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Diaspora - Entretien

La presse française, héritière de la politique de l’Hexagone au Liban

Comment la presse française rend-elle compte des événements du Liban surtout dans les périodes mouvementées ? Quels sont les critères sur lesquels elle se base pour traiter de l’actualité libanaise ? Explications d’un expert sur le sujet.

L’écrivain Roy Jreijiry.

Roy Jreijiry, docteur en sciences de l’information et de la communication, a publié une thèse sur les événements libanais vus par la presse française. Il explique comment des quotidiens français (Le Figaro, Libération et Le Monde) ont abordé l’actualité libanaise entre 1988 et 1991. Une période qui débute par la nomination d’un gouvernement transitoire présidé par Michel Aoun et se termine par la signature du traité de coopération syro-libanais.
Roy Jreijiry a obtenu son doctorat en sciences de l’information et de la communication de l’Université Paris 13 – Villetaneuse. Il enseigne actuellement à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK), l’Université libanaise (UL), et l’Université des pères antonins (UPA). En 2010, il a publié un ouvrage intitulé L’image du Liban dans la presse quotidienne française : 1988-1991, aux éditions universitaires européennes, Sarrebruck (Allemagne).

OLJ. Vous avez décortiqué les articles portant sur le Liban parus dans Le Figaro, Libération et Le Monde durant la semaine du 19 septembre 1988 et fin mai 1991. Pour quelles raisons avez-vous décidé d’effectuer votre recherche sur cette période précisément ?
Roy Jreijiry. L’intérêt est d’abord politique. C’est une période importante dans l’histoire contemporaine de notre pays qui constitue une seule entité. Elle débute par un défi lancé à la politique syrienne au Liban ; le rejet de la candidature de Mikhaël Daher et se termine par la défaite du camp qui a lancé ce défi. Une défaite politique et militaire symbolisée par la signature du traité de fraternité entre les deux pays. Elle est caractérisée aussi par le retour politique de Paris sur la scène libanaise. L’intérêt est aussi journalistique. Cette période est marquée par une couverture extrêmement abondante des événements du Liban, où il était courant de trouver trois articles à la même une traitant de notre pays. Enfin, dans de telles recherches, la motivation personnelle est importante bien qu’elle s’effectue au risque d’être accusé de subjectivité ! Cette période, je l’ai vécue alors que j’avais entre 11 et 14 ans. Un âge où les événements commencent à nous marquer et où les opinions et les idées commencent à se forger.

Sur quels critères se sont basés ces trois quotidiens pour traiter des informations liées au Liban ? Et peut-on parler d’une approche commune de leur part ?
Ces trois quotidiens sont les héritiers de la politique française au Proche-Orient. Une politique qui a toujours perçu le Liban comme un pilier de l’influence politique et culturelle francophone dans la région. Oui, on peut parler d’une approche commune durant la période de notre étude. Pour donner un exemple, tous les trois étaient favorables à l’intervention française au Liban et la percevaient comme un acte bénéfique pour les deux pays. Tous considéraient les chrétiens du Liban comme les « protégés » de la France et constituant une clé de sa politique dans la région. On peut même parler dans certains cas d’une assimilation du Liban aux seuls chrétiens, surtout durant la deuxième semaine de cette période. Nous avons relevé une série de titre orientés, dans Le Figaro surtout, mais aussi dans Le Monde, qui montrent tout un pays (les « régions est » en réalité) agressé par son
voisin.

Vous notez que la presse qui a couvert la « guerre de Libération » s’est relativement désintéressée de la situation au Liban quelques mois plus tard, durant la guerre entre la milice chrétienne et l’armée de Michel Aoun. Comment expliquez-vous ce désintérêt ?
La presse française qui agissait en tant qu’acteur durant la « guerre de Libération » s’est évidemment trouvée dans une situation embarrassante. Les « chrétiens » qu’elle défendait se font la guerre ! La vision simpliste du conflit libanais qu’elle avançait il y a quelques semaines : « chrétiens agressés/menacés par les Syriens » était bafouée. Résultat : elle a opté pour le silence, tant sur les affrontements, plus dévastateurs que ceux de la guerre précédente, que sur la souffrance des populations. Aussi, la presse n’a pas pu prendre parti durant ce conflit (bien qu’on puisse remarquer une légère tendance pro-Aoun, notamment dans Libération).

Par la suite, l’actualité au Liban a été tout aussi riche en événements. Comment le traitement de l’information a-t-il évolué ?
Pour répondre à cette question, je vais me baser sur le travail de recherche que j’effectue actuellement et qui est basé sur un corpus constitué de plus de 25 quotidiens internationaux, dont Le Monde, Libération, et portant sur la guerre de juillet 2006. J’étudie comment cette guerre est présentée à la une de ces quotidiens. Sans vouloir me lancer dans des conclusions prématurées, je peux affirmer qu’avec l’explosion des moyens de communication et avec la diversification des sources d’information, la marge de « maniement » (pour éviter le terme « manipulation ») que possédait un journaliste ou un média dans la présentation d’un événement est beaucoup plus restreinte aujourd’hui que dans le passé. Par exemple, juste après le déclenchement de la guerre contre le Hezbollah en juillet 2006, deux versions « biaisées » de l’événement déclencheur ont circulé dans certains médias. La première consistait à accuser le Hezbollah d’avoir à la fois enlevé deux soldats israéliens et lancé des katiouchas sur le nord d’Israël avant que ce dernier riposte. La seconde parlait de l’enlèvement de deux soldats israéliens tout en omettant, volontairement je suppose, que trois autres soldats ont été tués lors de la même opération. Ces deux versions ont rapidement été radiées du langage médiatique. Des agissements pareils étaient plus fréquents en 1990, comme je le montre dans ma thèse. Cependant, il ne faut pas croire qu’actuellement, les journalistes sont devenus plus objectifs ou plus neutres. Ainsi, d’autres formes de déformations de faits étaient présentes en 2006 telles que certains dérapages de fond dans la traduction des discours des chefs de la guerre de juillet.

Y a-t-il des constantes portant sur le Liban qui reviennent souvent dans la presse française ?
Pour le savoir, cela nécessite plusieurs études étalées sur diverses périodes, non sans précaution concernant les limites des éventuelles conclusions. Mais on peut noter que certains traits paraissent bien ancrés dans le paysage médiatique et social français. La proximité affective, culturelle et religieuse que suscite le Liban et qui fait de ce dernier un sujet traité sur la scène locale française notamment lorsque le contexte fait ressurgir les rapports historiques franco-syriens. Le Liban est un pays dont les caractéristiques ont été dessinés par les pouvoirs mandataires dans un contexte conflictuel et dans un but qui permet, entre autres, aux Français de garder une zone d’influence dans la région.
Roy Jreijiry, docteur en sciences de l’information et de la communication, a publié une thèse sur les événements libanais vus par la presse française. Il explique comment des quotidiens français (Le Figaro, Libération et Le Monde) ont abordé l’actualité libanaise entre 1988 et 1991. Une période qui débute par la nomination d’un gouvernement transitoire présidé par Michel Aoun...