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À La Une - Maghreb

Quand Rabat et Alger tentent leur printemps (économique)...

La relance de l’Union arabe (un printemps maghrébin ?) ouvrirait des perspectives positives pour la région, mais le Maroc et l’Algérie doivent au préalable adoucir leurs positions sur leurs différends historiques, à commencer par l’ouverture de leur frontière.


Le Maroc et l’Algérie semblent avoir ouvert leur Atlas, et s’être rendu compte chacun de l’existence de son voisin. Pour preuve, le nouveau ministre des Affaires étrangères marocain Saadeddine Othmani s’est déplacé il y a une vingtaine de jours à Alger, effectuant ainsi la première visite d’un chef de la diplomatie marocaine depuis 2003 dans la capitale algérienne. Résultat des courses : un laconique accord sur la « nécessité de dynamiser la coopération bilatérale dans différents domaines et de relancer l’Union du Maghreb arabe (UMA) ». Le réchauffement des relations datait déjà de quelques mois, mais il semble qu’elles aient atteint avec cette rencontre une température qui pourrait susciter une relance effective de l’UMA.
Créée le 17 février 1989, cette organisation internationale regroupe aussi la Mauritanie, la Tunisie et la Libye. Outre les dirigeants libyens, qui ont fort à faire en interne, la tournée du président tunisien Moncef Mazourki chez ses voisins (voir cadre) a même démontré un désir fort de faire avancer le dossier. De plus, la visite à Alger du président mauritanien Mohammad Ould Abdelaziz le 13 décembre dernier lui avait permis d’annoncer, de concert avec le président algérien Abdelaziz Bouteflika, sa « volonté de redynamiser les institutions et les structures » de l’UMA.
Mais le plus important n’est pas là : historiquement, ce sont les bisbilles algéro-marocaines qui ont ralenti un grand dessein en panne chronique. Les voisins au futur prometteur ont un passé dense qu’un coup de rhétorique magique pourrait bien ne pas suffire à faire oublier.
À quelques jours de l’anniversaire des 23 ans de la création de l’Union, qui sera célébré samedi 18 février par une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres à Rabat, on peut donc se demander si une relance est réellement en mesure de se produire, une fois passé le relatif emballement médiatique. Une relance indispensable : comme le dit Jean Noël Ferrié, chercheur au CNRS et spécialiste du Maroc, il s’agit d’« un projet immobile, né d’une rhétorique politique plutôt que construit sur des intérêts objectifs ». Ainsi, l’enjeu principal aujourd’hui est de savoir si ces derniers seraient devenus suffisamment évidents pour remettre le projet en mouvement.

La balle dans le camp d’Alger
Si la tension se relâche, les vieilles querelles n’en sont pas pour autant résolues. Un rapprochement entre les deux États implique de passer par les épineux problèmes de tracés territoriaux qui les maintiennent éloignés : soit parce qu’ils n’existent pas, soit parce qu’ils n’existent que trop. D’une part, le dossier du Sahara occidental (voir cadre) viendra comme à l’accoutumée se poser au-devant du projet. D’autre part, un Maghreb des libertés (de mouvement en particulier) impose de s’attaquer aux barbelés des frontières fermées entre les deux pays depuis 1994, suite à l’attentat islamiste à Marrakech que le Maroc avait imputé aux services secrets algériens.
Selon Benjamin Stora, historien du Maghreb, « chaque capitale pose ses préalables à une normalisation des relations. Pour Rabat, la priorité est la réouverture des frontières. Pour Alger, cette question est liée au règlement global du conflit au Sahara. Pour sortir de cette impasse, il est urgent de séparer ces deux dossiers et de traiter spécifiquement la question de la frontière ». En effet, comme le rappelle Kader Abderrahim, chercheur à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS), la résolution de la discorde saharienne est « infiniment plus compliquée, car Marocains et Algériens seuls ne pourront pas arriver à trouver une solution qui devra faire intervenir beaucoup plus d’acteurs ».
C’est donc bien la question de l’ouverture de la frontière qui est centrale, puisqu’elle pourrait trouver une sortie à court ou moyen terme, si elle est isolée. Pour cela, d’après Jean Noël Ferrié, la balle est dans le camp algérien : « Tout ce qu’on peut espérer, dans le meilleur des cas, c’est une détente, dont la seule preuve tangible serait que l’Algérie accepte l’ouverture de la frontière avec le Maroc. » Peu avant l’arrivée de M. Othmani, le ministre délégué algérien aux Affaires africaines et maghrébines Abdelkader Messahel affirmait que « la frontière s’ouvrira bien un jour ». Si un tel élan se confirme et que les sempiternels objets de discorde politique sont résolus ou même savamment omis, viendra alors le moment salutaire de traiter de l’intégration des deux économies.

Potentiel de couple
Le projet visant à unir des forces maghrébines complémentaires est un vieux rêve qui a balayé le XXe siècle, depuis la fondation de la commission de libération du Maghreb en 1927 jusqu’à la réunion de Zéralda, qui a préparé la création de l’UMA le 10 juin 1988. Mais aujourd’hui, sur le plan sécuritaire par exemple, cette question devient primordiale pour une région en proie à une résurgence des mouvements illégaux ou terroristes transfrontaliers. Par ailleurs, dans un contexte de concurrence mondiale impitoyable, ce projet pourrait devenir urgent. Kader Abderrahim est « convaincu » que c’est un horizon indépassable pour ces pays. « Le Maghreb leur est absolument vital, et s’ils ne parviennent pas à réussir une intégration régionale dans un monde globalisé, ils vont avoir de plus en plus de mal individuellement à faire face », assure-t-il.
Économiquement, le Maroc est en train de développer son appareil industriel. Le pays l’a rappelé avec ostentation le 9 février dernier, lorsque Carlos Ghosn a inauguré la nouvelle usine Dacia pour Renault à Tanger. De plus, le secteur des services marocains est en plein essor. L’Algérie, elle, présente la première réserve de gaz naturel et la troisième réserve de pétrole d’Afrique, ce qui lui assure une rente qui doit avant tout chercher le meilleur rendement pour ses investissements. Allier les capacités énergétiques et de financement algériennes à la marge de progression marocaine, le projet a de l’allure pour deux États qui présentaient déjà en 2011 une croissance supérieure à 4 % sans être mis en relation, qui plus est dans la conjoncture européenne actuelle.
Cependant, profiter de telles perspectives ne se fera qu’à la condition de voir tous les acteurs économiques prendre le projet en considération dans les faits. Jean Noël Ferrié insiste sur ce point : « Je ne crois pas que l’on puisse se prononcer en généralités. Il y a des hydrocarbures en Algérie et un véritable dynamisme économique au Maroc. Mais c’est en entrant dans les détails de la coopération que l’on pourrait se faire une idée des avantages. (...) Mais il y a d’autres scénarios possibles. Cela dépend de la coopération effective entre les joueurs. » Cela pose le problème des motivations profondes de la relance de l’Union et de la réalité de la volonté d’intégration. Sur ce point, la question du moment possède sans doute son importance.

Le calcul...
Si l’on observe ces évènements à l’aune du printemps arabe qui a secoué les deux États sans provoquer le raz de marée visible chez leurs voisins, une interrogation apparaît rapidement. Pourquoi cette relance, qui pourrait représenter en soi une « petite révolution », a-t-elle été initiée maintenant par deux pays qui n’ont pas connu, à proprement parler, de « grande révolution » ? Au-delà des changements internes apparus dans chaque État (surtout côté marocain), c’est donc l’ensemble qui devrait connaître une avancée décisive. L’hypothèse d’un gatopardisme de bon voisinage, consistant à susciter le mouvement dans ses relations extérieures pour se rassurer à l’intérieur, n’est pas à exclure pour Kader Abderrahim : « C’est un calcul qui est tout à fait possible à la fois de la part des dirigeants marocains et algériens. Ils ont tout intérêt à desserrer l’étau en interne chez eux, mais pas pour les mêmes raisons. Côté marocain, économiquement, une ouverture pourrait provoquer un appel d’air pour toute la partie orientale du pays, qui est sinistrée depuis la fermeture de la frontière. Côté algérien, sur le plan stratégique, cela permettrait aussi de respirer un peu, car énormément de pression s’exerçait sur elle, en particulier sur les réformes à mettre en œuvre dans le pays. »
Quoi qu’il en soit, à l’opposé de réflexions sur une vision stratégique « par le haut » de la part des dirigeants effectifs des deux pays, on peut se demander s’ils n’agissent pas tout simplement par nécessité face à ce qui a montré toute sa puissance depuis un an : la volonté populaire venue « d’en bas ». Ainsi, pour l’historien Benjamin Stora, « les sociétés et, surtout, les jeunesses sont impatientes. Conscientes d’appartenir à la même aire, elles ont le sentiment de partager un destin, en plus d’une civilisation et d’une langue communes. L’union est l’une des nouvelles exigences des peuples. Les dirigeants l’ont compris et doivent donc anticiper cette revendication. » Pour mener à bien un si grand projet, les ventricules gauche et droit au cœur d’une union maghrébine malade devront donc impulser des relations saines s’ils veulent réellement la guérir... à condition d’opérer avec sang-froid.
Le Maroc et l’Algérie semblent avoir ouvert leur Atlas, et s’être rendu compte chacun de l’existence de son voisin. Pour preuve, le nouveau ministre des Affaires étrangères marocain Saadeddine Othmani s’est déplacé il y a une vingtaine de jours à Alger, effectuant ainsi la première visite d’un chef de la diplomatie marocaine depuis 2003 dans la capitale algérienne. Résultat...
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