Rechercher
Rechercher

À La Une - DOSSIER Corée du Nord

Une ouverture trop rapide serait fatale à Kim Jong-un

Deux mois après la mort du « cher leader » Kim Jong-il, Washington et Pyongyang ont annoncé que le régime communiste avait accepté la mise en place d’un moratoire sur ses activités nucléaires. Est-ce une volonté d’ouverture du nouveau dirigeant Kim Jong-un ? Deux experts reviennent sur la question.

L’annonce d’un arrêt du nucléaire va permettre de relancer l’arrivée de l’aide internationale et va être très favorable à la mise en place de Kim Jong-un qui n’a pas le même charisme que son père. KCNA/Reuters

Les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord ont enregistré un net réchauffement avec l’accord donné la semaine dernière par Pyongyang à un moratoire sur ses activités nucléaires en échange d’une aide alimentaire américaine. Ce moratoire concerne les essais nucléaires, les tirs de missiles à longue portée, l’enrichissement d’uranium de l’usine de Yongbyon et l’autorisation de la venue d’inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). En contrepartie, les États-Unis se sont engagés à faire avancer le dossier concernant la livraison de 240 000 tonnes d’assistance alimentaire. Le programme prévoit de la nourriture pour les jeunes enfants et les femmes enceintes, une population délaissée par le régime, selon un responsable américain.


Ces nouvelles avancées interviennent après des pourparlers en Chine entre Washington et Pyongyang visant à reprendre les négociations à Six (les deux Corées, la Chine, le Japon, la Russie et les États-Unis) sur l’abandon du programme nucléaire nord-coréen. Au point mort depuis décembre 2008, ces discussions américano-nord-coréennes étaient d’ailleurs les premières depuis la mort du dirigeant Kim Jong-il en décembre, remplacé par son fils Kim Jong-un.

En quête de légitimité
L’explication du timing de l’accord est double, souligne Barthélémy Courmont, professeur à Hallym University, Chuncheon, en Corée du Sud. « D’un côté, le nouveau dirigeant nord-coréen souhaite marquer son entrée en fonctions en s’imposant au sein de l’équipe dirigeante, mais aussi en apportant au peuple nord-coréen ce dont il a le plus besoin : de la nourriture. Il s’agit donc en ce sens pour le jeune Kim Jong-un d’un succès diplomatique. De l’autre côté, les États-Unis ont besoin de marquer des avancées sur un dossier qui piétine depuis maintenant près de dix ans et sur lequel à la fois les administrations Bush et Obama ont essuyé des revers. En signant un accord bilatéral, les États-Unis sortent par ailleurs du carcan des pourparlers à Six, qui sont limités par la position de pays comme le Japon et la Corée du Sud (depuis l’arrivée au pouvoir de Lee Myung-bak) d’un côté, et la Chine de l’autre ».

 

L’annonce d’un arrêt du programme nucléaire nord-coréen va permettre de relancer l’arrivée de l’aide internationale et « va être très favorable à la mise en place de Kim Jong-un qui n’a pas le même charisme que son père, mais dont l’impact sur son peuple sera le même puisque c’est l’homme qui aura permis d’avoir à manger et à se chauffer », indique de son côté Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).

Ouverture ?
Néanmoins, même si cet accord est un signe fort, il ne s’agit « pas nécessairement d’une ouverture, au sens où on pourrait l’entendre », estime M. Courmont. « Quand il est arrivé au pouvoir en 1994, Kim Jong-il fut l’homme de l’ouverture avec les accords de la KEDO (l’Organisation coréenne de développement énergétique), un consortium international, dont la création avait été décidée en 1994 dans le cadre d’un accord fondé sur l’abandon de tout programme nucléaire militaire nord-coréen en contrepartie d’un accès élargi et pacifique de Pyongyang à l’énergie atomique.

 

Mais on connaît la suite. Kim Jong-un a aujourd’hui pour mission de s’imposer, son jeune âge et son manque d’expérience étant son principal handicap. Une fois que les Sud-Coréens auront désigné un nouveau président – en décembre 2012 – et une fois que nous connaîtrons les intentions de ce dernier sur les pourparlers dans la péninsule, nous pourrons seulement savoir si l’ouverture est à la fois souhaitée et possible. Pour l’heure, il est trop tôt pour se risquer sur ce terrain », ajoute le spécialiste.


Même son de cloche du côté de M. Brisset pour qui il faut attendre, rappelant que ce n’est pas la première fois que la Corée du Nord annonce qu’elle va arrêter définitivement son programme nucléaire. « Elle l’a déjà utilisé comme arme de chantage plus d’une fois et risque de recommencer », prévient l’expert, ajoutant que « petit à petit, on verra si Kim Jong-un a vraiment une volonté d’ouverture, ou plutôt si du moins le clan autour de lui a cette volonté, ou bien si l’on va retomber dans le cycle de chantage, qui se traduit comme ceci : dans un premier temps, Kim Jong-un obtient un peu d’aide, il se crée une légitimité vis-à-vis de son pays, il retarde d’éventuelles sanctions, le pays redémarre et puis le sale gosse casse de nouveau son jouet et on renégocie avec lui. Cela fait presque 20 ans que ça dure. Il n’y a pas de raison que cela s’arrête tout de suite ».


Depuis deux décennies, « la Corée du Nord n’a pas tant souhaité l’isolement qu’elle l’a subi. Mais le régime a su en jouer habilement, tournant même parfois un environnement hostile à son avantage, en négociant son ouverture, exactement comme c’est le cas aujourd’hui », indique Barthélémy Courmont, ajoutant qu’ «il y a à Pyongyang une véritable théorisation de l’isolement, que le Juche (la doctrine officielle) relaie sur la scène internationale et que la stratégie du pire, visant à marchander l’abandon de la menace contre des garanties sécuritaires et un soutien économique, fait vivre. Le jeune Kim sait très bien qu’une ouverture trop rapide lui serait fatale. Il est donc plus probable qu’il marche dans les pas de son père et cherche à se faire accepter, sans pour autant faire des concessions trop importantes ».

Dans les coulisses
Par ailleurs, l’accord entre Pyongyang et Washington est le fruit de tractations diplomatiques dans les coulisses. M. Courmont estime que ces négociations secrètes sont indispensables, précisant que « dans le dossier nord-coréen, la pire des stratégies a consisté à se braquer sur les activités abondantes et à fustiger le caractère illégal des agissements de Pyongyang. En menant des négociations, on parvient à comprendre les véritables raisons qui justifient la prolifération nucléaire nord-coréenne et on laisse par conséquent la porte ouverte à un marchandage. C’est de cette manière que les accords de la KEDO furent signés, et c’est la seule méthode qui a montré son efficacité.

 

Rappelons que la crise actuelle a débuté quand l’administration Bush a diabolisé le régime nord-coréen en l’inscrivant sur la liste de l’axe du mal et en abandonnant son soutien contenu dans la KEDO. Les Nord-Coréens sont d’excellents négociateurs, qui sont toujours en avance sur leurs interlocuteurs. Mais leur objectif est la survie et non la confrontation, et c’est pourquoi, en marge des légitimes et même nécessaires condamnations des activités nucléaires, il faut des négociations ». M. Brisset rappelle de son côté qu’il y a toujours des négociations en cours entre les deux partenaires qui « court-circuitent un peu les pourparlers à 6 que la Chine aurait tellement aimé héberger ou faire réussir », estimant que les États-Unis jouent un jeu « extrêmement opaque, aussi opaque que celui joué par Pyongyang ».

 

Avec le temps, on pourra savoir s’il y aura de vrais aboutissements à ces négociations « parce que souvent, les États-Unis ont annoncé avoir obtenu quelque chose et s’apercevaient finalement du contraire », conclut le spécialiste de l’IRIS.

Les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord ont enregistré un net réchauffement avec l’accord donné la semaine dernière par Pyongyang à un moratoire sur ses activités nucléaires en échange d’une aide alimentaire américaine. Ce moratoire concerne les essais nucléaires, les tirs de missiles à longue portée, l’enrichissement d’uranium de l’usine de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut