Rechercher
Rechercher

Liban - Analyse

La proportionnelle au Liban : séisme de magnitude 9 ou tempête dans un verre d’eau ?

Le loup est peut-être entré dans la bergerie. L'ampleur des ravages qu'il est susceptible d'y causer restera bien sûr à déterminer ultérieurement. Mais il ne devrait pas faire l'ombre d'un doute qu'en quelque sorte, les conséquences pourraient en être dévastatrices.
Pourquoi en quelque sorte ? Parce que le cataclysme politique qui est de nature à provoquer l'introduction de la proportionnelle dans la culture démocratique libanaise ne doit pas être envisagé sous l'angle du positif ou du négatif, mais plutôt à l'aune des changements profonds qu'un virage aussi radical peut entraîner dans les mœurs politiques du pays.
Or un large pan de l'opinion publique, toutes tendances confondues, pense que ces mœurs ont véritablement besoin d'un changement et qu'un bon coup de balai ne peut pas faire de mal. Par conséquent, aux yeux de cette catégorie, l'expérience vaut la peine d'être tentée.
En effet, pourquoi pas ? L'entrée de la démocratie dans les conseils municipaux, principalement dans les villes et les grosses bourgades, est en soi une très bonne nouvelle. Pour la première fois au Liban, les conseils d'édiles seront régis bien plus systématiquement selon la règle de la majorité et de la minorité. Ce sera notamment le cas dans les agglomérations ayant une certaine importance démographique, où les considérations familiales sont moins présentes que dans les petites communes.
Certes, c'est dans la pratique que l'on pourra estimer à sa juste valeur le changement ainsi opéré. Mais les risques de désillusion ne sont pas à écarter, car tout comme le système démocratique est actuellement neutralisé au niveau national par le consensualisme imposé par les armes dans la foulée du 7 mai 2008, il pourrait l'être tout aussi facilement au niveau local.
D'ailleurs, les modes électoraux sont une chose et le système politique d'un État en est une autre. Certains attendent de la proportionnelle qu'elle ait un effet salvateur sur les « failles » du système. Ils risquent d'attendre longtemps, très longtemps. Et ne rien voir venir.
En effet, une loi électorale est censée réguler le jeu politique dans un État donné, mais elle n'a en aucun cas le pouvoir d'influer sur les fondements de ce jeu politique.
Cela étant dit, il faut se garder de minimiser les conséquences du recours à la proportionnelle dans les élections municipales sur le comportement à la fois des candidats et des électeurs et sur le mode d'action des conseils municipaux élus selon ce système. L'un des effets les plus évidents en sera une plus grande politisation du scrutin. Du coup, cela signifiera un accroissement de la conscience politique de l'électeur libanais de base, encore dominée par la dimension familiale et clientéliste.
D'autre part, le recours obligatoire aux listes fermées dans le cadre de la proportionnelle est de nature à favoriser en règle générale les partis politiques et les grandes coalitions, au détriment de la catégorie des notables indépendants, si importante dans l'histoire électorale du Liban. C'est probablement pour cette raison qu'un homme comme Boutros Harb, l'un des principaux représentants de cette catégorie, s'est franchement opposé au mode de scrutin proposé mercredi en Conseil des ministres.
À la longue, il ne fait pas de doute que la proportionnelle favorise la disparition de ce type de personnalités politiques. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose pour le Liban ? L'avenir seul le dira.
Car il faut savoir que, comme pour ce qui est du système politique, le fait que la proportionnelle encourage les grands ensembles et les partis politiques ne signifie pas nécessairement qu'elle peut les façonner. Encore une fois, il est nécessaire d'alerter ceux qui croient que ce mode de scrutin va démocratiser, déconfessionnaliser ou combattre le népotisme au sein des partis politiques au risque de désillusion qui les attend.
En outre, la politisation accrue des élections se répercutera de façon tangible sur l'ensemble des activités des conseils municipaux, en particulier dans les villes. La culture municipale libanaise est-elle prête à s'adapter à une telle mutation ? La question mérite d'être posée, même si la réponse devra attendre elle aussi le constat expérimental.
À présent, pour ce qui est des répercussions de la proportionnelle sur l'équilibre confessionnel dans le pays, le moins qu'on puisse dire est que, s'agissant des élections municipales, elle ne modifie pas grand-chose par rapport au mode majoritaire en vigueur jusqu'ici, dans la mesure où celui-ci ignore aussi les quotas communautaires.
Le problème de l'équilibre dans les villes et bourgades mixtes restera grosso modo le même. Cependant, à Beyrouth, où la règle de convenance des 12/12 (12 chrétiens, 12 musulmans), imposée par Rafic Hariri dès 1998, ne tenait que grâce au fait que les listes haririennes étaient assurées, grâce au mode majoritaire, de passer tout entières, il sera plus difficile sous le régime de la proportionnelle d'en garantir la pérennité.
Ce qui vaut pour les municipales ne vaut certainement pas pour les législatives. Là, la répartition confessionnelle est au centre du dispositif et rend le recours à la proportionnelle complètement illusoire. Toutes les propositions faites jusqu'ici en ce sens, des plus sérieuses aux plus fantaisistes, n'offrent que des majoritaires déguisées.
À moins bien sûr d'abolir la répartition confessionnelle. Mais le cas échéant, ce n'est plus une affaire de loi électorale.

Le loup est peut-être entré dans la bergerie. L'ampleur des ravages qu'il est susceptible d'y causer restera bien sûr à déterminer ultérieurement. Mais il ne devrait pas faire l'ombre d'un doute qu'en quelque sorte, les conséquences pourraient en être dévastatrices.Pourquoi en quelque sorte ? Parce que le cataclysme politique qui...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut