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Nos Lecteurs ont la Parole

Comment nos élèves apprennent l’incivilité

Marianne SARKIS
Le texte qui suit est un extrait d'un mémoire de maîtrise en sciences de l'éducation, sous la direction du professeur Antoine Messarra, soutenu par l'auteure le 10/12/2009 à l'Université de Balamand : « Visage de l'autre chez l'apprenant libanais. Étude de cas à Tripoli et à Zghorta », 244 p.

Les programmes d'éducation civique élaborés dans les années 1997-2002 par une commission spécialisée, et suivis par la production de plus de trente manuels et guides du maître, dans le cadre du Centre de recherche et de développement pédagogiques (CRDP) sous la direction du professeur Mounir Abou Asly, comment sont-ils aujourd'hui appliqués par les enseignants ?
L'observation de terrain dans dix écoles privées et publiques du secondaire au Liban-Nord et l'administration d'un questionnaire qui a couvert 636 élèves ont été fort pertinentes.

Problèmes de comportement
Il s'agit d'aller au cœur du problème relationnel et de comportement, pour abolir l'écran entre ce qui se dit et ce qui se fait. Un savoir, surtout en pédagogie et en formation, qui ne se traduit pas en comportement, n'est pas facteur de changement, mais cogitation et démangeaison intellectuelle. Une connaissance non traduite en comportement est aliénation.
Le livre d'éducation civique n'a pas été conçu comme un manuel à mémoriser ; c'est un guide, une ordonnance, comme en médecine. Même fondé sur un bon diagnostic, il n'est pas le remède. Le remède est dans la bonne application de l'ordonnance. Certaines modifications du manuel sont certes nécessaires, mais c'est la révision des méthodes pédagogiques qui s'avère urgente, car c'est là que réside la vraie influence. Les professeurs qui accusent le manuel ne veulent pas voir le vrai problème, qui réside dans la qualité et non la qualité du temps consacré à l'éducation civique. Le professeur reproduit le discours ambiant et communique son propre héritage culturel et ses frustrations.
Les méthodes appliquées ne donnent pas l'occasion aux élèves de réfléchir sur un problème, de débattre d'un sujet, de trouver des solutions. Le manuel, conçu comme guide pour les enseignants, complété par des propositions d'activités pour garantir l'innovation, l'initiative, la créativité et la concrétisation du savoir en action, est transformé dans la pratique éducative en livre à étudier et mémoriser et, ce qui est plus grave, non en éducation politique, mais en un discours politique qui reproduit les valeurs et comportements dominants en société, et qui sont les suivants :
1. Dénigrement : Une propension à dénigrer l'État comme s'il s'agissait d'une institution étrangère au citoyen ; une propension, aussi, à dénigrer le comportement des Libanais en général, de ce qu'on observe dans la vie quotidienne. Si la confiance est le moteur du développement et de la mobilisation civique, comment peut-on espérer que des jeunes sur les bancs de l'école acquièrent le pouvoir citoyen, le citizen power anglo-saxon ? On les désespère déjà en leur serinant que tout va mal, qu'on n'y peut rien. C'est le monde du on, impersonnel et indéterminé. Or dans toute éducation civique, c'est le je, autonome et confiant en lui-même, malgré tous les obstacles, qui est le fondement de la citoyenneté.
2. Dialogue débridé : L'enseignant passe d'un sujet à un autre, mélange tous les problèmes : service militaire, émigration des jeunes, intégration nationale, bénévolat, corruption... Bien sûr, en politique, tout problème est par nature global. Mais le rôle de l'acteur politique et du citoyen en général est d'être clairvoyant, de cibler l'analyse et l'action, de remédier à une situation à travers un diagnostic. L'éducation civique, telle qu'elle est pratiquée à travers mes observations, contribue à modeler des individus taillables et corvéables à souhait dans la jungle politique. Les conflits et la mobilisation conflictuelle, tout comme les microbes, se développent dans les marécages. Lucidité, clairvoyance, esprit critique qui dissocie et analyse les phénomènes sont inhérents à la culture démocratique. Despotisme, dictature, et toutes les formes anciennes et modernisées du nazisme et du fascisme s'épanouissent dans le prêt à penser global et globalisant.
3. Moralisme : Le cours d'éducation civique se transforme en prêche, proclamation de souhaits que les élèves perçoivent comme idylliques et irréalisables. Or l'éducation politique se distingue de l'éducation morale en ce sens qu'elle ne se fonde pas directement sur la morale, mais sur les exigences du vivre ensemble dans le respect d'un contrat social régi par la norme de droit, la légitimité et l'ordre public. Se fonder sur la morale individuelle dans la formation civique, c'est n'avoir pas compris le sens du terme polis, cité.
4. Éducation incivique : Les exemples observés montrent que l'éducation civique telle qu'elle est enseignée dans des écoles et à défaut d'un suivi et formation des enseignants débouche sur des effets contraires et pervers. La plupart des enseignants déversent sur les élèves leurs propres frustrations, développent la mentalité de la récrimination ou na' (récriminations), avec l'illusion d'avoir exercé le contrôle du pouvoir, participé et agi ! Quand l'enseignant part d'un fait vécu par les élèves, c'est encore pour critiquer, dénoncer, réprouver, et non pour apprendre aux élèves comment agir pour ne pas être des sujets serviles, mais des acteurs de changement pacifique.

Priorité de l'enseignant
Le critère d'évaluation de l'impact de l'éducation civique réside dans la traduction du savoir transmis en savoir-faire, savoir-être, c'est-à-dire des comportements. Or le cours se déroule généralement dans des classes sans, de la part de l'enseignant, le souci de s'arrêter sur les comportements des élèves, dans le cadre du cours et dans le milieu scolaire en général : absence d'écoute, indiscipline, propos méprisants, indifférence à l'ordre public scolaire, aux conditions de la vie commune dans la microsociété scolaire...
La conception et la production des programmes d'éducation civique, dans le cadre du plan de rénovation pédagogique prévu par l'accord de Taëf et entrepris par le Centre de recherche et de développement pédagogique-CRDP sous la direction du professeur Mounir Abou Asly dans les années 1997-2002, avaient été suivies par des sessions de formation de plus de 300 enseignants venus de toutes les régions libanaises. Cette formation a été interrompue et les programmes se trouvent appliqués de façon routinière et sans référence à leur esprit.
Il ne faudrait pas verser dans la critique inopérante des manuels, mais dévoiler la gravité de ce qui se fait dans la pratique pédagogique : une mécanique de reproduction de comportements d'incivilité. Des enseignants n'appliquent pas une pédagogie politique capable de développer une citoyenneté fondée sur la pensée critique, l'autonomie, le respect de l'État, des citoyens et de l'environnement, afin que chaque Libanais considère chaque parcelle du Liban comme sienne et la défende jalousement. Nous remarquons que, non seulement c'est l'Autre, d'une communauté religieuse différente, qui est occulté, mais aussi le concitoyen.
Si la culture de la chose publique et de l'espace public constitue une priorité dans une société multicommunautaire, la société libanaise conviviale implique la promotion à travers l'école du respect du pluralisme, la tolérance, la solidarité ainsi qu'une mémoire collective et partagée.
La recherche de terrain montre l'urgence de ramener les programmes d'éducation civique au Liban à l'esprit qui avait régi les travaux de la commission et l'élaboration des manuels en tant que guides pour les éducateurs. La recherche montre aussi l'urgence d'introduire dans les programmes libanais une culture religieuse distincte de l'enseignement religieux.

Marianne SARKIS
Le texte qui suit est un extrait d'un mémoire de maîtrise en sciences de l'éducation, sous la direction du professeur Antoine Messarra, soutenu par l'auteure le 10/12/2009 à l'Université de Balamand : « Visage de l'autre chez l'apprenant libanais. Étude de cas à Tripoli et à Zghorta », 244 p. Les...

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