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Une ouverture trop rapide serait fatale à Kim Jong-un

Le compte à rebours du désarmement nucléaire

*Gareth Evans, ancien ministre australien des Affaires étrangères et ancien président de l’Université nationale australienne, a coprésidé la Commission internationale sur la non-prolifération nucléaire et le désarmement et est l’organisateur du Réseau Asie-Pacifique pour la non-prolifération et le désarmement.

Par Gareth EVANS

Le mois dernier, les aiguilles de l’horloge de la fin du monde ont été avancées d’une minute, pour indiquer minuit moins cinq, par les directeurs du Bulletin des scientifiques atomistes, la parution internationale respectée qui met en garde depuis des décennies sur le risque d’une catastrophe nucléaire, qu’elle soit causée par un accident ou à dessein, par un État ou une organisation terroriste, par une arme à fission ou une bombe radiologique. Cette nouvelle mise en garde n’a pas généré beaucoup d’attention et a été à peine reprise par les médias, tout comme les autres avertissements publiés depuis la fin de la guerre froide. Pourtant, l’alerte du Bulletin donne à réfléchir. Quasiment aucun progrès n’a été réalisé depuis 2007 – date à laquelle les aiguilles de l’horloge furent placées pour la première fois sur minuit moins cinq – et la volonté politique a fait défaut sur toutes les questions cruciales : le désarmement, la non-prolifération et les piliers nécessaires pour faire progresser ces questions.
Dans le cas du désarmement, la situation en est vraiment au point mort. Le nouveau traité Start, signé par les États-Unis et la Fédération de Russie en 2010, prévoit bien une réduction des lanceurs de missiles nucléaires stratégiques, mais ne limite en rien le nombre d’ogives opérationnelles stockées ; il maintient l’état d’alerte avancée, les programmes de modernisation des armements, ne résout pas les divergences concernant les déséquilibres entre boucliers antimissile et les armes conventionnelles – et les discussions sur de nouvelles réductions des armements sont également dans l’impasse. Sans volonté de progrès affichée par les États-Unis et la Russie, qui détiennent à eux deux 95 pour cent des quelque 20 000 têtes nucléaires existantes, aucun autre État doté de l’arme nucléaire n’a été encouragé à réduire de manière significative ses propres stocks, et certains d’entre eux – la Chine, l’Inde et le Pakistan – les ont au contraire augmentés.
La conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) de 2010 a été un modeste succès, surtout parce qu’elle ne s’est pas soldée par un échec total, comme la précédente conférence en 2005. Mais elle n’a pas pu dégager un consensus sur les mesures nécessaires pour renforcer le régime de non-prolifération ; les discussions sur le projet de zone exempte d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs au Moyen-Orient n’ont pas abouti ; la Corée du Nord n’est pas prête à réintégrer le TNP, tandis que l’Iran est prêt à s’en retirer, avec des conséquences pour toute la région – et pour l’économie mondiale – s’il décidait de sauter le pas. Malgré les bonnes intentions du président Barack Obama, le Sénat américain n’envisage pas pour l’instant de ratifier le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), tandis que la Chine, l’Inde et le Pakistan, entre autres, prennent prétexte de cette inaction pour justifier leur immobilisme. Un fragile moratoire volontaire reste le seul obstacle à la reprise des essais nucléaires. Et les négociations sur un autre pilier essentiel du désarmement et de la non-prolifération – un accord sur l’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes – sont également embourbées.
La seule nouvelle relativement bonne est que des progrès ont été enregistrés sur un troisième pilier : s’assurer que les matières fissiles pour les armes, et les armes elles-mêmes, aujourd’hui stockées dans différents endroits dans 32 pays, ne tombent pas aux mains d’États voyous ou d’organisations terroristes. À la fin mars, le président sud-coréen Lee Myung-bak accueillera une réunion qui fait suite au succès du Sommet sur la sécurité nucléaire de 2010, organisé à l’initiative de Barack Obama et qui avait réuni 47 chefs de gouvernement sur le principe d’un programme détaillé sur la sécurisation de ces matières dans un délai de quatre ans. Une des points prioritaires de l’ordre du jour de la réunion sera les implications pour la paix mondiale de la sécurité nucléaire : la catastrophe de Fukushima a démontré que les centrales nucléaires étaient tout aussi vulnérables à des désastres naturels qu’à d’éventuels attentats terroristes. Mais la sécurité nucléaire n’est qu’une petite partie de ce qui doit être accompli pour éliminer une fois pour toutes les menaces posées par le nucléaire, et la lassitude liée aux sommets fera qu’il sera difficile pour les principaux chefs d’État de maintenir leur volonté de se réunir pour un objectif aussi ténu. Il est aujourd’hui urgent de penser différemment pour retrouver l’impulsion d’il y a deux ans seulement.
Il faudra pour ce faire réunir trois conditions : premièrement, les dirigeants politiques et de la société civile doivent défendre, jusqu’à la nausée si nécessaire, les arguments du mouvement Global Zero – un monde sans armes nucléaires – et établir une feuille de route crédible pour l’élimination par phases de ces armes. Deuxièmement, de nouveaux mécanismes sont nécessaires pour donner un nouvel élan aux décideurs et à l’opinion publique mondiale. L’un d’eux serait d’élaborer et de promouvoir un projet de convention sur les armes nucléaires en tant que cadre pour une action politique. Un autre mécanisme serait un état des lieux qui n’hésiterait pas à préciser quels États se conforment ou non à leurs engagements concernant le désarmement et la non-prolifération (l’Indice de sécurité des matériels nucléaires, récemment publié par l’Initiative contre la menace nucléaire de l’ancien sénateur américain Sam Nunn, en est un exemple). Des réseaux de plaidoyer contre le nucléaire, similaires à ceux qui existent aujourd’hui en Europe et en Asie-Pacifique, composés d’anciens dirigeants connus et d’autres personnalités politiques, pourraient également jouer un rôle utile. Troisièmement, maintenir une attention continue de haut niveau sur l’ensemble de la question nucléaire nécessite un cadre institutionnel. L’ordre du jour du Sommet sur la sécurité nucléaire est trop restreint pour remplir ce rôle ; le mandat formel de l’Agence internationale de l’énergie atomique est trop limité ; la conférence d’examen du TNP ne se réunit pas assez souvent ; et les membres du Conseil de sécurité des Nations unies ne sont pas assez représentatifs. Le forum le plus à même d’établir des normes pourrait bien être le G20, qui se réunit régulièrement et dont les membres représentent à la fois le Nord et le Sud, la majorité de la population mondiale, du PIB mondial et, à l’exception d’une poignée d’États, tous les pays dotés de l’arme nucléaire.
Avec la réunion prévue de ses ministres des Affaires étrangères ce mois-ci au Mexique pour discuter de sujets plus larges de gouvernance mondiale, le G20 commence à s’éloigner de questions purement économiques – une évolution dont on ne peut que se féliciter. La destruction de l’économie entraîne une profonde et intolérable misère humaine. Mais il n’y a que deux menaces mondiales capables de détruire la vie sur cette planète telle que nous la connaissons. Et les armes nucléaires peuvent nous tuer bien plus rapidement que le CO2.

©Project Syndicate, 2012.
Traduit de l’anglais par Julia Gallin
Par Gareth EVANS Le mois dernier, les aiguilles de l’horloge de la fin du monde ont été avancées d’une minute, pour indiquer minuit moins cinq, par les directeurs du Bulletin des scientifiques atomistes, la parution internationale respectée qui met en garde depuis des décennies sur le risque d’une catastrophe nucléaire, qu’elle soit causée par un accident ou à dessein,...