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À La Une - Addiction

L’alcool, élixir ou venin ?

Dans notre société, l’alcool affiche son omniprésence. Son influence voire son attrait sont perçus prématurément par nos enfants. Les jeunes boivent de plus en plus, et tôt.

La consommation excessive d’alcool ne peut qu’entraîner la ruine de celui qui s’y livre et de son entourage, estime le Dr Sami Richa.

L’entrée dans la consommation se fait d’abord dans un contexte familial. Selon des sources psychiatriques, 60 % des jeunes commencent en famille l’alcool festif dès 13-14 ans ; 70 % des 15-16 ans déclarent en consommer le week-end ; un nombre important entre 18 et 30 ans cherche à boire le plus possible et le plus rapidement pour se « défoncer », avoir un maximum d’effet lors de soirées bien arrosées en fin de semaine. C’est le phénomène inquiétant du « Binge Drinking », importé du Royaume-Uni, qui commence à prendre de l’ampleur au Liban. Parallèlement, sur 1 000 cas recensés en 2011, 6 % souffrent de problèmes de dépendance à l’alcool, face à 1,2 % en 2002.
Pendant longtemps, quand on parlait d’alcoolisme, la tendance était de penser aux hommes, or de récentes études révèlent que l’alcool féminin est en hausse dans le pays, et ce, depuis quelques années déjà : pour quatre hommes alcooliques, on compte aujourd’hui une femme. Si l’on ne parle pas encore bien sûr d’un phénomène de masse, il est grand temps cependant de prendre ce problème très au sérieux. « La maladie alcoolique » touche tous les types de personnes, indifféremment de l’âge, du sexe, du milieu social ou économique. S’il est indéniable que les boissons alcoolisées peuvent avoir quelques « atouts », il est également incontestable que l’alcool consommé à outrance devient une substance toxique, psychotrope et additive ; une drogue licite potentiellement dangereuse qui peut poser de graves désordres psychiques, physiques, sociaux... et causer de nombreux accidents et maladies mortelles.

Un sujet qui demeure tabou
Qu’est-ce qui fait que, dans notre société, parler d’alcoolisme semble être un acte si courageux et téméraire ? Pourquoi ne se sent-on pas à l’aise avec le versant sombre de l’alcool, alors qu’il nous est facile d’en évoquer les bons côtés tant gastronomiques, festifs que conviviaux ? Boire un verre est un rituel, voire un passage obligé dans un déjeuner d’affaires, un repas de famille, à l’occasion d’une fête ou entre amis. En parler suscite à la fois compréhension et rejet, et marque un dualisme profond. D’un côté, boire de l’alcool est en quelque sorte une nécessité sociale, et nombre de situations exigent de « lever » un verre à la santé des autres. De l’autre, boire à l’excès, c’est transgresser un tabou, surtout pour les femmes, car l’ivresse est réprouvée. Malheur à celui qui ne sait pas se contrôler ! Il sera mis au ban d’une société hypocrite, productive d’alcool, qui pousse à la consommation, tout en blâmant l’excès. Le « malade » alcoolique tangue entre honte et mensonge, tandis que ses proches, souvent désemparés, oscillent entre négation et culpabilité.

Où commence l’alcoolo-dépendance ?
Qui n’a pas entendu ou dit ces phrases magiques, censées protéger l’alcoolique de la honte suprême : « Je ne suis jamais ivre, j’abuse le week-end, jamais la semaine. »
Comme tout grand séducteur, l’alcool commence par le badinage. Un verre par-ci, un autre par-là. Le plaisir de se sentir plus extraverti, une légère euphorie rendent la vie plus belle. Certains se contentent du flirt, d’autres ont besoin de plus. Comme dans certaines passions, l’alcool qui fait du bien au début peut se transformer en bourreau si on le laisse imposer sa loi. C’est un piège dans lequel on peut être pris à son insu. La glissade est rapide. On peut passer vite de l’état de buveur occasionnel à celui d’excessif. « À certaines heures, il me fallait impérativement ma bouteille de bière. Moi qui, autrefois, ne buvais que pour étancher ma soif, je commençais à boire sans soif aucune. La quantité que je consommais quotidiennement avait augmenté. Et chaque fois que l’effet de l’alcool s’estompait, je déprimais, tremblais et des frissons me parcouraient le corps. Des idées suicidaires hantaient mon esprit. Je m’enfermais alors pour m’adonner librement à ma boisson, pour affronter le quotidien », avoue Ziad, 30 ans, alcoolo-dépendant.
Ce témoignage constitue un véritable avertissement. « La consommation excessive ne peut que mener droit à la ruine de celui qui s’y livre et de son entourage », déclare le Dr Sami Richa, psychiatre. « La santé physique et psychique des malades en souffre, mais aussi les relations de couple, la vie de famille, le développement des enfants, la productivité au travail, la sécurité routière », explique-t-il, en relevant que « souvent, l’abus d’alcool est exclusivement associé à l’ivresse et à l’alcoolo-dépendance ».
« Mais l’alcool devient de fait problématique bien avant d’arriver à ces deux étapes et le danger ne se borne pas à la dépendance qu’il peut susciter. Certains consommateurs se rassurent en disant : “ Je ne suis pas accroché, j’arrive à ne pas boire pendant des jours.” Or, la dépendance a autant de visages qu’il y a de personnes touchées par la maladie, insiste-t-il. Elle ne se manifeste que rarement sous la forme de clichés de l’alcoolique que tout le monde a en tête. Les malades passent souvent inaperçus, mais leur souffrance est bien réelle, et les dégâts sont considérables derrière leurs efforts pour afficher une certaine “ normalité ”. » Le Dr Richa explique que « le dépendant est un malade chronique qui, après un ou deux verres, ne peut plus s’arrêter de boire. Il ressent le besoin d’un troisième, quatrième... et ne peut plus contrôler sa consommation. Son envie de boire est irrésistible malgré les conséquences fâcheuses sur sa vie sociale, professionnelle et affective. Sa tolérance à l’alcool augmente, et les symptômes du sevrage apparaissent (tremblements, convulsions, sueurs, insomnie...) dès l’arrêt de l’alcool ». « Pour les buveurs souffrant d’une dépendance psychologique, poursuit-il, l’état de manque, bien qu’énormément désagréable, n’est pas aussi nocif que la dépendance physique, qui tend généralement à se manifester chez les buveurs se tournant vers une consommation excessive afin de “ fuir” un problème. »
Le Dr Richa s’est longuement étendu sur l’impact de l’abus de l’alcool sur les personnes qui présentent une dépendance : » Au fil du temps, leur organisme développe une tolérance à la présence d’alcool dans le sang. S’ils décident soudainement de cesser de boire, ils sont confrontés alors à des symptômes de sevrage. Dans certains cas, l’arrêt soudain et sans assistance peut s’avérer mortel. Ainsi, l’abus d’alcool peut avoir des effets dommageables autant sur le corps que sur l’esprit, à tel point qu’il est l’une des drogues les plus dangereuses qui soient. L’alcool altère la plupart des fonctions cérébrales, ce qui réduit temporairement l’aptitude à réfléchir, voir, agir et endommage le cœur, le foie, les reins, le cerveau et l’estomac. Il peut provoquer des pertes de mémoire et même certains types de cancer. Il y a quelque temps, il était conseillé de boire un verre de vin par jour. Ce qui ne serait plus le cas à l’heure actuelle, vu l’augmentation des risques de cancer de la gorge et la propagation de l’hypercholestérolémie chez une bonne partie de la population libanaise. »
À la question de savoir si cette maladie chronique se transmet génétiquement, le Dr Richa précise que » certaines études ont démontré une grande incidence de la maladie lorsque l’un des parents souffre d’alcoolisme ». « C’est la raison pour laquelle, dit-il, elle pourrait être à 7 % d’ordre génétique et impliquer des désordres biochimiques. Des facteurs liés à la personnalité et à l’entourage familial peuvent cependant avoir un effet protecteur, même pour une personne présentant un haut risque de développement de problème d’alcoolisme. À l’inverse, une personne sans aucune histoire familiale peut le devenir. Toutefois, tout le monde n’est pas égal face à l’alcool. L’exposition au stress, la disponibilité du produit, la prédisposition familiale, l’anxiété, le désespoir, le bouleversement affectif, la pauvreté, la décadence morale... sont autant de facteurs importants qui incitent à devenir un alcoolique invétéré. »
Quand faut-il s’en inquiéter ? « Dès que l’on sent que l’alcool commence à endommager notre qualité de vie », s’empresse de répondre le psychiatre. « Mais le danger devient manifeste à partir du moment où l’on boit pour se sentir mieux ; quand l’envie de boire est irrépressible et quand on en a besoin pour fonctionner normalement », ajoute-t-il.

La volonté, clé de voûte de la guérison
« La moitié du chemin est parcourue quand la personne a pris conscience de sa maladie et décidé de se faire traiter », poursuit le psychiatre. Pour aider un alcoolique, il ne sert à rien de le lui rappeler, ni de lui cacher la bouteille. Pour l’en sortir, ce n’est point dans le bruit, mais plutôt dans « un silence de douleur ».
Selon ses explications, « la seule façon de s’en tirer est d’accepter l’abstinence». Avant de proposer un sevrage, il est donc primordial que la personne prenne pleinement conscience de cette nécessité. La première phase « motivationnelle » aide le malade à entrer dans un processus de changement. Suit alors la désintoxication dans un centre hospitalier (ou en ambulatoire), une démarche différente d’une personne à l’autre et dépendant de la sévérité de l’alcoolisme, de sa durée et de la quantité d’alcool consommée. Il est alors proposé au malade un soutien médicamenteux, qui aide au maintien de l’abstinence et à réduire les symptômes d’un sevrage sévère. Les médicaments, fournis à l’étranger, sont incontournables et apportent parfois de bons résultats.
Mais pour une plus grande efficacité, la prise en charge globale du dépendant s’avère indispensable. C’est la raison pour laquelle le meilleur traitement reste le soutien et le suivi psychosocial, à long terme. La réhabilitation étant destinée à faire du malade un buveur qui demeure durablement abstinent.
Il est bon de souligner qu’au Liban, les centres spécialisés de désintoxication et de réhabilitation contre l’addiction alcoolique, favorisant la prévention de la rechute, sont malheureusement inexistants. Il est dès lors prudent pour les personnes concernées, même après des années de sevrage, d’éviter toute consommation. Selon le Dr Richa, « on ne guérit pas vraiment de l’alcoolisme, mais on peut l’arrêter ». « Cinq années d’abstinence sont requises pour pouvoir parler de guérison », note-t-il. « Même si les rechutes sont fréquentes, de nombreux alcooliques réussissent à vaincre leur maladie. La rechute est ce qui peut arriver de pire à un alcoolique abstinent, qui est parvenu à vivre normalement un certain temps et qui, pour une raison souvent précise, retombe dans l’engrenage. C’est un défi permanent qui décourage le patient. Il convient de faire l’analyse de cette rechute, d’évaluer l’importance des déclencheurs afin de mieux contrôler les tentations », conclut le Dr Richa.
La voie du rétablissement peut avoir ainsi l’apparence d’un parcours en dents de scie. Certains réussissent à suivre un chemin direct au sommet du « mont du rétablissement », alors que d’autres dégringolent en cours de route.
L’entrée dans la consommation se fait d’abord dans un contexte familial. Selon des sources psychiatriques, 60 % des jeunes commencent en famille l’alcool festif dès 13-14 ans ; 70 % des 15-16 ans déclarent en consommer le week-end ; un nombre important entre 18 et 30 ans cherche à boire le plus possible et le plus rapidement pour se « défoncer », avoir un maximum d’effet lors...
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