Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

LE POINT Dommages collatéraux

On le sait depuis la nuit des temps, c’est-à-dire depuis qu’elle existe : la guerre – l’occupation aussi… –, quand elle s’éternise, finit par tout pourrir, comme si elle servait de révélateur de la véritable nature humaine. Les Français, pour ne citer que ce cas relativement récent, avaient connu cela lors de la guerre d’Algérie, les Américains aussi, avec le traumatisme vietnamien. Il avait suffi d’un livre, La Question d’Henri Alleg, d’une photo, celle de la petite fille de Mai Lei, pour que les uns et les autres découvrent, horrifiés, ce que la barbarie peut engendrer, surtout lorsqu’elle se juge forte de l’impunité que procure une fausse, et combien redoutable, bonne conscience. Des révélations, il en pleut depuis quelque temps sur les excès commis au nom de la lutte contre le terrorisme et de la normalisation en Irak, les deux processus étant intimement liés dans l’esprit de l’Administration yankee. Dernière en date de ces entorses faites à la morale internationale : les commentaires publiés dans la presse de Bagdad sous la signature de journalistes autochtones mais préparés en réalité par des GI, donnant une idée flatteuse de l’action américaine dans le pays. Titre de l’un de ces chefs-d’œuvre, que n’aurait pas désavoués un certain maître de l’argumentum ad nauseam : « Les vents soufflent dans un sens favorable à un Irak démocratique. » Le projet, on l’apprend aujourd’hui, bénéficie d’un budget de plusieurs millions de dollars. Une firme de relations publiques basée à Washington, le Lincoln Group, était chargée de traduire et de faire parvenir ces commentaires aux salles de rédaction pour le compte du Pentagone ; sa mission consistait en outre à verser des centaines de dollars par mois à des plumes peu regardantes sur l’habillage à donner à leurs écrits. À ce jour, l’opinion publique n’a eu droit qu’à la partie visible de l’iceberg, en attendant les résultats d’une enquête promise par le général Peter Pace, chef d’état-major des armées. Lequel n’a eu vent de l’affaire que mercredi dernier 1er décembre. Vous avez dit glasnost à la sauce yankee ?… Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le grand sujet du jour n’est pas cette ténébreuse affaire de presse-sic mais le recours par la Central Intelligence Agency à des aéroports européens pour les escales de ses appareils transportant des prisonniers étiquetés islamistes. L’un des principaux buts de Condoleezza Rice, à l’occasion de sa tournée entamée en ce début de semaine, consiste à expliquer – notamment aux alliés allemands, roumains et anglais – que les présumés terroristes, peut-être aussi ces fameux avions et surtout la présence sur le Vieux Continent de camps de détention sont le fruit de quelque imagination en mal de scoops sensationnels. La secrétaire d’État, a précisé le conseiller à la sécurité nationale Stephen Hadley, dira aux alliés de l’Amérique que celle-ci demeure fidèle à ses lois et respecte la souveraineté des autres nations. Il n’en a pas moins reconnu que la digne agence « doit défendre le pays contre toute agression et dans le même temps se plier aux lois ainsi qu’aux termes de la Constitution et aux traités internationaux, ce qui représente une mission difficile ». On ne saurait mieux dire, sachant que six enquêtes sur le sujet sont en cours et que Franco Frattini, commissaire européen à la Justice et à l’Intérieur, a menacé de proposer des sanctions contre les USA si les conclusions des magistrats instructeurs devaient se révéler positives. Sur la défensive sur un thème particulièrement cher aux Vingt-Cinq, Condie doit de plus répondre à des questions de plus en plus embarrassantes sur les conditions de vie dans les camps de détention de Guantanamo Bay et d’Abou Ghraib. Où les techniques utilisées dans les interrogatoires auraient reçu au préalable l’aval du secrétaire à la Défense. Les responsables des investigations ont abouti à la conclusion que ces méthodes étaient « innovantes » et « agressives », deux termes qui représentent pour le moins un délicat euphémisme, s’agissant en l’occurrence du recours à des chiens spécialement dressés et à des humiliations de toutes sortes. Auteur d’un reportage qui avait fait sensation en son temps, paru en mai 2004 dans le magazine The New Yorker sous le titre « The Gray Zone », Seymour M. Hersh évoquait ces abus en termes sévères. Une semaine auparavant, The Observer britannique abordait déjà le thème, révélant l’existence de dizaines d’enregistrements vidéo de scènes de torture. Commentaire de Donald Rumsfeld, forcé de répondre à un feu roulant de questions posées par les sénateurs Lindsay O. Graham et Patrick Leahy : « C’est là l’œuvre de quelques militaires voyous. » Il y a une cinquantaine d’années, un certain John Andrew Rice (un iconoclaste pédagogue qui n’a rien à voir avec Condie) prétendait que « la fin ne justifie pas les moyens mais ce sont les moyens qui déterminent la fin ». Prémonitoire. Christian MERVILLE

On le sait depuis la nuit des temps, c’est-à-dire depuis qu’elle existe : la guerre – l’occupation aussi… –, quand elle s’éternise, finit par tout pourrir, comme si elle servait de révélateur de la véritable nature humaine. Les Français, pour ne citer que ce cas relativement récent, avaient connu cela lors de la guerre d’Algérie, les Américains aussi, avec le...