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Nos Lecteurs ont la Parole

L’Iran et la crise syrienne

Par Rim KHOUNI MESSAOUD
Au moment où la crise syrienne perdure, retient toute l’attention de la communauté internationale et divise les grandes puissances, la question du soutien à la Syrie ne semble pas diviser les conservateurs et les réformateurs en Iran. Il s’agit d’un fait rare en République islamique en matière de politique étrangère. Cette position ne pourrait pas être expliquée cette fois-ci par la suprématie du statut du guide, Ali Khamenei, qui a le premier et le dernier mot en Iran, mais par l’importance – pour les deux tendances – du gouvernement syrien actuel quant au rôle et à la présence de l’Iran dans la région, et dont il pourrait se voir privé en cas de chute du régime de Bachar el-Assad.
L’Iran a violemment critiqué les manifestations en Syrie en disant qu’elles sont dirigées depuis l’extérieur, en faisant la comparaison avec les manifestations qui avaient eu lieu en Iran au moment des élections de 2009, qui ont donné un second mandat au président Ahmadinejad.
En revanche, l’Iran est resté prudent, malgré les accusations, en ce qui concerne les affrontements directs avec la population syrienne, de peur de s’attirer les foudres des pays et peuples arabes, et surtout par crainte de voir exploser un conflit interconfessionnel qui pourrait être pénalisant et nuisible pour le régime syrien, et avec lui l’Iran. Le gouvernement iranien sait que s’il intervient directement dans la répression des manifestations, cette situation pourrait se révéler très dangereuse pour la Syrie, qui se verrait privée du soutien des Arabes sunnites (nationalistes surtout) et cela pourrait en même temps encourager des franges de la population syrienne sunnite, encore hésitante, à se révolter à son tour contre le régime, ce qu’elle n’a pas jusque-là fait, par affinité et soutien au gouvernement en place.
De surcroît, sans la Syrie, l’Iran pourrait se retrouver dépourvu d’un soutien important, voire vital dans la région. Ses ambitions d’avoir un rôle de leader dans la région pourraient s’en trouver compromises et Téhéran risquerait de se retrouver avec une marge de manœuvre réduite dans un cadre stratégique impliquant des puissances et des acteurs plus importants et beaucoup plus présents que lui.
En l’occurrence, il ne s’agit pas uniquement de la Turquie, dont le rôle et l’image sont aujourd’hui de plus en plus importants, notamment avec le parti AKP au pouvoir, mais aussi de toute la région si les révoltes et révolutions aboutissent.
Une chute éventuelle du régime syrien affaiblirait la position du Hezbollah. La Syrie permet à l’Iran d’avoir des voies de communication avec le Hezbollah, le Hamas et le Jihad islamique. Pour l’Iran, en outre, elle représente au nord un centre de pression contre Israël. Une situation qu’un nouveau gouvernement à Damas pourrait ne pas tolérer, d’autant plus qu’une grande partie de l’opposition voit d’un mauvais œil la nature des relations irano-syriennes.
Certains craignent l’abandon du soutien iranien au Hamas et au Jihad islamique, ce qui pourrait être vrai à court terme. Mais sur le moyen et long terme, la nouvelle situation dans le monde arabe pourrait être très bénéfique pour la question palestinienne puisqu’on peut faire le choix d’aider la Résistance et les Palestiniens. En outre, on peut voir le front de la résistance se diviser, ce qui est fort probable. Dans ce contexte de révolutions, le front des « pays modérés » s’est divisé avec le départ de Moubarak, mais il y a aujourd’hui un nouveau front de résistance plus important : celui des peuples arabes descendus dans les rues et qui seront le vrai front de résistance si l’après-révolution se passe bien.
Une autre inquiétude pour l’Iran est celle de voir son influence sur les minorités chiites dans les pays du Golfe diminuer. Si le vent de révolutions touche ces pays, à long terme la citoyenneté privera l’Iran de son ingérence dans les affaires de ces États puisque ce qui primera c’est la citoyenneté et non la confession.
Si les rapports et les déclarations des grandes puissances mais aussi de l’opposition syrienne quant au soutien iranien apporté au régime d’Assad sont fondés, cela pourrait retarder une sortie de crise, augmenter le nombre de morts, enfin donner un aspect confessionnel au conflit, sans pour autant rendre la légitimité au gouvernement. La situation pourrait se retourner contre l’Iran, qui se retrouverait isolé et montré du doigt par les autres gouvernements arabes, les mouvements islamistes et les peuples arabes.
La Syrie n’a pas soutenu la position de l’Iran en ce qui concerne la crise à Bahreïn ;
elle a au contraire soutenu les pays du CCG. Un ministre des Affaires étrangères de l’un de ces pays a même déclaré qu’ « on ne laissera pas Bahreïn se transformer en Liban, quitte à entrer en guerre contre l’Iran ».
Beaucoup de questions qui ne sont pas marginales divisent l’Iran et la Syrie, sans forcément être déclarées : les dossiers irakien, libanais et palestinien pourraient conduire, à la lumière de ce qui va se passer, à un changement quant à la nature de leur « alliance ». L’alliance irano-syrienne semble être une alliance d’intérêts qui permet à chacun des deux pays d’avoir des marges de manœuvres. La Syrie avait répondu positivement il y a quelques années aux propositions d’ouverture des pays occidentaux tout en sachant que cela pourrait déranger la République islamique et que cette ouverture voudrait d’abord dire changer la nature de ses rapports avec l’Iran. La position syrienne, en soutenant les monarchies du Golfe dans la crise de Bahreïn, s’explique par l’importance pour elle de ses liens avec les pays arabes afin de ne pas se retrouver isolée dans la gestion de sa crise à la lumière de ce qui se passe dans le monde arabe, et pour éviter de tomber dans le scénario libyen quand la Ligue arabe, avec l’appui des pays membres, a imposé – en faisant appel à l’ONU – un embargo aérien contre la Jamahiriya.
L’« alliance souple » entre les deux pays est réfléchie. Elle est tout à fait claire pour les deux parties et leur permet d’éviter des choix contraignants. Les contradictions et positions iraniennes face aux révolutions arabes montrent que l’Iran agit en tant que pays ayant des intérêts et non une idéologie islamique. L’Iran recourt à l’idéologie quand cela ne s’oppose pas à ses intérêts, mais face à des choix et alternatives difficiles, c’est l’intérêt national qui prend le dessus et c’est en effet ce qui caractérise la politique étrangère de la République islamique depuis 1979.

Rim KHOUNI MESSAOUD
Docteur en histoire contemporaine de l’Université Paris 3, spécialiste de l’Iran et du Moyen-Orient
Au moment où la crise syrienne perdure, retient toute l’attention de la communauté internationale et divise les grandes puissances, la question du soutien à la Syrie ne semble pas diviser les conservateurs et les réformateurs en Iran. Il s’agit d’un fait rare en République islamique en matière de politique étrangère. Cette position ne pourrait pas être expliquée cette...

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