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Nos Lecteurs ont la Parole

Images et souvenirs

Par Sylvie EDDÉ SHLINK
C’était au mois d’avril 1972, un mois marqué par des épreuves, des peines. Des souvenirs nous restent empreints d’émotion et de tendresse. La vie se déroulait au rythme des saisons.
Ma mère, la haute autorité de la famille, avait l’habitude de lancer des décrets, des dates immuables.
C’était le départ pour les vacances un 23 juin, le retour vers la grisaille de la ville un 28 septembre, dates auxquelles on devait se conformer, « un point, c’est tout ».
Mon père avait alors juste le temps de récupérer un œuf dur, une tomate, une pincée de sel et de poivre enveloppés et enfouis dans un coin du matelas retourné et ficelé de tous côtés: destination
villégiature.
C’était le grand bain de tête du samedi soir, surveillé de près par ma mère derrière la porte. Il fallait compter jusqu’à 20 avec menace de rebelote, le cuir chevelu à vif et tout luisant.
C’était Monsieur Joseph, le répétiteur, tout clopinant, tarbouche instable, canne et petit bâton à la main pour rythmer les césures d’une même phrase figée pour l’éternité : « A-dè-le va à l’é-co-le », répétée par ma voix minaudante. Mon père, bercé par une Adèle qui n’en finissait pas d’aller à l’école et surtout par le glouglou du narguilé et l’arôme qui s’en dégageait, se mettait à l’aise et laissait échapper un ronron sonore. Tableau d’une touchante simplicité, interrompu par le ton courroucé de ma mère qui mettait fin au règne de Monsieur Joseph.
C’était le tapis ajami adjugé par distraction par mon père «à la ouna, à la doué, à la tré», rapporté à la maison et exposé durant quatre jours sous un soleil cuisant.
C’était un échafaudage de boîtes : les dragées Jacquin juchées sur des biscuits Marie, les loukoum et l’incontournable chocolat de «M. Noura» maintes fois corrigé par M. Chaaraoui mais ignoré par ma mère.
C’était une note de rappel inchangée! «Ne barricade pas la porte avant de voir si Michel est rentré ou bien Georgine.»
Excédée par l’omniprésence de mes aînés, je décidai un jour de marquer un point, c’est moi qu’on attendrait.
Stupeur, branle-bas général, j’étais tout simplement tapie dans un coin de la salle de bains arabe, j’avais réussi à intriguer ma famille.
C’était mon père, notre fierté, « Monsieur Sélim bey Eddé, directeur de la Banque de Syrie et du Liban ». C’était aussi et surtout mon père, ses farces, ses blagues qui égayaient une certaine monotonie, mais d’une extrême sensibilité qui ne supportait pas de voir ma mère affaiblie dont la santé déclinait et qui lui intimait l’ordre de sortir : «Sélim, sors, va au cercle, ne t’abrutis pas comme moi, ne montre pas tes cartes et surtout ne joue pas deux fois.»
C’était le 10 avril 1972, la semaine sainte, mon père m’avait confié ses papiers personnels, le petit transistor, sa montre et son carnet acoustique.
«Que serais-je sans toi... que cette heure arrêtée au cadran de la montre, que serais-je sans toi que ce
balbutiement.»
Il était minuit, mon père venait de rejoindre ma mère, partie deux jours auparavant. Quelle fidélité! Quelle
élégance!
Le relais était assuré, une promesse de vie était annoncée qui nous enchante toujours, «Karim» allait bientôt pointer le bout de son nez.
C’était au mois d’avril 1972, un mois marqué par des épreuves, des peines. Des souvenirs nous restent empreints d’émotion et de tendresse. La vie se déroulait au rythme des saisons. Ma mère, la haute autorité de la famille, avait l’habitude de lancer des décrets, des dates immuables.C’était le départ pour les vacances un 23 juin, le retour vers la grisaille de la...
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