Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Le projet « Partenariat électoral »

I.- Les formules électorales déjà envisagées

Paul MOURANI
La récente réunion des leaders chrétiens à Bkerké a vu se développer une opinion majoritaire en faveur des « thèses grecques-orthodoxes » concernant la loi électorale. Celles-ci peuvent se résumer ainsi : les électeurs de chaque communauté élisent uniquement les députés de leur propre communauté. L’élection obéira au principe de proportionnalité.
Ces prises de position ont suscité de vives réactions. La plupart des critiques mettent en relief les points suivants : l’application de cette loi créera un Parlement polarisé. Chaque communauté se refermera sur elle-même. La dynamique engendrée risquera d’attiser les conflits sectaires plutôt que de les réduire. La société libanaise sera continuellement menacée d’éclatement. Les leaders confessionnels en sortiront renforcés. L’application de cette loi aboutira, au niveau régional, à l’isolement des chrétiens.
Ces appréhensions sont certainement justifiées, mais pour mieux apprécier leur portée, il faudrait faire ressortir plus clairement ce qui dans ces thèses amène au repli sur soi et les dangers qui en découlent, et ce qu’on peut y trouver de positif.
L’aspect négatif de ces « thèses » ne réside pas dans le fait que les communautés auront une voix dans l’élection des députés qui appartiennent à leur secte, mais qu’ils devront se limiter exclusivement à cela. Le contraire, qui est d’ôter à une communauté le pouvoir d’influencer de façon significative sa représentation au sein du pouvoir politique, est tout aussi dangereux. La frustration et la marginalisation qui en résultent provoquent une dépression (« ihbat »), un sentiment d’ostracisme, qui pourraient facilement amener à la recherche de solutions en dehors de tout cadre institutionnel ou légal, avec les risques de violence que cela comporte.
Il faut donc rechercher à éviter ces deux extrêmes. Les « thèses grecques-orthodoxes » sont une réaction à l’une de ces extrêmes : la marginalisation des chrétiens libanais qui résulte en partie d’une fausse interprétation du compromis de Taëf dans les lois électorales de 2009 et celles qui la précèdent, qui a redonné aux facteurs démographiques dans les élections un poids que Taëf était supposé avoir neutralisé.
L’interprétation tronquée de la mounassafeh (principe d’égalité entre musulmans et chrétiens stipulé dans la Constitution) la résume à la simple règle que les sièges parlementaires doivent être répartis de façon égale entre musulmans et chrétiens. Mais cela suppose faussement qu’un chrétien ou un musulman représente nécessairement les aspirations historiques de sa communauté même s’il est élu grâce aux voix d’une autre communauté. Or une forte proportion des députés chrétiens est élue par des voix musulmanes, alors que l’inverse n’est pas vrai.
Une mounassafeh véritable devrait donner aux chrétiens le même pouvoir électif qu’aux musulmans ; en d’autres termes, elle devrait permettre aux électeurs chrétiens d’élire le même nombre de députés que les électeurs musulmans. Les « thèses » contiennent implicitement cette revendication qui est légitime, et elles l’appliquent de façon systématique et claire, ce qui est nécessaire pour la rendre rassurante. Elles la présentent, cependant, dans un contexte de fermeture sur soi qui la défigure, lui ôte ses aspects positifs, et la rend inacceptable.
Il faut remarquer ici que les lois électorales de 2009 et celles qui précèdent appliquent déjà un facteur de pondération qui donne à l’électeur chrétien un poids plus grand qu’à l’électeur musulman. Elles le font cependant de façon très irrégulière, et avec le net résultat que 20 députés chrétiens sont élus dans des circonscriptions à vaste majorité musulmane alors que seulement 3 musulmans sont élus dans des circonscriptions à majorité chrétienne, ce qui rompt l’équilibre voulu par Taëf entre les deux grands groupes religieux. De plus le principe de « pouvoir électif égal » n’y est pas admis formellement, ce qui lui ôte la qualité désirable de rassurer les chrétiens.
Le nombre d’électeurs musulmans au Liban était en 2009 1,52 fois plus élevé que le nombre d’électeurs chrétiens. Dans le découpage électoral de 2009, les divergences de cette proportion moyenne sont parfois très larges. Dans la circonscription du Kesrouan, par exemple, le nombre d’électeurs chrétiens par député est autour de 17 470, alors qu’il est 2,35 fois plus élevé à Bint Jbeil où le nombre d’électeurs chiites par député dépasse 41 000. Les législateurs libanais ont donc introduit dans les lois électorales précédentes, un principe de « pouvoirs électifs » ajustés, mais ils l’ont fait, parfois de façon excessive, parfois insuffisamment, toujours dans le but d’accommoder les intérêts d’une faction ou d’une autre. Un système électoral basé sur une acceptation explicite de la formule de « pouvoirs électifs égaux » ne formerait donc pas un retour en arrière, puisque ce principe est déjà mis en application, bien que de façon inégale, dans les législations précédentes. Il pourrait, cependant, appliquer un facteur de pondération moyen de 1,52, sans déviations notables, dans toutes les circonscriptions et le faire systématiquement et en toute impartialité.
Il est aussi important de préciser que les lois électorales de 2009, 2005 et celles qui les précèdent ont toutes pratiqué un découpage électoral qui, dans beaucoup des circonscriptions, crée la même dynamique de fermeture sur soi que l’on reproche aux thèses grecques-orthodoxes. Par exemple, en 2009, les circonscriptions de Batroun, Zghorta, Becharré, Koura, Jezzine, le Metn et Beyrouth 1 étaient des circonscriptions où une écrasante majorité d’électeurs chrétiens votaient pour des députés chrétiens. Beyrouth 3, Tripoli, Minyeh-Dinnyeh, Saïda-ville étaient des régions presque homogènes sunnites, alors que dans Tyr, Bint Jbeil et Nabatiyeh, c’étaient de grandes majorités chiites qui votaient pour des députés chiites.
Le système électoral courant a donc en très grande partie les mêmes aspects négatifs que l’on reproche aux « thèses ». Or on n’entend pas les récriminations et violentes diatribes contre les pratiques passées, comme celles qui ont été déclenchées contre les « thèses ». Les deux systèmes devraient donc être également rejetés.
Quelles autres alternatives sont offertes aujourd’hui ? Les efforts les plus concertés ont été fait par le comité Boutros, qui a groupé d’éminents juristes et défenseurs des droits civiques dans le but de réformer le système électoral. Leur recommandation principale fut d’adopter un système de scrutin proportionnel, mais ils l’ont fait en voulant en même temps respecter les quotas communautaires. Cela a créé un système d’une telle complexité qu’il n’est pas gérable. Nizar Younès, avec l’assistance de Kamal Féghali, présente même l’argument que ce système est mathématiquement indéterminé (voir Le Parlement de demain, éditions al-Massar, 2006. pp.193-208).
Le scrutin proportionnel a été présenté par ses défenseurs comme le plus moderne et le plus utilisé aujourd’hui. Or aucun pays ne le combine avec des quotas communautaires. De plus, les démocraties les plus avancées, et les plus anciennes, ne l’utilisent pas. Les États-Unis et l’Angleterre utilisent tous deux un système de scrutin uninominal et majoritaire (circonscriptions individuelles où un seul député est élu par circonscription). Le Parlement français utilise le même type de scrutin uninominal. Quant à l’élection des sénateurs français, elle est basée sur un système mixte (scrutin uninominal majoritaire dans la moitié des circonscriptions, et scrutin proportionnel dans l’autre moitié).
Le scrutin uninominal semble donc avoir des défenseurs et adeptes de qualité et de taille. Lui aussi cependant est problématique dès lors qu’il s’agit d’y inclure des quotas confessionnels. Un système uninominal à deux tours a été présenté par Nizar Younès (op. cit.). Malheureusement, malgré la forme non confessionnelle qui lui a été donnée au niveau de la répartition des sièges, ce système aboutit à ce que les électeurs ne choisissent que les députés de leur propre religion (voir à ce sujet mon article dans le Daily Star du 4 avril 2008, où, tout en relevant les nombreux aspects positifs de ce projet, je critique cette fermeture sur soi qui y est implicite, et introduit un projet électoral basé sur un scrutin majoritaire avec des circonscriptions à deux députés : l’un musulman et l’autre chrétien).
Avant de présenter et de défendre le projet de circonscriptions à deux députés, appelons-le « Partenariat », il est nécessaire de défendre l’idée même de maintenir les quotas confessionnels et celle de « pouvoirs électifs » égaux entre les deux grandes communautés religieuses.
(À suivre)

Paul MOURANI
La récente réunion des leaders chrétiens à Bkerké a vu se développer une opinion majoritaire en faveur des « thèses grecques-orthodoxes » concernant la loi électorale. Celles-ci peuvent se résumer ainsi : les électeurs de chaque communauté élisent uniquement les députés de leur propre communauté. L’élection obéira au principe de proportionnalité. Ces prises de...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut