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Nos Lecteurs ont la Parole

Mi-coton, mi-reine

Jean Gaël TABET
Assis au quatrième étage de cette interminable tour, plongé dans mes pensées austères, filantes, changeantes, qu'ai-je fait ?
Ai-je saisi une chance ou suis-je plutôt sorti de la danse ? Comme on le dit si bien, la vie est faite de choix. Moi j'ai fait le mien, basé sur l'ultime conviction de sa réversibilité. Et bien non, plutôt que de se voiler la face, mieux vaut se rendre à l'évidence : j'ai fait un choix pas si rétroactif que ça.
Ici, loin de tout, les gens vont, viennent, bougent, s'entremêlent et se démêlent. La confirmation certaine que les résidents de ce pays sans jour J, sans hymne ne sont que les abeilles ouvrières d'un immense essaim. Travailler pour qui ? Pour quoi ? Mais pour la même reine abeille, bien sûr !
L'horizon me manque, juste l'espoir d'autre chose au loin, d'un autre monde. Que d'autres lignes se lisent, au fond me rassurerait. Les lignes là sont plus que belles, les terrasses dessinées à l'équerre, des collines vertes tachées de goélands, un parfait finissage, une œuvre d'art, un paysage figé, une saison glacée, couronnée de timides gouttelettes immaculées, du béton bourgeois, des toits gaulois, pas un papier, que des chats racés... Des plantes bien taillées, pas un bruit, pas une sirène, pas d'excès, tout est bien fait, surveillé, étudié, bien pensé... Mais je cherche et ne trouve pas.
Moi je cherche l'arbre penché, gravé d'initiales ; je cherche le gazon bruni, mal rasé ; je cherche mes favelas d'enfance ; je cherche les jardins en dédale ; je cherche le bruit, les phares, les vieilles femmes au balcon, les enfants à la balle, les paniers suspendus au-dessus des fenêtres des épiciers, les voitures garées en ricochet, la simplicité, les arômes sucrés, les délices étoffés, les senteurs de tabac, les mosaïques des immeubles qui ne sont que le linge bien étiré, cachant des taches de béton, cicatrices des jours amers passés, mon 22 novembre, les cloches, la limace des rosées, mon rayon d'été, la statue de la Vierge au fond de mon allée. Je pense à ma toiture berbère, aux chats de gouttière, j'enchaîne mes trottoirs mal coiffés très souvent en esquivant leurs flaques imposées, je me douche sous ma pluie en excès et je vois au loin cet infini, je vois bleu.
Oui, chez moi au loin, on voit bleu...
Des soupirs s'égarent, des brumes, même des brouillards. J'attends que ça se dissipe, j'attends le reflet, mais en vain pas de signe, même pas une projection.
Cette couleur miel à penchant pêche, couleur brûlée, couleur cendres bien fervente, couleur étincelle, cette couleur me manque. Cette couleur dorée, perdue dans l'immensité bleu gris, gris court, n'est plus.
Assis au quatrième étage de cette interminable tour, sous l'éclat de mon nom, je rejoins de nouveau les rangs d'armée de cette abeille-reine.

Jean Gaël TABET
Assis au quatrième étage de cette interminable tour, plongé dans mes pensées austères, filantes, changeantes, qu'ai-je fait ?Ai-je saisi une chance ou suis-je plutôt sorti de la danse ? Comme on le dit si bien, la vie est faite de choix. Moi j'ai fait le mien, basé sur l'ultime conviction de sa réversibilité. Et bien non, plutôt que de se voiler la face, mieux vaut se rendre...

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