Ainsi, et après cette longue période d'attentisme dont les effets concrets se sont fait lourdement ressentir sur le quotidien même du citoyen libanais, l'affectation des juges à leurs postes ne pouvait qu'être applaudie dans l'absolu, malgré les réserves exprimées par le Hezbollah et le CPL, qui affirment notamment qu'elles ont été « politisées » et que leur « timing, en plein milieu de l'année judiciaire, était suspect », comme l'a relevé le parti chiite dans un communiqué.
Tout en clarifiant que ses reproches ne s'adressent pas « aux juges » désignés, le chef du CPL a toutefois tenu à défendre le principe de la non-ingérence des politiques dans la justice, affirmant haut et fort, au passage, que son courant n'a pas été « consulté » à l'instar des autres formations.
Inédite dans le genre, la position du mouvement Amal - qui a indiqué de la bouche de son chef et de certains de ses députés n'avoir pas pris connaissance des noms figurant dans le décret ni interféré à aucun niveau des nominations - démontre clairement que cette formation politique a décidé cette fois-ci de se désolidariser de ses alliés dans l'opposition, laissant nombre d'observateurs perplexes quant aux raisons de cette docilité, inhabituelle dans le genre, par rapport à un décret aussi crucial.
Si l'on en croit l'avis avancé par une source de l'opposition, Nabih Berry n'a tout simplement pas objecté le décret car son « quota » en termes de désignation « a été assuré », sinon directement à l'issue de consultations préalables avec sa formation, du moins « indirectement » puisque « deux des membres du Conseil supérieur de la magistrature sont connus pour faire partie de l'entourage du chef du Parlement ». C'est ce qui expliquerait que ce dernier a fait montre d'une satisfaction implicite, à l'inverse de ses deux autres alliés de l'opposition dont l'avis a été ignoré sur ce dossier, atteste une source informée. Bien qu'ayant affirmé, dans une première réaction aux permutations judiciaires, que « certains dossiers ne font pas l'objet d'une entente préalable », le député d'Amal, Ali Bazzi, n'a pas été clair sur la teneur exacte de ses propos, laissant planer le doute sur le fait de savoir si l'absence d'une « entente préalable » s'appliquait à Amal, ou plutôt au CPL et au Hezbollah, les seules formations qui se sont estimées « lésées » par ces nominations. À la question de savoir si le chef du CPL ne dit pas la chose et son contraire lorsqu'il réclame à cor et à cri l'indépendance de la justice pour dénoncer sitôt après le fait que son avis n'a pas été pris en compte, une source proche de l'opposition a indiqué que la position du leader maronite émane d'une position de « principe » à laquelle il aspire à l'avenir, mais que pour l'instant, la situation est telle que celui qui n'impose pas sa présence sur l'échiquier politico-confessionnel serait « naïf ». Or, insiste la source, toutes les formations en présence ont été impliquées dans le processus, y compris celle de Nabih Berry, mais ce ne fut pas le cas pour le CPL et le Hezbollah.
Certains magistrats affirment toutefois que les nominations sont « assez équilibrées dans l'ensemble ». « Elles n'ont pas suscité de grandes objections, sinon le décret ne serait jamais passé », souligne un juge qui affirme que l'on ne peut jamais satisfaire tout le monde dans de tels cas et qu'il y aura toujours certains qui se voient mis hors jeu.
Une autre source judiciaire indique que les permutations « sont équitables dans une proportion de 90 % », tout en avouant que certaines personnalités « sont effectivement réputées pour avoir des allégeances politiques claires ».
Selon un membre de la société civile qui suit de près ce dossier, les noms de certains juges connus pour être « corruptibles » ont également figuré dans ce décret. Cette faille, dit-il, inadmissible dans le principe dès qu'il y va de la crédibilité et de la probité des magistrats, reste toute relative par rapport à l'urgence du processus des nominations qui devait voir le jour sans plus tarder.