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Actualités - REPORTAGE

De nombreux Irakiens considèrent le TSI comme le symbole de l’expression de la volonté US dans leur pays Saddam Hussein devant la justice

Par Ruti Teitel* Le procès de Saddam Hussein a débuté le 19 octobre. Quels en sont les enjeux ? Quatre jours à peine après le référendum sur la Constitution irakienne, l’on nous présente ce procès comme un moment constitutionnel crucial, tout comme l’ont été les procès des rois Charles X et Louis XVI. Cette procédure juridique est censée aider l’Irak dans sa transition de la tyrannie vers la démocratie. Y parviendra-t-elle réellement ? Jusqu’ici, de nombreux signes nous laissent croire que ce procès ne pourra pas atteindre l’objectif ambitieux qu’il s’est fixé. Depuis le début de l’après-guerre en Irak, la justice criminelle ressemble à un constitutionnalisme déboussolé : procès retentissants, purges radicales et élections compromises. La course à la « débaassification » consécutive à l’invasion américaine, consistant à détruire purement et simplement de nombreuses institutions irakiennes, a été la démarche la plus extrême. Le mélange des responsabilités individuelles et collectives associé aux régimes répressifs crée souvent un dilemme concernant la gestion des anciennes institutions. Or, en Irak, le fait d’obliger l’armée et la police à se défausser a simplement plongé le pays dans une absence totale de sécurité intérieure. Avant de reconnaître cette erreur, le mal était fait et la sécurité inutilement sacrifiée. De plus, certaines structures, telles que le Parlement, offrant une potentielle légitimité à la réforme constitutionnelle irakienne en cours ont été détruites. Le manque d’institutions légitimes nécessaires au rétablissement du respect de la loi est flagrant dans le débat concernant le type d’autorité et la forme de jugement qui échoient à Saddam Hussein. Le tribunal doit-il être national ou international ? Cette question insiste sur la relation problématique existant entre le droit international humanitaire et l’usage de la force. L’inculpation de Slobodan Milosevic par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie des Nations unies a accéléré les bouleversements politiques dans la région des Balkans. La délégitimation des régimes politiques est devenue une des principales fonctions de la nouvelle Cour criminelle internationale permanente. Or la situation en Irak était différente. Au lieu de recourir à un forum international, une guerre dévastatrice a été déclarée. Celle-ci ne s’est pas contentée de renverser Saddam, elle a bouleversé la vie de dizaines de milliers de civils et mélangé ainsi les différents messages de condamnation. La création d’un nouveau système de justice pendant la guerre remet en question sa véritable légitimité et répond en écho au schisme plus large apparu dans l’opinion au sujet de l’intervention militaire elle-même. Jusqu’ici, les Nations unies, l’Union européenne et la plupart des associations des droits de l’homme n’ont pas coopéré avec le Tribunal spécial irakien (TSI). Elles restent ainsi fidèles à leur opposition originelle à l’intervention militaire et montrent leur mécontentement envers les statuts du TSI qui autorisent la peine de mort. En fin de compte, le débat portant sur le choix entre une juridiction internationale et une juridiction nationale reflète une dichotomie désormais injustifiée dans le contexte politique actuel. En effet, cette question cache l’inscription effective de plus en plus profonde du droit international dans le droit intérieur. Malgré son caractère « national », le tribunal irakien formule les plaintes reçues en termes de « crimes contre l’humanité. » Or ce n’est que maintenant, après la guerre, que le nouveau système de justice peut affiner et consolider les messages de délégitimation et de changement de régime. En dépit de ses liens étroits avec l’invasion, l’on attend du procès de Saddam qu’il soit l’expression d’une justice irakienne indépendante, renforçant de ce fait la responsabilité des Irakiens sans pour autant exacerber les tensions et déstabiliser davantage le pays. Cela est-il possible ? Depuis le début, le TSI doit être un symbole fort de la souveraineté irakienne. Or son lien étroit avec l’invasion menée par les États-Unis le place sous la coupe de « la justice du vainqueur ». Même si leur adoption officielle par le Conseil de gouvernement irakien date de décembre 2003, les statuts du TSI ont été formulés sous contrat avec le gouvernement américain et approuvés par L. Paul Bremer, l’administrateur de l’Autorité provisoire de la coalition. Les États-Unis demeurent la force motrice derrière le TSI et lui apportent toute l’expertise nécessaire. De nombreux Irakiens ont du mal à considérer le TSI autrement que comme le symbole de l’expression de la volonté des occupants. En effet, l’association étroite entre le TSI et l’établissement d’un nouveau régime soutenu par les Américains est semée d’embûches politiques. La justice criminelle de transition doit être assez large pour permettre une réconciliation de l’Irak divisé et reconnaître les crimes contre l’humanité des peuples chiites et kurdes. Mais elle doit aussi éviter d’embarrasser les Américains et leurs alliés, principalement au sujet de leurs nombreuses transactions avec le régime de Saddam. Or, si la justice semble sélective ou contrôlée, les objectifs du tribunal seront voués à l’échec. Le spectre de procès restrictifs plane également. Ceci est un des motifs supplémentaires de l’absence de soutien international au TSI. La sélection originelle des juges largement perçus comme des représentants de la force occupante expose le tribunal à des allégations de distorsion et de partialité, tout comme les questions concernant l’accès et la transparence du procès pour les prévenus et les autres. En outre, les statuts du TSI ne disent rien au sujet de la règle de la preuve, ce qui signifie que la culpabilité ne doit pas être clairement établie au-delà d’un doute raisonnable. Bien que la première série d’accusations contre Saddam concerne les massacres très bien documentés de Dujail et d’ailleurs dans les années 1980, le procès de Milosevic devant le tribunal pénal international démontre qu’il est beaucoup plus difficile d’établir la culpabilité d’une « autorité supérieure » et de lui attribuer la responsabilité des meurtres. Selon le président irakien Jalal Talabani, ce problème a été apparemment résolu par le biais d’aveux obtenus par la force. Bien sûr, si le but du TSI consiste à évoquer la possibilité de diffuser les procès plutôt que de renforcer le respect de la loi, alors Talabani a tout à fait raison : le problème est résolu. Les poursuites judiciaires pourraient alors être réduites à l’aveu d’un unique massacre. Les procès ultérieurs seront suspendus pour ouvrir le plus rapidement possible la voie au châtiment – contrairement au procès de Milosevic qui s’étend maintenant à sa quatrième année. Or un châtiment rapide – vraisemblablement une exécution – menace d’enterrer des décennies entières de tyrannie sous l’objectif apparemment primordial de combattre l’insurrection par d’autres moyens. Par conséquent, le procès de Saddam démontrera les limites de la loi dans l’instauration d’un régime de transition. La justice de transition se retrouve confrontée à un dilemme insoluble : les sociétés ravagées par des années de droits de l’homme bafoués font souvent appel à la loi pour consolider la légitimité du régime politique suivant, or elles voient seulement ces objectifs salutaires bouleversés par les défis et les compromis inhérents à la transition même. *Ruti Teitel enseigne le droit comparé à la faculté de droit de New York. Elle est l’auteur de « Transitional Justice » (Justice de transition). „ Project Syndicate. Traduit de l’anglais par Béatrice Einsiedler

Par Ruti Teitel*

Le procès de Saddam Hussein a débuté le 19 octobre. Quels en sont les enjeux ? Quatre jours à peine après le référendum sur la Constitution irakienne, l’on nous présente ce procès comme un moment constitutionnel crucial, tout comme l’ont été les procès des rois Charles X et Louis XVI. Cette procédure juridique est censée aider l’Irak dans sa transition de...