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À La Une - Golfe

La radicalisation au sein de la dynastie al-Khalifa empêche toute avancée à Bahreïn

Une suspicion envers l’opposition chiite de la part des révolutionnaires des autres pays arabes, qui considèrent que le mouvement de contestation est appuyé par l’Iran, justifie le manque de solidarité de leur part à la révolte dans ce pays.

La statue qui trônait en plein milieu de la place de la Perle, épicentre de la révolte, a été abattue par les autorités le 18 mars 2011 pour effacer « les mauvais souvenirs ».  Photo AFP

Alors que la répression en Syrie accapare actuellement l’information régionale, la révolte à Bahreïn, qui vient de commémorer son premier anniversaire, continue de passer presque inaperçue.
En effet, de février à mars 2011, les chiites qui représentent de 65 à 70 % de la population de ce petit royaume de 700 000 habitants se révoltaient contre la monarchie sunnite dirigée par le roi Hamad ibn Issa al-Khalifa, réclamant la démission du Premier ministre, Khalifa ben Salman al-Khalifa (oncle du roi), qui gouverne le pays depuis 40 ans.
En plus des réformes constitutionnelles, les chiites réclamaient davantage de droits, notamment concernant l’accès au logement et aux emplois dans la fonction publique.
Les manifestations avaient duré presque un mois et la répression a fait au moins 35 morts. À la mi-mars, à l’appel du roi, des soldats saoudiens, émiratis et qataris de la force commune du CCG (Conseil de coopération du Golfe) investissent le pays et répriment violemment les manifestations. La place de la Perle, épicentre de la contestation, est évacuée, le monument de sa place centrale est détruit, et la révolte est matée.
Riyad avait ainsi justifié son intervention militaire par l’appui de l’Iran aux chiites du Bahreïn. Pourtant, c’est bien l’intervention de l’Arabie saoudite qui a provoqué la colère de Téhéran et de toutes les minorités chiites de la région. Certains observateurs ont d’ailleurs estimé que l’intervention militaire saoudienne a exacerbé les tensions communautaires entre sunnites et chiites, pourtant marginales, au départ, à l’intérieur de Bahreïn.
Un rapport réalisé par une commission d’enquête indépendante, et publié en novembre dernier, a en outre dénoncé l’utilisation « excessive de la force » et la torture pratiquée par les forces de sécurité.

Un an après, rien n’est réglé
Un an après, la situation à Bahreïn n’a pas beaucoup évolué. La tension reste palpable et des manifestations ont régulièrement lieu à travers le pays faisant de nombreuses victimes, ainsi que des milliers de prisonniers. Le monarque a néanmoins entamé des réformes timides qui ne remettent pas en cause les prérogatives de la dynastie régnante. On a ainsi parlé de révolution avortée.
À l’occasion du premier anniversaire de la révolte, les heurts entre les manifestants et les forces de l’ordre ont repris – même s’ils restent de faible intensité, alors que les signes d’apaisement se sont multipliés. D’une part, le roi s’est dit déterminé à poursuivre les réformes politiques alors que l’opposition bahreïnie, notamment le puissant parti al-Wefaq, s’était dit prête à un dialogue devant conduire à une véritable monarchie constitutionnelle.
Toutefois, pour Olivier Da Lage, spécialiste des pays du Golfe, « rien n’est réglé : les problèmes qui existaient il y a un an sont toujours là ». On a pu voir ces dernières semaines, à l’approche du premier anniversaire de la révolte, que les manifestations et la répression se poursuivent. « Et en dépit d’une campagne de communication tous azimuts des autorités, pour dire qu’ils mettent en œuvre les recommandations du rapport de la commission Bassiouni, Chérif Bassiouni lui-même a déclaré publiquement que le royaume de Bahreïn n’a pas suivi ses recommandations », ajoute-t-il.
« Il est clair que la révolte à Bahreïn n’a pas abouti, dans le sens où elle n’a pas apporté de changement formel dans le pays d’un point de vue institutionnel : aucune remise en cause de l’absence de séparation des pouvoirs, celui-ci est toujours aux mains de la famille royale, le Parlement n’a pas plus de prérogatives, etc. », ajoute pour sa part Marc Valeri, enseignant chercheur à l’université d’Exeter.
Néanmoins, la révolte n’est pas encore terminée. En effet, depuis mars 2011 et l’intervention des forces saoudiennes, il y a des problèmes tous les jours. Les affrontements entre les forces de sécurité et la population se poursuivent régulièrement. Depuis la remise du rapport de la commission indépendante, une vingtaine de personnes ont été tuées.

Radicalisation
Marc Valeri reste très pessimiste, estimant que la dynastie al-Khalifa n’est pas prête à l’heure actuelle à mettre en place une monarchie constitutionnelle. « Depuis 2011, il y a une radicalisation très forte de la frange la plus conservatrice de la famille royale. Pendant plusieurs années, notamment entre 2007 et 2011, il y avait un équilibre au sein de la famille régnante entre les réformateurs représentés par le prince héritier et les conservateurs sous l’égide du Premier ministre. Certains observateurs estimaient d’ailleurs que le prince héritier était en train de prendre l’avantage sur le Premier ministre. Or depuis le déclenchement de la révolte, la situation a complètement changé, le prince héritier n’ayant absolument plus aucun pouvoir bien que formellement toujours en place. Il est complètement mis sur la touche et, de ce point de vue, il y a une radicalisation très forte au sein de la famille royale », explique-t-il.

Conflit sunnite-chiite
Du côté de la population, il y a une division suivant une ligne sunnite-chiite qui n’était pas aussi mise en relief avant 2011. « À l’heure actuelle, une grande partie de la population sunnite considère le Premier ministre et le courant radical comme leur protecteur. Et que l’Arabie saoudite a sauvé les sunnites des chiites, qui sont appuyés par l’Iran », ajoute Marc Valeri.
« La minorité sunnite craint assez largement d’être dominée par les chiites s’il y a une modification du statu quo, surtout que le rapport de force entre la majorité chiite et la minorité sunnite au pouvoir dure depuis plus de 250 ans, quand la famille Khalifa avait conquis Bahreïn », précise pour sa part Olivier Da Lage, ajoutant toutefois que ce n’est pas le cas de tous les sunnites : « Il y a un certain nombre d’entre eux qui ont même participé aux manifestions. Ils avaient pour slogan : ni sunnites ni chiites, nous sommes tous bahreïnis. » Selon lui, c’est le gouvernement qui a très largement usé de la carte confessionnelle en accusant les chiites de s’appuyer sur l’Iran pour briser les revendications des manifestants, permettant ainsi de légitimer la répression et l’intervention de l’Arabie saoudite.
De l’autre côté, beaucoup de chiites ne pardonnent pas aux sunnites leur soutien au Premier ministre et la rhétorique suivant laquelle les chiites sont appuyés par l’Iran. « De ce point de vue, les appels du roi ne sont autre qu’une façon de gagner du temps. Il n’y aura pas de réforme tant que la partie conservatrice au sein de la famille royale est aussi puissante, et tant que le roi leur laisse autant de visibilité. Pas de dialogue dans ces conditions surtout que l’une des revendications principales des manifestants – depuis dix ans – est le limogeage du Premier ministre », explique pour sa part Marc Valeri.
En tout état de cause, « on ne peut pas réduire la révolte à Bahreïn à un conflit religieux. Il y a aussi une tension politique, sociale, syndicale et économique dans la mesure où la classe défavorisée est très largement chiite, et la classe favorisée sunnite. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de chiites riches, ou de chiites qui collaborent avec le gouvernement, ou de sunnites pauvres ou qui sont dans l’opposition », ajoute Olivier Da Lage.
« Il est intéressant de remarquer qu’à Bahreïn, il n’y a jamais eu des attentats à la bombe, ou des affrontements directs entre sunnites et chiites », estime également Marc Valeri.
Selon Olivier Da Lage, le dirigeant du parti al-Wefaq et le prince héritier, proche du roi, veulent dialoguer ensemble, mais ils sont handicapés par les courants radicaux au sein de leur propre camp. « Je pense qu’il y a toujours une possibilité de dialogue, mais l’initiative revient à celui qui est le plus fort, c’est celui qui a le pouvoir, la force et les armements, c’est-à-dire le gouvernement », affirme-t-il, ajoutant qu’il « y a actuellement de nouveaux éléments qui montrent que l’Arabie saoudite est en train de réévaluer son approche en conseillant au gouvernement de Bahreïn une certaine ouverture, craignant justement des dérapages sur le modèle de ce qui se passe en Syrie actuellement ».
M. Da Lage estime en outre que le dialogue à Bahreïn peut aboutir à une monarchie constitutionnelle, surtout que l’histoire récente du pays, après son indépendance, comprend une Constitution et des élections. Simplement, ajoute-t-il, le Parlement a été dissous et la Constitution dissoute en 1975.
Selon lui, la limite de toute réforme actuellement est liée aux craintes de la dynastie régnante et d’une partie des sunnites que les règles du jeu ne leur échappent. « Mais inversement, le refus du dialogue aboutira à une situation qui dure depuis plusieurs années, à savoir une tension persistante, qui n’est jamais réglée », estime-t-il.

La révolte oubliée ?
Malgré sa complexité au niveau local et ses enjeux au niveau régional, la révolution bahreïnie reste peu évoquée dans les médias. Sans doute parce qu’elle est moins violente et moins sanguinaire que la répression du régime syrien et qu’il y a moins de morts que dans d’autres pays.
Les deux experts estiment en outre que le silence des Occidentaux est justifié par trois raisons. La première étant les intérêts énormes des Britanniques et des Américains à Bahreïn, notamment leur base militaire navale.
La deuxième raison est l’Arabie saoudite. Dans ce registre, explique Olivier Da Lage, il n’y avait pas vraiment un silence de la part de la communauté internationale au tout début de la contestation, puisqu’on a vu les Américains critiquer la position du gouvernement de Bahreïn. Or, quand l’Arabie saoudite a par la suite imposé une solution dure, les Américains ont préféré jouer la discrétion et ne pas critiquer directement ni Bahreïn ni l’Arabie saoudite.
La troisième raison, explique Marc Valeri, est que beaucoup de pays occidentaux craignent de voir s’installer une république islamique dans le pays si la monarchie tombait, renforçant ainsi l’influence de l’Iran dans la région.
Ce dernier considère toutefois que « l’opposition bahreïnie est nationaliste, surtout qu’il n’y a jusqu’à présent aucune preuve d’une influence directe de l’Iran à Bahreïn ».
Il y a toutefois, selon lui, « une suspicion envers l’opposition bahreïnienne de la part des révolutionnaires des autres pays arabes, à l’instar des Égyptiens, Tunisiens, Palestiniens, Jordaniens, etc., qui considèrent que le mouvement de contestation de Bahreïn est appuyé par les chiites iraniens ou irakiens, ce qui justifie donc le manque de solidarité de leur part avec la révolte dans ce pays ».
« De ce point de vue, le régime de Bahreïn a été très efficace, faisant croire à l’opinion publique arabe et internationale que la révolte est un conflit entre sunnites et chiites », conclut-il.
Alors que la répression en Syrie accapare actuellement l’information régionale, la révolte à Bahreïn, qui vient de commémorer son premier anniversaire, continue de passer presque inaperçue.En effet, de février à mars 2011, les chiites qui représentent de 65 à 70 % de la population de ce petit royaume de 700 000 habitants se révoltaient contre la monarchie sunnite...
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