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Culture - Théâtre

Darina al-Joundi : un parfum de musc et de liberté

Trois semaines durant, Darina al-Joundi a présenté à un public genevois médusé sa pièce « Le jour où Nina Simone a cessé de chanter ». Écrin de ce récit bouleversant, le Théâtre de Poche a fait salle comble et vibré d'émotions inimaginables.
«Que veux-tu que j’en fasse de ta liberté? Papa !» Le cri de Darina al-Joundi glace le sang. Résonne dans les esprits. La scène du Théâtre de Poche, niché dans une ruelle de la Vieille ville de Genève, se fige. À l’image des deux cents spectateurs, suspendus aux lèvres de la comédienne. Accrochés à ces mots, assenés comme autant de coups de poing que d’espoirs renouvelés.
«À force de rêver de liberté, tu n’as pas vu que notre pays perdait la sienne!» exulte Darina à l’adresse de son père. Dans sa robe rouge sang, seule sur les planches, elle raconte ce père, ce journaliste et écrivain visionnaire qui, tout au long de sa vie, a défendu son idéal de liberté et de démocratie. Sans concession. Au Liban. En prison. Sur les routes de l’exil. Cet utopiste qui inculqua à ses filles la mise au ban des tabous.
Comme dans son livre éponyme, Darina al-Joundi s’arme de simplicité, celle de la douleur dite, pour raconter ce Jour où Nina Simone a cessé de chanter. Le contexte n’en est pas moins extraordinaire. Celle d’une nation égarée qui se cherche. Celle de cette adolescente qui veut devenir une femme. Malgré tout. Au milieu du désastre. De cette spirale presque irréelle, qui va la conduire à tous les excès. Drogue, alcool, sexe, à outrance. Une quête d’autant plus difficile que le monde qui l’entoure est chaotique. «Burlesque», lorsque Darina raconte l’implacable dérive des uns et des autres, cet ami qui, pris par la roulette russe, se brûle la cervelle pour une dose de poudre blanche, ou encore ces chiens qu’elle regardait dévorer les cadavres autour d’elle.

Tomber pour se relever
«Nous vivions tous la même folie… Je ne philosophe pas. C’est factuel, dira-t-elle à l’heure de l’interview. J’y vais direct et dis les choses comme elles sont réellement.» Et de se défendre: «Ce n’est pas une thérapie. Sinon, je serais en train de pleurer à chaque représentation. C’est un personnage, qui me donne la chance de parler de mon père tous les soirs. Et aussi de lui dire ce qui s’est passé après sa mort.» Et c’est là où le jeu de Darina est à couper le souffle. Sans pour autant les revivre, elle s’alimente de chacune de ses chutes, de chaque moment de joie ou d’espoir, de ses bouleversantes cicatrices pour crier ses années de lutte, l’histoire du Liban contemporain en filigrane. L’histoire de sa propre rédemption. D’une étonnante résilience. Pas de doute : Darina est le texte.
«Mais comment a-t-elle fait?» se demandait incrédule une spectatrice. «Je n’ai pas honte de ce que je raconte», commente pour sa part Darina, dont l’objectif dépasse sa propre guérison. Outre le récit de sa guerre, elle voulut, en écrivant son livre avec l’écrivain algérien Mohammad Kacimi, répondre à la confusion entre monde arabe et extrémisme qui règne souvent en Occident. «Dans ce monde que l’on peut croire extrémiste, il y a eu un Arabe – mon père – qui était libre, laïc, démocrate et qui aspirait à plus de justice sociale. Un père qui ne m’a jamais jugée, mais toujours accompagnée… même dans mes erreurs.»
Ses yeux de braise déterminés, Darina poursuit: «Je voulais aussi dénoncer la loi qui permet d’enfermer des femmes et qu’il faut abroger.» Une pratique qui la revêtit d’une lourde camisole de force, coupable d’avoir eu trop soif de liberté. De libre arbitre. Intense, la comédienne revient encore sur celle qui «a marqué ma vie», Nina Simone. Cette «véritable combattante» qui pointille la pièce de son somptueux «Sinnerman». Entre chaque scène. Avec son rythme et ses notes essoufflés, à donner la chaire de poule.

La fin est le début
Dépouillée, la mise en scène d’Alain Timar n’en est que plus percutante et donne d’autant plus de poids aux mots parfois très crus de Darina. Elle qui se met à nu pour sauver son âme, dans l’espoir de retrouver, un jour, «mon Liban». Celui qu’elle imagine.
Après une heure et demie d’un époustouflant monologue, Darina, au paroxysme de l’émotion, enflamme ses tirades avec une poignante vigueur pour ponctuer la pièce. Elle sort d’internement. Quitte son pays. Libre. Rideau. La tension s’évapore. Dans sa robe rouge, la comédienne retrouve les spectateurs, parée d’un sourire lumineux. Débordant. La fin est le début. C’est d’ailleurs cette joie que l’on retrouve sur la couverture du livre.
«En me lançant dans ce projet, je voulais savoir si mon personnage pouvait gagner», commente une Darina al-Joundi gagnante sur tous les tableaux. Son livre sera prochainement traduit en plusieurs langues, dont l’italien et le danois. Quant à la pièce de théâtre, elle poursuivra sa tournée mondiale, débutée en juillet 2007 à Avignon, jusqu’à juin 2010.
Certainement très personnel, le récit de Darina a en tout cas laissé interdits des spectateurs genevois qui se sont bousculés au Poche, trois semaines durant. «C’est un public d’une très grande qualité, qui a probablement été particulièrement touché par les émotions que présente la pièce.» Comment aurait-il pu en être autrement, lorsque l’on aspire à l’essentiel: la liberté.
«Que veux-tu que j’en fasse de ta liberté? Papa !» Le cri de Darina al-Joundi glace le sang. Résonne dans les esprits. La scène du Théâtre de Poche, niché dans une ruelle de la Vieille ville de Genève, se fige. À l’image des deux cents spectateurs, suspendus aux lèvres de la comédienne....

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