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Nos Lecteurs ont la Parole

I.- Le maronitisme politique, un combat pour la liberté

Par Sélim JAHEL
L’orientation du Liban vers un communautarisme plus accusé, du fait des positions prises aujourd’hui sur le terrain par les chiites du Hezbollah, appelle à mieux réfléchir sur les particularités qu’offre au plan politique chacune de ses composantes. Elles étaient moins visibles avant que la guerre n’ait accentué les regroupements communautaires et tant que l’État de type unitaire auquel elles étaient inféodées avait encore pleine souveraineté sur son territoire. Il faut dire que chacune de ces communautés, bien qu’elles soient liées par un même destin national, affiche une conception différente des rapports sociaux, de la famille, et se démarque par des valeurs d’ordre moral et culturel qu’elle veille soigneusement à préserver. Chacune a aussi sa propre histoire, autre élément identitaire, mais elles restent liées par la volonté commune de vivre ensemble et partager le même destin national.
Pour ce qui est des maronites, Assad Germanos, dans un livre intitulé Les fondements du maronitisme politique à la source des libertés libanaises, s’applique à trouver les constantes qui ont fait que cette communauté chrétienne, rattachée à Rome par des liens particuliers et ayant à sa tête un patriarche, soit devenue au fil des siècles « une réalité historique, comme il dit, et donc une nation ayant sa spécificité ».
En fait, il faut bien voir que dans le paysage libanais mais aussi à l’échelle du Proche et Moyen-Orient, les maronites apparaissent comme une communauté atypique tant par rapport aux autres communautés chrétiennes réparties dans les autres pays du monde arabo-musulman, qu’à celui de tous les autres groupes ethniques ou culturels de la région. Il y là un peuple, le même, depuis près de quinze siècles accroché à la terre du Liban dont il paraît indissociable, jaloux de son autonomie, fort de ses valeurs de libertés et de démocratie qu’il a toujours tenté de projeter autour de lui, ouvert tout à la fois à l’arabité qu’il a servie et qu’il continue de servir par ses linguistes, ses écrivains, ses poètes et à la culture occidentale, se flattant d’être ainsi un pont entre l’Orient et l’Occident. Les maronites, écrit Fouad Ephrem al-Boustany (Saint Maron et l’Église maronite) ont « un rayonnement » qui « prend sa source dans le courage, se nourrit d’un état d’éveil permanent dans une vie de paix armée, une vie de combat perpétuel pour le droit, la liberté et la dignité, une vie faite de fierté qui défie tous les dangers à partir de sa montagne forteresse ».
Remontant l’histoire à la recherche des fondements du maronitisme politique, Assad Germanos insiste sur la fusion qui s’est opérée vers le VIIe siècle entre les premiers habitants de la montagne et les mardaïtes. « Il ne fait aucun doute, écrit-il, qu’a partir du VIIe siècle, les mardaïtes et les jarajina formèrent un seul et même peuple, et même, pourrait-on dire, une nation qui a ses spécificités. »
Originaires de l’Amanus, issus, selon Hérodote, de tribus aryennes, les mardaïtes, réputés pour leurs vertus guerrières, avaient aidé les Byzantins à contenir l’avancée des Arabes en Syrie, puis s’étaient repliés dans la montagne libanaise où ils se sont mélangés à ses premiers habitants. En fait, animés par un fort esprit d’indépendance, ils s’étaient alliés, tantôt aux Byzantins contre les Arabes, puis aux Arabes contres les Byzantins, sans inféodation ni aux uns ni aux autres ; leur fusion avec les maronites va fortement marquer le système de ces derniers : exaltation de l’esprit combatif, refus de toute forme d’asservissement tant au plan individuel que collectif et une structure sociale, qu’on prête aux peuples indo-européens, basée sur une tripartition fonctionnelle entre moines, guerriers et paysans.
Le premier patriarche, Mar Youhanna Maroun, véritable fondateur de « la nation maronite » et lui-même d’origine mardaïte, chef à la fois de l’Église et de la communauté, est généralement représenté armé d’un sabre. Son élection au patriarcat d’Antioche et de tout l’Orient suscita l’ire du Basileus qui envoya aussitôt contre lui une armée ; elle fut défaite à Amioun dans la Koura par des guerriers mardaïtes commandés par le propre neveu du patriarche (Boutros Dib, Histoire du Liban).
Il laissera à son peuple des recommandations destinées à lui assurer pérennité et épanouissement. Assad Germanos nous les détaille en ces termes : « Appliquez-vous à l’instruction, vous éviterez la tyrannie ; appliquez-vous à être robustes et vigoureux, vous éviterez la défaite et la persécution ; appliquez-vous à être téméraires, vous éviterez les agressions. » Les patriarches qui lui ont succédé ont toujours été considérés comme les véritables chefs de la communauté maronite, « princes d’Orient » comme les appelaient les Ottomans. Ils ont longtemps exercé un pouvoir à caractère politique animé tant par la volonté de soustraire le pays aux théocraties et autres totalitarismes environnants que celle d’établir une société fondée sur la liberté de l’individu, le respect de la personne, l’ouverture, le pluralisme religieux et culturel. C’est avec cet esprit que les maronites ont essaimé dans la montagne à la rencontre d’autres communautés qui s’y étaient établies, druzes et chiites. Ils ont très vite constitué avec les premiers, en marge de l’Empire ottoman, une principauté largement autonome gouvernée par des autochtones, des princes qui furent tour à tour druzes, sunnites et chrétiens, l’État de Fakhreddine, comme l’appelle Germanos, qu’il nous a laissé, ajoute-t-il, « en héritage quatre siècles durant ». Et c’est finalement grâce aux efforts déployés par le patriarche Hoyek à la conférence de la paix en 1919 et auprès des autorités françaises chargées du mandat sur le Liban, que l’État de Fakhreddine a pu trouver enfin une reconnaissance internationale.
(À suivre)

Sélim JAHEL
Professeur émérite à l’université Panthéon Assas Paris II
L’orientation du Liban vers un communautarisme plus accusé, du fait des positions prises aujourd’hui sur le terrain par les chiites du Hezbollah, appelle à mieux réfléchir sur les particularités qu’offre au plan politique chacune de ses composantes. Elles étaient moins visibles avant que la guerre n’ait accentué les regroupements communautaires et tant que l’État de type...

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