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Lifestyle - Rencontre

La jeunesse de Sitt Anissa Najjar

Elle a été la belle surprise, puis le symbole du sommet Lebanon 2020 qui s'est tenu au Bustan du 18 au 20 novembre dernier. Anissa Najjar, 96 printemps, pense encore au Liban de demain, lorsque d'autres, encore au début de leur vie, le conjuguent déjà à l'imparfait.

Féministe et fière de l’être. (Photo Carla Henoud)

L'hôtel al-Bustan grouillait de personnalités d'âges, de cultures, de nationalités différentes, certaines qui ne se connaissaient même pas, durant les trois jours de ce sommet atypique. Des hommes d'affaires, des économistes, des sportifs, des personnalités étrangères, tel l'ancien président équatorien Jamil Moawad, le président des Seychelles James Michel, le financier singapourien Leong Sze Hian, ou encore le président du Sénat rwandais Vincent Biruta.
Dans les regards qui se cherchaient, le brouhaha des discussions et cette énergie communicative, elle était là, consciencieusement installée dans son silence, avec sa canne, son cahier et son stylo. Prenant des notes, observant, analysant, attentive, concentrée et discrète, les débats de ces idéalistes qui veulent encore croire en un avenir meilleur et tenter de le construire. «J'étais heureuse de voir que des gens apolitiques et pleins d'énergie ont émergé de l'obscurité dans laquelle nous sommes, avec des objectifs à long terme», avoue-t-elle lorsque, étonnés, nous lui demandons ce qui l'a poussée à se rendre à ce sommet de toutes les espérances.
Féministe bien avant l'heure, Anissa Najjar, qui fut présidente de la Women's International League for Peace and Freedom au Liban, et fondatrice et présidente de The Village Welfare Society, a fait de la paix, la liberté, la justice sociale et économique et la condition de la femme dans les régions rurales les principaux combats de sa vie. «Être femme est un cadeau de Dieu. Une bénédiction. Nous devons permettre aux Libanaises de devenir des femmes responsables et actives dans un cadre pacifique. Nous devons les éduquer et les instruire car leurs responsabilités sont tellement plus grandes que celles des hommes. »
Les cheveux blancs, le regard noyé dans un vécu et en même temps dressé vers l'avenir, le sourire à la fois tendre et interrogateur, Sitt Anissa, encore animée de projets et de souhaits, l'emploi du temps surchargé, incarne la force tranquille. « Je ne suis pas une suiveuse qui dit oui facilement, précise-t-elle, lorsqu'elle choisit de sortir de ce silence. C'est pour cette raison que ma voix se fait encore entendre. Je sais ce que je veux et comment l'obtenir. Et je ne suis pas pressée. Je ne suis avec personne, mais je suis outrée de constater la mentalité de nos soi-disant responsables bien pensants et cette situation honteuse dans laquelle se trouve actuellement le pays. Ils ont effacé le concept de nationalisme au profit des religions.» Ses propos calmes et murmurés, même si révoltés, sont ceux d'une femme qui sait mais qui cherche encore, qui œuvre à construire une société multiconfessionnelle qui se dresse, comme elle, contre toute forme de discrimination et d'injustice. «Nous devons ramener la moralité au pays et ne jamais lâcher notre histoire... »

Un parcours enrichissant
«Je suis une vraie fille de Beyrouth», aime-t-elle à rappeler fièrement. De son enfance, Anissa Raouda n'a oublié aucun détail. Son père, décédé alors qu'elle n'avait que 4 ans, sa mère qui l'a élevée dans une liberté nouvelle, sa sœur et complice Salwa Schoucair, devenue un grand sculpteur. Ses oncles paternels, ses tuteurs, exilés en Australie, qui ont compris ses frondes, la première à l'âge de 12 ans lorsqu'elle refuse de se voiler, convaincue que seule la laïcité pouvait créer un langage commun et construire un avenir solide. «Je voulais être un exemple et, déjà, être une citoyenne responsable...» Après l'école, elle est l'une des premières femmes à s'inscrire à l'AUB, en médecine. «Comme il n'y avait personne pour m'accompagner le soir, je suis passée l'année suivante en sciences sociales. » Responsable de la revue de la faculté, elle exprime déjà ses idées sur l'indépendance, sur l'histoire du Liban trop souvent passée sous silence par les occupants, avec, toujours, cette même douce fronde. Elle commence à travailler sur le terrain au Akkar, avant d'embarquer pour l'Irak où elle devient responsable d'école, avec ce souci qui est encore le sien de faire parvenir instruction et ouverture d'esprit aux femmes dans les zones rurales. À son retour au pays, elle crée le Village Welfare Society et le Lebanese Commitee for Peace and Freedom et depuis, elle se bat pour ces causes qui étaient déjà actuelles il y a un demi-siècle.
Le 4/4/44, elle épouse Fouad Najjar, ingénieur agronome et poète, devenu par la suite ministre du Tourisme, de l'Agriculture, puis des PTT. Après un premier livre paru en 1988 sous le titre The literacy of the mind, où elle expose ses idées, actions et visions, elle sort le mois prochain un ouvrage en arabe sur la vie de son mari, mort en 1992 dans un accident de voiture.
À quelqu'un qui lui avait dit un jour, à l'époque du mandat français, que le Liban n'était rien de plus qu'une épingle sur la carte du monde, elle aura consacré sa vie à prouver l'importance de ce petit bout d'épingle, en toute discrétion.
À l'issue du sommet Lebanon 2020, une des résolutions prises par les organisateurs de l'événement Fadi Nahas (Act For Lebanon) et Sam Hamdane, et annoncées par Yvonne Abdel Baki a été de créer «The Anissa Najjar Woman Entrepreneurial Center» avec pour objectif d'améliorer le rôle de la femme au Moyen-Orient. « Toute renaissance, sur le plan politique, économique et social, nécessite l'intervention d'une femme, souligne Nahas. Et Anissa Najjar, qui n'a malheureusement jamais été décorée par l'État libanais, en est le meilleur exemple. Sa présence au Bustan était, en elle-même, une belle leçon
de persévérance.»
«Je voudrais, conclut Sitt Anissa, organiser une réception pour remercier tous les gens qui m'ont aidée depuis le début, en 1956. Pas pour eux mais pour les autres, qui n'ont rien fait de noble pour ce pays.»
Belle leçon de vie, à l'aube de 2010 et en attendant 2020. Avec, espérons-le, d'autres Anissa Najjar à venir. Des citoyennes responsables qui sauront poursuivre son action dans la même intégrité.
L'hôtel al-Bustan grouillait de personnalités d'âges, de cultures, de nationalités différentes, certaines qui ne se connaissaient même pas, durant les trois jours de ce sommet atypique. Des hommes d'affaires, des économistes, des sportifs, des personnalités étrangères, tel l'ancien président équatorien Jamil Moawad,...

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