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Tribunal spécial pour le Liban : mouvement oscillatoire entre les systèmes de droit civil et de « common law »

Par Pr Fady FADEL
Introduction
Les systèmes de « common law » puis de droit continental ou romano-germanique offrent à la procédure criminelle deux approches très différentes. Ces systèmes se rencontrent dans le nouveau domaine, en constante évolution, du droit pénal international où les juristes des deux systèmes s'efforcent de créer un nouveau modèle. Dans ce contexte, on doit faire face aux contributions, et aux incompréhensions, qui proviennent d'un tel processus.
Le développement d'un système international prend aussi place dans un contexte de respect international des garanties judiciaires prévues dans les instruments de protection des droits de la personne. Enfin, les exigences spécifiques de la justice internationale influencent le modèle procédural. Ces trois thèmes sont abordés à la lumière de la pratique des deux tribunaux ad hoc, pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, puis de la Cour pénale internationale et du Statut de Rome, sans oublier l'analyse comparative en théorie avec le règlement de preuve et de procédure (RPP) spécifique au Tribunal spécial pour le Liban (TSL) qui n'a toujours pas entamé ses travaux au niveau judiciaire.
L'ambition modeste de ce texte est d'aborder un aspect de cette nouvelle justice pénale internationale, à savoir l'influence, les rapports et particulièrement l'interaction entre les deux grands systèmes de droit pénal, qui sont le système « accusatoire » de la « common law » et le système « inquisitoire » ou « romano­-germanique ».

1- Évolution et contexte général de la procédure pénale internationale
Le statut du TSL et le règlement de procédure et de preuve constituent un aboutissement de l'expérience des juridictions pénales internationales ou à caractère international. Beaucoup de leçons ont été tirées sur le plan procédural de ces expériences et sont désormais noir sur blanc dans le cas du TSL. Or pour comprendre ces aboutissements et ces acquis au niveau des sciences et principes juridiques, il convient de s'arrêter brièvement sur l'évolution et le contexte général de la procédure pénale internationale.
Les principales différences entre « common law » et « civil law » se situent au niveau de la procédure. Dans la « common law », deux adversaires - poursuite et défense - s'affrontent devant juge et jury. Le procès consiste en une confrontation d'avocats censés faire la lumière sur la vérité puis en un jury de profanes qui est l'arbitre ultime. Tel que Françoise Tulkens l'explique, « dans le système accusatoire, les règlements des conflits sont gérés par les individus, les citoyens ; l'État intervient peu... La fonction du juge est d'arbitrer le débat et de trancher le conflit, dans le cadre d'un système de preuve légale ».  Dans le système romano-germanique, un officier judiciaire - le juge d'instruction - prépare le dossier pour le juge des faits, un magistrat professionnel. Le juge d'instruction est, du moins en théorie, impartial et recherche par son enquête (d'où le nom « inquisitoire ») non pas des faits à l'appui de l'une ou l'autre hypothèse, mais plutôt une vérité objective. Selon la juge Tulkens, « dans le système inquisitoire, en revanche, le juge est investi par l'État de l'obligation de faire respecter la loi ; son rôle est d'assurer le contrôle de la puissance publique sur la gestion des cas individuels. Le procès pénal est régi par des règles propres : il est mis en mouvement et dirigé par l'autorité de poursuite et il comporte différentes phases qui sont légalement autorisées...».
Étant donné le silence du statut adopté à Londres le 8 août 1945 sur cet aspect, le Tribunal militaire international à Nuremberg adopta ses propres règles de procédure. Ne comportant que quelques brèves dispositions, le règlement de procédure suivait largement le modèle
« accusatoire » de la common law. Cependant, le tribunal militaire refusa d'appliquer les règles de preuve très techniques de la common law en faveur d'un régime de recevabilité de la preuve beaucoup plus souple. Puis il ne sut pas résister à l'idée des procès par contumace. En ce qui concerne sa juridiction, le statut du Tribunal militaire international autorisait non seulement la poursuite des responsables directs des crimes, mais également celle des comploteurs. Sur cette question, il existe une différence conceptuelle importante entre common law et civil law ; c'est l'approche de la common law au complot, le regardant comme une infraction autonome, qui fut adoptée à Nuremberg.
En 1989, l'assemblée générale confia à la Commission de droit international la rédaction d'un projet de statut d'une cour pénale internationale. Ce projet, adopté en 1994 par la commission, prévoyait, comme un des organes principaux de la cour, l'existence d'un procureur responsable pour la préparation des poursuites et jouissant d'une indépendance totale sauf en ce qui concerne la saisine du tribunal qui était le domaine du Conseil de sécurité et des États parties. Le projet accordait aux juges le pouvoir de réglementer la conduite des enquêtes. Aussi, celui-ci stipulait comme « règle générale » que l'accusé devait être présent lors du procès ; le procès par contumace, privilégié par certains juristes de l'Europe continentale, était ainsi exclu. De façon générale, le projet de statut se limitait à la reconnaissance des principes d'équité procédurale empruntés aux traités en droits de la personne. Or, tant le statut du TSL que le RPP portent à ce niveau l'empreinte du droit civil mais non sans une influence de la common law puisque c'est « le jugement par défaut » qui est prévu à l'article 22 du statut, différent du jugement par contumace. En vertu dudit article 22, le TSL assure à l'accusé un avocat qui prend sa défense durant le procès, avec une possibilité de révision du jugement au cas où l'accusé se rend par la suite au tribunal.

2- Inquisitoire ou accusatoire ? Création de l'institution de « juge de la mise en état » présente au sein du TSL
 Le système de procédure adopté aux débuts du TPIY dans son règlement penchait nettement en faveur du système « accusatoire » développé dans la « common law ». Suivant celui-ci, le procureur préparait son dossier pour fins de procès, mais il n'avait pas de pouvoir de contrainte et ne pouvait pas interroger des témoins sous serment afin de recueillir la preuve en vue du procès. Par conséquent, lorsque l'audition commençait, le dossier du juge était vierge, une feuille blanche, et ne comportait en principe que l'acte d'accusation, comme devant les tribunaux de la common law. Aussi, la défense devait, en vertu du règlement, recevoir communication de tout élément de preuve pertinent, mais elle n'avait aucune obligation de réciprocité. Or, cet avantage en faveur de la défense est repris à l'article 112 du RPP dans le cas du TSL.

(à suivre)

Pr Fady FADEL
Professeur de droit international - vice-recteur aux affaires
académiques et relations
internationales
de l'Université antonine
IntroductionLes systèmes de « common law » puis de droit continental ou romano-germanique offrent à la procédure criminelle deux approches très différentes. Ces systèmes se rencontrent dans le nouveau domaine, en constante évolution, du droit pénal international où les juristes des deux systèmes...

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