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Législatives : juin 2009 - Pour aller plus loin

Réviser la Constitution ? Encore faut-il la respecter !

Un ancien dirigeant souligne, dans ses assises, qu'avant de réviser la Constitution, d'en corriger les lacunes, d'en clarifier les flous, il faut savoir la respecter. En appliquant fidèlement ses dispositions, loin de tout arbitrage extérieur. Et en cessant d'inventer des astuces d'interprétation hors texte.
On se rappelle ainsi que la crise de la présidentielle a duré six mois, parce que les prosyriens refusaient aux loyalistes d'élire un chef de l'État à la majorité absolue, c'est-à-dire la moitié des suffrages exprimés plus une voix. Sous prétexte que le premier tour exigeant de fait les deux tiers des bulletins, cela signifiait tout simplement que le quorum requis pour une telle séance est des deux tiers. Et qu'il doit rester assuré tout le long de l'opération. Alors même que, pour les tours suivants, l'élection se fait à la majorité absolue, 65 députés. Les souverainistes, sur les conseils de Bkerké, s'étaient résignés à ne pas passer en force, à ne pas user de leur droit électoral, pour ne pas provoquer d'explosion sur la scène locale. Les opposants ont donc réussi à cette occasion, et comme à leur habitude, à paralyser cette matrice qu'est l'Assemblée nationale.
En ce faisant, ils ont trahi l'esprit même du régime politique libanais fondé sur les équilibres, eux-mêmes fruit d'un principe premier de réciprocité. On sait en effet que le président et le vice-président de la Chambre sont élus, aux deux premiers tours, à la majorité absolue, et au troisième tour, à la majorité relative, c'est-à-dire que le candidat qui engrange le plus de voix est élu, sans regarder le coefficient. Pour la désignation d'un Premier ministre, lors des consultations parlementaires impératives, c'est encore plus rapide, puisque la majorité relative suffit. Alors pourquoi deux poids, deux mesures, pourquoi faut-il les deux tiers pour l'élection du chef de l'État ? Et, surtout, pourquoi soutenir que ces deux tiers constituent le quorum, alors que la Constitution ne le dit pas ? L'article consacré à cette question édicte que l'Assemblée est considérée comme siégeant lorsque la présence de la moitié des membres dont elle se compose est vérifiée. Il n'y a trace du terme quorum nulle part ailleurs. On peut invoquer, à juste titre sans doute, le bon sens arithmétique : s'il faut deux tiers des députés pour élire le chef de l'État au premier tour, ils doivent être présents à l'ouverture de la séance. Mais, répétons-le, la Constitution ne l'exige pas. Et, quitte à la modifier par la suite, en l'occurrence, il faut l'appliquer en l'état.
Toujours pour ce qui est des inégalités et des déséquilibres lésant une composante essentielle de la vie politique, on relève que le président de la République ne peut accomplir qu'un mandat, et, s'il souhaite servir le pays de nouveau, il doit attendre pendant les six ans suivant son départ de Baabda. Alors que le président et le vice-président de la Chambre ont le droit d'être réélus autant de fois que cela leur chante, tandis que le président du Conseil peut se succéder à lui-même à satiété, pour peu que les députés veuillent de lui.

Dérive
Aujourd'hui, et comme on peut malheureusement le toucher du doigt, un problème inédit se pose : savoir qui est vraiment, effectivement, en charge de former le gouvernement. Qualifier Saad Hariri de député désigné, au lieu de Premier ministre désigné, ce n'est pas une simple boutade, une foucade de catcheur vulgaire. C'est lui contester son rôle institutionnel, constitutionnel, d'architecte exclusif de l'édifice gouvernemental. À preuve que les parties concernées exigent, en tapant du poing sur la table, de désigner elles-mêmes les personnes devant les représenter au gouvernement. En refusant au Premier ministre désigné le droit de rejeter leurs choix. Ce qui signifie qu'il n'a qu'à ratifier les parachutages. Pour se retrouver, légalement, comptable devant la Chambre d'une équipe qui ne serait pas la sienne.
À l'orée de la Ire République, la Constitution autorisait le chef de l'État, doté de prérogatives régaliennes, à former le gouvernement à sa guise, à nommer le Premier ministre et à distribuer les portefeuilles. Cependant, les présidents ont institué une pratique bien plus souple : ils consultaient les députés, mais à titre simplement facultatif, pour choisir d'abord un Premier ministre. Pour se concerter ensuite avec lui au sujet de la composition du cabinet. Il est cependant arrivé que, dans des circonstances agitées, des présidents se rabattent sur leurs droits constitutionnels initiaux et forment le gouvernement sans consulter. Ou encore, désignent un Premier ministre, puis composent le cabinet sans prendre son avis. Au mépris donc des us et coutumes qui, généralement, ont force de loi.
En tout cas, Taëf a complètement changé la donne. Il ne permet plus au président de la République que d'aller en contre, comme on dit au bridge. Les consultations parlementaires sont devenues impératives. C'est-à-dire que le président ne joue plus, dans cette phase, qu'un rôle de caisse enregistreuse. Il additionne les voix, consulte à son tour le président de la Chambre, puis confirme la désignation du Premier ministre choisi par la majorité des députés. Ensuite, c'est ce dernier qui compose le gouvernement. Après avoir consulté les députés, mais il n'y est pas obligé, pour se faire une idée des attentes des forces politiques. Il reste qu'il a besoin, pour donner vie au cabinet, de la cosignature du chef de l'État, au bas du décret qui tient lieu d'acte de baptême. Et, s'il ne l'obtient pas, c'est la crise ouverte. Théoriquement insoluble, car la Constitution issue de Taëf ne dit pas ce que l'on doit faire, à quel arbitrage recourir, en cas de conflit entre les deux hommes sur la composition, ou sur la nature, du gouvernement. Et qui peut le pire, peut le pis : la Constitution ne fixe pas de délai, ni un mois ni dix ans, pour qu'un Premier ministre forme ou se récuse. Le seul délai dont il est question dans ce processus est qu'une fois le décret de formation promulgué, le gouvernement doit solliciter la confiance de l'Assemblée nationale sous trente jours, en base de sa déclaration ministérielle.
Mis à part la terrible omission relative aux suites à donner à un conflit entre le président de la République et le Premier ministre désigné, l'opération ministérielle arrêtée par Taëf, et par les us et coutumes, est pleine de raison. Les partis, les courants sont consultés à plusieurs reprises. Ils exercent librement, complètement, le droit d'exprimer leurs volontés quant à la nomenclature ministérielle et à l'attribution des portefeuilles. Ils peuvent insister autant qu'ils le souhaitent sur ce qu'ils désirent ou qu'ils rejettent. Ils peuvent même tout chambouler, s'ils en ont les moyens, en ordonnant à tout ministrable qu'ils n'auraient pas sélectionné d'accepter sa nomination. Mais, en aucun cas, absolument aucun, ils ne peuvent dénier au Premier ministre désigné le droit de ne pas tenir compte de leurs exigences, ou de n'en accepter qu'une partie, en coordination avec le chef de l'État. En d'autres termes, ils ne peuvent pas s'arroger le droit de former eux-mêmes le gouvernement.

Contraste
Selon le mot de Chevènement, un ministre mécontent se soumet ou se démet. C'est cela, la démocratie, et elle avait cours chez nous, dans le temps. Ainsi, le président Saëb Salam, entré en désaccord avec le président Frangié sur la répartition des portefeuilles, s'était récusé et le président Rachid Solh l'avait remplacé. De même, le Amid Raymond Eddé, qui souhaitait la Défense dans le premier gouvernement formé sous le président Frangié, s'était fait excuser quand on lui avait proposé un autre ministère. Nombre de partis qui n'obtenaient pas ce qu'ils demandaient préféraient, à cette époque, ne pas participer au pouvoir, sans pour autant se rallier systématiquement à l'opposition.
Le spectacle aujourd'hui, tout à fait effarant, est aux antipodes du climat de respect des règles, voire de la liberté, qui a pu régner jadis. Passer en force, forcer la main, harasser, affaiblir Sleiman, Hariri et l'État, c'est là le rêve touffu auquel les prosyriens tentent de donner corps. Ils prétendent que leurs exigences sont aussi impératives que les consultations parlementaires du même nom, et que les présidents n'ont qu'à les accepter en courbant l'échine. Malheureusement, leur pouvoir de nuisance, qui sourd de l'épée de Damoclès que constitue la menace armée milicienne, est immense. Ils peuvent, au mieux, s'il y a un mieux dans le négatif, empêcher pour de bon la formation du gouvernement. Et, au pire, recourir à la rue puis à l'invasion genre 7 mai. Il serait illusoire d'imaginer, en tout cas, qu'ils accepteraient de jouer le jeu démocratique normal. C'est-à-dire de se replier sur la Chambre, une fois leurs demandes définitivement rejetées, pour s'y opposer au gouvernement que Saad Hariri, en accord avec le chef de l'État, aurait formé sans eux. Un cabinet pouvant être composé de majoritaires, d'extraparlementaires, de technocrates ou panaché. À moins que le Premier ministre désigné ne se récuse après avoir constaté, avec le chef de l'État, que dans les circonstances actuelles on ne peut former qu'un cabinet d'union nationale, rien d'autre. Mais qu'on ne peut pas non plus laisser l'axe syro-iranien s'emparer du Liban. Retour, pour finir, à la Constitution. Comme la tragédie actuelle le montre, il ne s'agit pas de la réviser, pour imparfaite qu'elle soit, car le défaut de la cuirasse est ailleurs. Dans les esprits, et le comportement, de certains.
On se rappelle ainsi que la crise de la présidentielle a duré six mois, parce que les prosyriens refusaient aux loyalistes d'élire un chef de l'État à la majorité absolue, c'est-à-dire la moitié des suffrages exprimés plus une voix. Sous prétexte que le premier tour exigeant de fait les deux tiers des bulletins, cela signifiait...