Il est communément admis qu’il n’y a pas de faux proverbe. Toutefois, celui qui avance que la « vengeance est une plat qui se mange froid » n’est pas assez pertinent à mon sens. La vengeance est un ressentiment qui, ni froid, ni chaud, ni chambré ne se mange, pis encore, un feeling tellement indigeste qu’aucune boisson, aucun Maalox ne sauraient faire passer. Que ce soit dans le cadre de votre profession, de votre vie privée ou de vos relations sociales, vous en avez tous fait l’expérience. S’acharner à vous venger d’une personne qui vous a causé du tort pour une quelconque raison revient à retourner le poison contre vous-même, pendant que l’autre, ne se doutant de rien, mène sa vie le plus allègrement du monde.
Cela me rappelle, pour la petite histoire, Iznogood, désireux de devenir calife à la place du calife, complotant, se vengeant en boucle de ce bon Haroun el-Poussah, lequel ne se doute de rien, tandis qu’Iznogood, qui se faisait du mauvais sang, tombe immanquablement dans son propre piège, ne réussissant pas à accéder au trône.
Dépassées par ailleurs les vendettas mafieuses au fil des générations pour sauver l’honneur ou encore la notion de la loi du talion. Même si cela est facile à dire, combien il est plus élégant d’opter pour la zen attitude plutôt que de faire du mal et de rentrer dans un engrenage infernal. Ne savons-nous pas quelque part dans notre cœur que le litige sera un jour tranché par une force beaucoup plus puissante ? Qui sommes-nous, communs des mortels, avec nos failles, nos zones d’ombre, notre contentieux, notre petite enfance, nos pleurs et nos souffrances refoulées, autant d’éléments qui déterminent nos actes, pour nous permettre de juger ou de nous venger d’un être handicapé par maints talons d’Achille ? J’aime à penser, dans ce même contexte, à cette notion extrême-orientale du « karma », laquelle est censée nous faire renoncer à toute pulsion vindicative, car c’est uniquement elle qui se charge de nous faire vivre, dans toutes nos vies, ce que nous méritons selon nos actions, et de récolter ce que nous avons semé dans nos vies antérieures.
Somme toute, que de fois vous vous êtes battus, toutes griffes dehors, pour rendre à l’autre le mal qu’il vous a fait, puis un jour, après avoir déposé les armes et au moment le plus inattendu, l’on vient vous servir votre vengeance sur un plateau d’argent ? À ce moment, même froide, si nous voulons rendre justice au proverbe, on sera imperméable à cette « revanche » jadis si désirée et aujourd’hui si accessible. Arrivés à un nouveau chapitre du livre de votre vie, ou pour rester dans la note, à une toute autre page des suggestions gourmandes de votre menu, vous regarderez alors avec indifférence ce plat devenu froid, lui tournerez le dos, appellerez le maître d’hôtel, et sans plus tarder, lui commanderez de votre ton le plus détaché votre meilleur entremets !
Lina SINNO