces mêmes acteurs continuent de se partager le pouvoir et les portefeuilles ministériels, surtout si ces derniers ne sont pas bousculés ni remis en question et s’il n’existe pas, sous quelque forme que ce soit, un contre-pouvoir crédible ?
Dès lors, nous voyons bien que deux solutions s’imposent : la première concerne la nécessité d’offrir les conditions d’un renouvellement de la classe politique libanaise. Mais cette option – couronnement d’un long processus d’éducation et de sensibilisation – nécessite un changement progressif, lui-même fruit d’un meilleur système structurel et d’une longue dynamique qui restent encore à enclencher.
La deuxième option, peut-être plus facile à mettre en place, consiste à bousculer les responsables politiques en poste et à venir, afin que ceux-ci commencent à considérer davantage les citoyens libanais et se mettent enfin à véritablement traiter de manière effective plutôt qu’en superficie les problèmes qui nous concernent chacun. Il s’agit pour nos responsables politiques dorénavant de régler les problèmes et non plus d’avoir l’apparence de les traiter. Comment procéder pour aboutir à ce résultat?
(À suivre)

Wissam Macaron est docteur en religions et systèmes de pensée de l’EPHE Paris et enseignant à l’université.
wmacaron@gmail.com
Est-il normal de rester coincé quatre heures sur la route de Dahr el-Baïdar ? Est-il normal de payer l’électricité plusieurs fois à chaque échéance ? Est-il normal de craindre pour sa sécurité à chaque fois que l’on prend sa voiture ? Le pape est venu au Liban il y a trois mois, a empli nos cœurs d’espoir, avant de repartir, mais en quoi notre pays a-t-il changé depuis ?...

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