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Nos Lecteurs ont la Parole

Le temps qui attend, le temps qui espère

Par Nasri ATALLAH
Mon histoire est celle de millions de Libanais. Elle n'a rien d'unique, elle n'a rien de magique et elle n'a rien de particulier. Elle a, par contre, l'avantage de se trouver sur la page que vous lisez.
Je suis né, comme beaucoup d'entre vous, d'entre nous, dans l'exil. J'ai d'abord découvert le Liban à travers la nostalgie de mes parents. À travers leurs récits d'expatriés frustrés. J'ai découvert l'idée oubliée, il y a quelques décennies, d'un Liban idyllique. Je l'ai découvert à travers les affiches jaunies de l'Office du tourisme sur Piccadilly Circus, à Londres. Des images d'une place des Martyrs qui ne ressemblait déjà plus à elle-même. Ce Liban que je découvrais, je n'y ai mis les pieds qu'à mes 11 ans.
C'est à cet âge aussi que j'ai lu un livre publié chez Larousse, L'histoire illustrée du Liban. C'est à cet instant que j'ai compris que, loin des souvenirs du Saint-Georges et des stars des années 60, le Liban est un pays de guerre. Une terre de conflits. Cependant, j'ai toujours gardé en tête un autre Liban, celui de mes fantasmes d'enfant, un Liban que le conflit m'interdisait de découvrir.
Beaucoup de Libanais feraient bien de lire ce livre, dans un moment de calme, entre deux soirées arrosées. L'amnésie générale, détestable syndrome de l'après-guerre, m'effraie. Au lieu de soigner nos traumatismes à travers le dialogue, des monuments et une cohésion sociale, on les a soignés à la vodka, au consumérisme grotesque et à la chirurgie esthétique. Les Libanais continuent, aveuglément, de suivre les mêmes leaders qui peuplaient les bulletins du journal télévisé auquel je ne comprenais rien étant enfant, à Londres. Un même lexique répétitif de noms de familles qui auraient dû être oubliés en 2010.
Le mien de nom, je l'ai toujours apprécié parce qu'il est neutre. Il laisse les Libanais assoiffés de clichés identitaires, perplexes. Il n'indique aucune religion, aucune région. Et, justement, je n'ai ni religion ni région. À 11 ans, j'ai aussi appris à détester l'instrumentalisation de ces facteurs à des fins meurtrières. À me méfier du tribalisme et des sectes, qui m'ont empêché de vivre dans le pays de mes parents.
J'ai vécu vingt-trois longues années en Angleterre. J'ai vécu mon enfance et mes débuts dans la vie adulte en tant que britannique. J'ai regardé leurs dessins animés puis leurs documentaires à la BBC. J'ai hérité de leur cynisme, de leur amour du civisme omniprésent. Mais avec mon nom et mon faciès de barbu levantin, des limites s'imposaient à cette identité.
J'habite le Liban depuis un an maintenant. La transition a parfois été difficile. C'est un pays où le népotisme fait toujours loi, où personne ne sait attendre dans une queue au supermarché. C'est un pays où la taille du cadran d'une montre est plus importante que la taille de l'intellect. Mais c'est aussi un pays de chaleur humaine, un pays où il se passe des choses. C'est surtout un pays où je me sens chez moi. Malgré un gouffre de civisme parfois, malgré des expériences très différentes, je me reconnais dans les visages et dans les pensées de ceux qui m'entourent.
Malheureusement, à en croire les titres des journaux et la rhétorique ambiante, le Liban est au bord d'une nouvelle guerre. Je n'en ai jamais connu et j'ai toujours senti que cela ôtait une part de mon identité, en tant que Libanais. J'ai souvent honte de ne pas avoir partagé le grand traumatisme de mon pays. Mais j'ai bien peur d'en partager un bientôt. Et, honnêtement, c'est une part de mon identité dont je me passerais bien.
Faute de mémoire collective, faute d'une histoire commune, certains s'obstinent à la répéter. Mêmes acteurs locaux, régionaux et internationaux. Tous ont pris quelques années, certains ont pris du ventre, d'autres ont changé d'allégeance. Mais tous ne se lassent pas de piller et de manipuler notre pays. Ce petit pays qui, pendant vingt-trois ans, n'a existé que sous forme d'un drapeau sur un mur de ma chambre à Londres, qui n'a existé que comme un fantasme dans mon cœur d'expatrié. Un espoir d'appartenance dans l'esprit d'un Britannique qui savait qu'il venait d'autre part.
Cette année au Liban m'a permis de poursuivre une carrière que j'aime, elle m'a permis à redécouvrir le sens de l'amitié, de l'amour, de la famille. Le Liban m'a redonné les montagnes, les plages et les gens que j'imaginais sous les cieux pluvieux d'Europe. Le Liban m'a redonné une joie de vivre et un sourire que j'avais oubliés. Et je vous dis aujourd'hui, politiciens et autres manipulateurs et mafieux, vous ne nous entraînerez plus dans vos guerres. Fini les exils forcés, fini les diasporas. Je reste. Nous restons.
Mon histoire est celle de millions de Libanais. Elle n'a rien d'unique, elle n'a rien de magique et elle n'a rien de particulier. Elle a, par contre, l'avantage de se trouver sur la page que vous lisez.Je suis né, comme beaucoup d'entre vous, d'entre nous, dans l'exil. J'ai d'abord découvert le Liban à travers la nostalgie de mes parents. À travers leurs récits...

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