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Nos Lecteurs ont la Parole - En marge du Congrès mondial contre la peine de mort à Genève

Les vrais ressorts de la politique pénale (III)

La compensation due à la victime d'un crime est donc requise par la justice commutative, dite encore corrective, mise en branle pour le rétablissement d'un équilibre brisé, d'un ordre naturel rompu et qui crie vengeance. Le talion de l'ancienne loi, s'il est périmé en tant que tarif, ne l'est pas en tant que principe d'une peine dont la mesure varie en fonction des mœurs et des circonstances de temps et de lieux. La vengeance a aujourd'hui mauvaise presse et une connotation péjorative; elle est dénoncée comme archaïque et barbare par les «ligues de vertus». Et pourtant la Bible est remplie d'allusions à la vengeance divine. Connaît-on d'autres moyens pour une société de se défendre contre les criminels qui mettent en danger l'ordre social? La reconnaissance, sous certaines conditions, d'un droit de représailles aux États, n'est-elle pas la transposition en droit international public du concept de vengeance? Qu'est-ce qui est répréhensible dans la vengeance sinon le fait qu'elle soit prétexte à une justice privée haineuse et disproportionnée? Or dans une société organisée, l'exercice de la vengeance n'est pas l'affaire de la victime ni de sa famille, mais du ressort de la justice avec le concours des pouvoirs publics qui veillent à l'application de la peine sans haine ni excès (voir L'Orient-Le Jour des mardi 9 et mercredi 10 mars 2010).
Condamné en 1978 pour le viol et le meurtre d'une fillette de 12 ans à Lake City, Ted Bundy, après avoir tout nié en bloc, avait non seulement tout avoué mais, bousculant les plaidoiries de ses avocats qui tentaient d'ultimes recours, multiplié les aveux sur le meurtre de plus de 20 femmes et, la veille de son exécution en janvier 1989, «parfaitement en paix avec lui-même», aux dires de sa mère, avait reconnu à la société le droit de se protéger.
L'assassin de Carole Nicard des Rieux, le docteur Xavier Rouve, était presque étonné de la correction de la police à son égard durant sa garde à vue. «Les flics, confie-t-il à son avocat, ont été très corrects, ils ne m'ont pas bousculé. S'ils m'avaient frappé, je l'aurais mérité» (Le Figaro du 19 août 1996, p. 28 B).
Comparaissant pour actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner du fils de sa compagne, Marc, un enfant de 5 ans, David da Costa, âgé de 38 ans, a déclaré devant la cour d'assises du Nord à Douai qui l'interrogeait sur son enfance: «J'en ai rien à foutre de mon enfance. J'ai tué un enfant, je mérite la peine de mort. C'est tout!» (Le Point fr 03/11/2008).
Sur la psychologie des criminels, Simone Weil (avec W, à ne pas confondre avec Simone Veil, ancienne Garde des Sceaux) eut des réflexions d'une profondeur prophétique autrement instructive que les rapports alambiqués des psychiatres près les tribunaux, un peu trop enclins à diluer dans un déterminisme quasi mécanique le libre arbitre et la responsabilité pénale du délinquant. À priver les criminels de châtiment, on les prive, disait-elle, d'un «besoin vital de l'âme humaine (...). Le châtiment le plus indispensable à l'âme est celui du crime. Par le crime, un homme se met lui-même hors du réseau d'obligations éternelles qui lie chaque être humain à tous les autres. Il ne peut y être réintégré que par le châtiment, pleinement s'il y a consentement de sa part, sinon imparfaitement. De même que la seule manière de témoigner du respect à celui qui souffre de la faim est de lui donner à manger, de même le seul moyen de témoigner du respect à celui qui s'est mis hors la loi est de le réintégrer dans la loi en le soumettant au châtiment qu'elle prescrit (...). Il n'y a châtiment que si la souffrance s'accompagne à quelque moment, fût-ce après coup, dans le souvenir, d'un sentiment de justice. Comme le musicien éveille le sentiment du beau par les sons, de même le système pénal doit savoir éveiller le sentiment de la justice chez le criminel par la douleur, ou même, le cas échéant, par la mort. Comme on dit de l'apprenti qui s'est blessé que le métier lui entre dans le corps, de même le châtiment est une méthode pour faire entrer la justice dans l'âme du criminel par la souffrance de la chair» (L'enracinement... Paris, Gallimard, 1990, pp. 32-34).
Témoignant d'une incomparable élévation d'âme, Abélard supplie Héloïse avec des accents de sincérité émouvante de réciter pour eux la prière suivante: «Pardonnez, Ô Dieu très clément, que dis-je? vous, la clémence même, pardonnez même des crimes aussi grands que les nôtres, et que l'immensité de votre miséricorde ineffable se mesure avec la multitude de nos fautes. Je vous en conjure, punissez à présent les coupables pour les épargner dans l'avenir. Punissez-les dans le temps pour ne pas les punir dans l'éternité (...) Châtiez la chair pour sauver les âmes (...) » (cf. Étienne Gilson, Héloïse et Abélard, pp. 106-107).

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Si le langage des droits de l'homme avait été adéquat, il eut fallu revendiquer pour les délinquants le droit au châtiment. Les châtiments corporels ne sont pas encore d'actualité. Aucune société n'accepte une répression pénale qui ne corresponde à ses principes moraux. Notre époque est celle qui a oublié la victime. Obnubilée par le délinquant, elle est surtout attentive à lui prodiguer ses soins et à le remettre sitôt que possible en liberté, afin de favoriser sa réinsertion dans la vie normale, sauf à le livrer à la surveillance d'«éducateurs», de pédagogues et à le traiter médicalement. Et tant qu'à faire, mieux vaut prévenir que soigner. On est trop préoccupé de substituer au droit pénal une «politique criminelle» tablant sur l'information, les spectacles, les loisirs, la télévision, l'éducation. Quant à la répression, il est vain d'en espérer à vue humaine la réhabilitation. Moyen archaïque! Un tiers des États membres du Conseil de l'Europe, qui en compte 47, ont déjà interdit jusqu'à la fessée, la tape ou la gifle, mettant du même coup au rancart l'usage du vieux mot «correction» devenu caduc. On feint d'ignorer qu'à vouloir faire l'ange, on fait la bête. Mais cela est une autre histoire.

La compensation due à la victime d'un crime est donc requise par la justice commutative, dite encore corrective, mise en branle pour le rétablissement d'un équilibre brisé, d'un ordre naturel rompu et qui crie vengeance. Le talion de l'ancienne loi, s'il est périmé en tant que tarif, ne l'est pas en tant que principe d'une peine dont la mesure varie en...

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