Rechercher
Rechercher

Liban - Loi électorale - Pour en finir (une bonne fois pour toutes) avec la proportionnelle

II – Fausses vérités et autres duperies

La proportionnelle est, dans l’absolu, un mode de scrutin imparfait, tout comme l’est aussi la majoritaire. Sauf que les imperfections de l’une ne sont pas celles de l’autre, de sorte qu’il n’existe nulle part au monde un système idéal assurant à la fois la meilleure représentation politique et un bon levier pour l’alternance au pouvoir.
Mais plutôt que de reposer sur des caractéristiques théoriques, le choix d’un système de votation crédible dans un pays donné doit avant tout prendre en compte les réalités culturelles et sociopolitiques de ce pays. Ignorer ces réalités, c’est vouloir changer la société par le haut. Trop de régimes de par le monde, fondés sur des idéologies, s’y sont cassé les dents au cours du siècle écoulé.
Or il se trouve que nombre de responsables, d’hommes politiques et d’intellectuels réformistes libanais ne sont pas loin de penser qu’une « bonne » loi électorale au Liban est en mesure de changer la société libanaise dans le sens qu’ils souhaitent : davantage de citoyenneté, moins de références communautaires, moins de clientélisme, etc.
Cette attitude est doublement néfaste : d’abord parce qu’elle attribue abusivement à la loi électorale, censée uniquement servir au mieux la régulation du jeu politique, une fonction qu’elle ne saurait avoir, celle de faire évoluer les mentalités, de faire passer la société libanaise d’une culture de clans à une culture de partis.
Ensuite, parce qu’en visant trop haut et en s’éloignant des réalités, elle finit par être un obstacle à l’objectif premier de réforme. C’est d’ailleurs ce que l’on constate au Liban : voilà des décennies que l’on se perd en conjectures sur les formules à adopter et, à chaque changement, le résultat se révèle décevant.
En d’autres termes, une réforme électorale ne saurait être réellement satisfaisante que si elle colle au terrain, tient compte autant que possible des sentiments de groupes et des frustrations souvent contradictoires au sein de la société. C’est seulement à cette condition qu’elle est en mesure, non pas d’effacer les « tares » de la société, mais du moins de les « gérer » au mieux possible.

Entre théorie et pratique
En théorie, la proportionnelle offre un attrait non négligeable à l’heure actuelle au Liban, celui de pouvoir fissurer les principaux blocs monolithiques qui accaparent pratiquement la représentation de certaines communautés. Ce point de vue est louablement défendu par les milieux de la présidence de la République, qui y voient la possibilité de mettre fin au soliloque confessionnel, en particulier chez les sunnites et les chiites.
De fait, la démocratie ferait un bond en avant du fait même que des députés sunnites qui s’opposent à la ligne dominante au sein de leur communauté puissent être élus par un électorat sunnite et non plus chiite et vice versa chez les chiites.
Sauf qu’en pratique, les choses risquent de ne pas fonctionner comme on le souhaite. D’abord parce qu’il n’y a pas que les sunnites et les chiites dans ce pays et qu’en ce qui concerne les autres communautés, la donne y est très différente. Chez les chrétiens, le problème ne se pose pas à la base puisqu’à l’exception des Arméniens, massés aux trois quarts derrière le Tachnag, l’électorat est d’ores et déjà divisé en deux parties (quasiment égales aux législatives de 2009) sur des critères non pas confessionnels, mais politiques. Chez les druzes, la démographie électorale fait qu’en fonction du découpage qui serait retenu, l’affaire est susceptible de prendre des proportions dramatiques, le leadership joumblattiste pouvant être menacé tout entier dans sa représentation parlementaire, alors même qu’il reste omniprésent sur le terrain.
D’autre part, il y a quelque chose de fondamental qui distingue aujourd’hui les électorats sunnite et chiite. Quelque chose dont on n’a pas trop parlé, mais qui devrait pourtant faire réfléchir. Lors des législatives de 2009, on a pu observer que dans la plupart des circonscriptions à majorité sunnite (Beyrouth III, Akkar, Minieh-Denniyé, Békaa-Ouest), des listes complètes d’opposition au courant du Futur, se réclamant ouvertement du 8 Mars, se sont présentées aux élections et ont obtenu entre 20 et 30 % des voix. La réciproque n’est pas vraie en « territoire » chiite. Les quelques rares candidats isolés qui ont osé braver le verrouillage imposé par le tandem Amal-Hezbollah l’ont fait à leurs dépens, subissant de multiples vexations et parfois même davantage, et ne pensant même pas à une investiture du 14 Mars.
Or l’un des principes élémentaires de la démocratie des élections, avant de perdre ou de gagner, c’est de pouvoir se porter candidat en toute liberté et sécurité. Est-il abusif d’affirmer qu’aujourd’hui au Liban, ce principe est partout respecté sauf dans les fiefs d’Amal et du Hezbollah ?
Dans ces conditions, on peut d’ores et déjà supposer que les bienfaits attendus de la proportionnelle pourraient très bien se concrétiser auprès de l’électorat sunnite, mais pas chez l’électorat chiite. Ce qui serait une injustice de plus.

Proportionnelle sans « proportions »
Et puis il y a bien sûr d’autres problèmes graves que poserait la proportionnelle au Liban, à commencer par son incompatibilité arithmétique avec les quotas confessionnels. Il faut savoir que dans la majorité des cas, quelle que soit la taille des circonscriptions, la proportionnelle ne serait qu’une majoritaire déguisée, dans la mesure où il n’y a pas de « proportions » à partager là où il s’agira d’élire trois, deux ou surtout un seul député d’une même communauté. Voilà pourquoi ce mode de scrutin serait bien plus adapté aux élections municipales, où ces quotas n’existent pas, qu’aux législatives. Sur ce plan, on ne peut que déplorer la mise en échec du projet que l’ancien ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud avait mis au point avant les municipales de 2010.
Dès lors qu’on parle de majoritaire déguisée, à l’intérieur de circonscriptions forcément plus grandes que les actuelles, on retombe dans l’éternel problème de la frustration des chrétiens. Il est vrai que le vote préférentiel (on vote deux fois : une fois pour une liste et une fois pour un ou deux candidats que l’on « préfère » aux autres sur cette liste) peut corriger dans une certaine mesure ce problème. Il est en effet sous-entendu dans un tel système que l’électeur va de préférence donner sa voix au candidat (ou à deux candidats) de sa communauté.
Il reste que, quel que soit le mode de scrutin, les grandes circonscriptions sont toujours synonymes de « bulldozers », c’est-à-dire de listes géantes préétablies arbitrairement par les chefs de file. De cette façon, on perpétue l’un des défauts majeurs de toutes les lois électorales que le Liban a connues ces vingt dernières années, à savoir l’hégémonie de six ou sept « zaïms » qui se partagent le vrai pouvoir aux dépens des institutions.

Un projet « orthodoxe » ?
Pour finir, un mot sur le projet mis au point par le Rassemblement orthodoxe, lequel devrait s’appeler plutôt « Rassemblement de quelques individus grecs-orthodoxes » pour ne pas donner l’impression de parler au nom de toute la communauté.
Ce projet prévoit l’élection à la proportionnelle, et sur la base de la circonscription unique, des députés de chaque communauté uniquement par les électeurs de la communauté correspondante. D’un point de vue constitutionnel, ce projet est aux antipodes de toute la philosophie à l’origine de l’entité et de l’État libanais. Il instaure de facto un fédéralisme communautaire d’autant plus intempestif qu’il n’est pas d’ordre géographique, alors même que la Constitution libanaise prévoit l’évolution vers une décentralisation géographique avancée.
Et sur le plan pratique, ce projet corrige des frustrations confessionnelles, bien sûr, mais il en crée d’autres, notamment d’ordre régional. Le grec-orthodoxe de Beyrouth a peut-être plus d’atomes crochus et d’intérêts communs avec le sunnite, le maronite, le grec-catholique, l’arménien et le chiite de la capitale qu’avec son alter ego confessionnel du Liban-Nord. Or ce dernier étant numériquement majoritaire au sein de la communauté, c’est lui qui va toujours déterminer quel sera le gagnant du scrutin. Cela vaut naturellement pour toutes les autres communautés.
Le Liban, c’est certain, est une mosaïque et doit le rester. Mais c’est une mosaïque en demi-teinte, ouverte au vivre en commun et qui ne peut s’accommoder de divorces implacables et définitifs.
La proportionnelle est, dans l’absolu, un mode de scrutin imparfait, tout comme l’est aussi la majoritaire. Sauf que les imperfections de l’une ne sont pas celles de l’autre, de sorte qu’il n’existe nulle part au monde un système idéal assurant à la fois la meilleure représentation politique et un bon levier pour l’alternance au pouvoir.Mais plutôt que de reposer sur des...
commentaires (1)

Monsieur Elie Fayad, analyse profonde mais enchevetrée et qui se perd dans les dédales du labyrinthe libanais confessionnel.Secret de polichinelle, le confessionnalisme est ancré profondément dans les esprits. La juste représentation, issue d'équitables législatives, impose que chaque communauté envoie au Parlement ses représentants. Que des Orthodoixes du Nord soient plus nombreux que ceux de Beyrouth, ou pour d'autres communautés dans un lieu plus que dans l'autre, n'est pas un problème. En y tenant compte, on peut y remédier. Quelle que soit l'issue, elle est meilleure que des représentants d'une communauté soient élus par les voix des autres. C'est l'unique alternative, puisque la laïcité est un rêve qui ne peut point se concrétiser au Liban. L'équité dit : des cantons à la Suisse, avec un gouvernement central, garantis par les Pays Arabes et les Nations Unies, garderaient le pays Uni et rétabliraient la confiance de tous en l'avenir, dans un système VIABLE. Anastase Tsiris

Anastase Tsiris

02 h 43, le 11 novembre 2011

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Monsieur Elie Fayad, analyse profonde mais enchevetrée et qui se perd dans les dédales du labyrinthe libanais confessionnel.Secret de polichinelle, le confessionnalisme est ancré profondément dans les esprits. La juste représentation, issue d'équitables législatives, impose que chaque communauté envoie au Parlement ses représentants. Que des Orthodoixes du Nord soient plus nombreux que ceux de Beyrouth, ou pour d'autres communautés dans un lieu plus que dans l'autre, n'est pas un problème. En y tenant compte, on peut y remédier. Quelle que soit l'issue, elle est meilleure que des représentants d'une communauté soient élus par les voix des autres. C'est l'unique alternative, puisque la laïcité est un rêve qui ne peut point se concrétiser au Liban. L'équité dit : des cantons à la Suisse, avec un gouvernement central, garantis par les Pays Arabes et les Nations Unies, garderaient le pays Uni et rétabliraient la confiance de tous en l'avenir, dans un système VIABLE. Anastase Tsiris

    Anastase Tsiris

    02 h 43, le 11 novembre 2011

Retour en haut