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Brouillage médiatique

Lorsqu'une réalité bien établie dérange, le meilleur moyen de la contourner est souvent de l'occulter, de faire semblant qu'elle n'existe pas. L'on adopte alors une attitude de déni. En schématisant et en extrapolant quelque peu, c'est la position que tente d'adopter le camp du 8 Mars au sujet du résultat des élections législatives du 7 juin dernier. Pour les diverses factions de l'opposition, la victoire du 14 Mars c'est déjà du passé. Sous le couvert d'entente nationale, elles estiment qu'il faut maintenant opérer une redistribution des cartes sur la scène locale, transcender le clivage 14 Mars/8 Mars, favoriser l'émergence d'un nouveau paysage politique sous le prétexte de stimuler une détente interne et faciliter la formation du cabinet Hariri. Pour faire oublier rapidement les enjeux véritables et la portée réelle de la bataille électorale, ou pour camoufler et dissimuler ces enjeux, rien de mieux qu'un bon brouillage médiatique, doublé de diversions politiciennes portant sur des sujets relativement marginaux.
La manœuvre, fort habile, s'accompagne de gestes d'ouverture en direction de divers pôles de la majorité afin de disloquer, autant que faire se peut, l'édifice du 14 Mars... Toujours sous le couvert de réconciliation et d'entente, le tout orné de très beaux discours vantant les bienfaits de la détente... Particulièrement significative sur ce plan est la campagne menée tambour battant par le chef du Législatif et leader du mouvement Amal, Nabih Berry, qui propose explicitement de « faire fondre » le 14 et le 8 Mars au sein du prochain gouvernement afin, précisément, de « dépasser » l'antagonisme entre les deux camps pour déboucher sur une nouvelle donne. Une nouvelle donne qui a évidemment pour grand avantage de tourner la page du vaste débat, pour une fois profondément politique (dans toute l'acception du terme), qui a marqué les élections législatives. Et c'est bien là que le bât blesse...
Qu'une délégation du Hezbollah fasse la tournée des dignitaires religieux druzes pour panser les douloureuses plaies du 7 mai 2008, cela est non seulement louable, mais surtout impératif, si nous désirons véritablement placer les jalons d'une réelle entente interne. Que le député Samy Gemayel prenne le chemin de Bnechaï pour rétablir les ponts avec les Marada et tenter une ambitieuse entreprise de réconciliation interchrétienne, cela constitue une courageuse initiative qui est sans conteste la bienvenue. Il reste que ces démarches, fort médiatisées, seraient en définitive contre-productives si elles devaient avoir pour seul aboutissement un court-circuitage du résultat du scrutin législatif du 7 juin, une tentative de récupération de certains pôles de la majorité en vue d'une occultation pure et simple du débat de fond qui divise les Libanais depuis 2006 et qui a été au centre de la bataille électorale du printemps dernier.
Les élections qui ont abouti à la victoire du 14 Mars n'ont pas opposé simplement deux vastes coalitions de forces et de courants politiques adverses. Le véritable enjeu pour l'électeur était d'opérer un choix éminemment stratégique entre deux projets politiques aux antipodes l'un de l'autre, entre deux visions antinomiques du Liban et de sa vocation régionale. L'enjeu, convient-il de rappeler, était de choisir entre, d'une part, l'alignement sur l'axe Téhéran-Damas et le projet de société résistante et combattante prôné par le Hezbollah, ou, d'autre part, le projet d'édification d'un État central et rassembleur, qui détiendrait le monopole de la décision de guerre et de paix, qui désengagerait le Liban du volet militaire et sécuritaire du conflit proche-oriental afin de se consacrer, enfin, à la « reconstruction de la maison libanaise », à la recherche d'un équilibre interne durable et à la mise en place d'une politique de développement global et intégré. Il ne s'agissait donc nullement d'un banal bras de fer à caractère politicien ou clientéliste entre deux camps qui se disputaient des sièges parlementaires ou qui se livraient à une course traditionnelle pour le pouvoir. Si tel était réellement le cas, il aurait alors été tout à fait envisageable d'évoquer la possibilité de « dépasser le clivage 14 Mars/8 Mars », de suggérer de « fondre » le 14 Mars et le 8 Mars au sein du gouvernement, de chercher à stimuler une « redistribution des cartes sur la scène locale » afin de favoriser l'émergence d'une nouvelle donne politique, comme le prônent certains responsables de l'opposition. Mais cela est loin d'être le cas, et la consultation populaire du 7 juin était beaucoup plus qu'une simple bataille électorale traditionnelle opposant des courants rivaux.
À la lumière de cette réalité, s'il doit y avoir détente interne et réconciliation nationale durables et sérieuses, il faudra savoir sur quelles bases elles peuvent se faire. Cela s'applique plus particulièrement aux curieuses manœuvres médiatiques de Walid Joumblatt. Quant à l'ouverture de Samy Gemayel en direction des Marada, la question est de savoir si cette politique de la main tendue peut déboucher sur une quelconque modification de la position de Sleimane Frangié concernant le projet du Hezbollah, le dossier des armes du parti chiite, ou aussi la politique traditionnelle de Damas vis-à-vis du Liban. Si un rapprochement interchrétien est réellement mis sur les rails, le chef des Marada restera-t-il quand même attaché à l'arsenal militaire de la tête de pont iranienne que représente le Hezbollah, continuera-t-il à accepter que le Liban soit le seul pays arabe de confrontation avec Israël (comme il l'est depuis 1973), persistera-t-il à assurer une couverture au mini-État rampant du parti chiite qui n'épargne aucun effort pour torpiller régulièrement, par tous les moyens disponibles, l'émergence d'un État central fort ? S'obstinera-t-il aussi à fermer les yeux sur la crise de confiance chronique qui marque les rapports entre la Syrie et le Liban depuis les années 40 du siècle dernier, et continuera-t-il à s'abstenir de mettre à profit ses liens privilégiés avec l'actuel régime syrien afin d'amener enfin la Syrie à modifier radicalement la vision paternaliste et hégémonique qu'elle se fait de ses rapports avec le pays du Cèdre ?
Tout rapprochement entre certains pôles du 14 et du 8 Mars qui ne s'accompagnerait pas d'une avancée significative sur ces questions existentielles, dans le sens de l'esprit de la révolution du Cèdre, reviendrait à gommer les résultats et les acquis non seulement des élections du 7 juin mais surtout de l'intifada de l'indépendance 2005. Un tel rapprochement aurait alors pour seul effet d'entretenir et d'accentuer le brouillage médiatique qui empêche les Libanais de percevoir avec discernement le problème de fond qui se pose au pays.
Lorsqu'une réalité bien établie dérange, le meilleur moyen de la contourner est souvent de l'occulter, de faire semblant qu'elle n'existe pas. L'on adopte alors une attitude de déni. En schématisant et en extrapolant quelque peu, c'est la position que tente d'adopter le camp du 8 Mars au sujet du résultat des élections législatives du...
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