Rechercher
Rechercher

Actualités

CORRESPONDANCE - « Shalimar le clown » de Salman Rushdie En ces temps de violence, détour par les paradis de l’enfance

WASHINGTON-Irène MOSALLI Un livre de Salman Rushdie fait l’événement sous toutes les latitudes. Non seulement à cause de la «fatwa» dont il a fait l’objet pour ses Versets sataniques, en 1989, et qui lui a valu une interminable réclusion, mais parce que cet auteur porte en lui plusieurs mondes qui sont intimement et magistralement liés à son écriture. Avant d’être dans la liste des best-sellers, son neuvième titre, Shalimar le clown, qui vient de sortir aux Etats-Unis, est sur toutes les lèvres et dans tous les esprits. Cette fois, l’aimant n’opère pas par le biais de la controverse: si l’on est pris, c’est par la magie du récit. Un récit à la fois flamboyant, enchanteur et intense. Le tout tissant une trame épique, policière, politique, festive, romanesque s’appuyant sur la réalité actuelle et sur l’histoire. Et sur cette histoire viennent s’emboîter une multitude d’histoires qui disent la nostalgie d’un paradis perdu, et l’angoisse des temps troubles, violents et obscurs que nous vivons. La cassure C’est Salman Rushdie tel qu’en lui-même, écrivain et penseur à strates et qui, dans Shalimar le clown, possède des antennes dans tous les continents. Au départ, Shalimar, un jeune garçon du Cachemire qui danse sur une corde raide et qui se plaît à divertir le public, s’éprend follement d’une jeune danseuse hindoue nommée Boonyi, faisant partie de la même troupe d’amuseurs que lui. Il l’épouse sans que leurs différentes identités ne créent des tensions. La cérémonie se fera selon les coutumes hindoues et musulmanes. Il lui jure amour et fidélité pour la vie, et lui demande d’en faire autant. Sinon, il la tuera. Ils vivent des jours de félicité dans ce Cachemire par encore convoité par ses voisins (l’Inde et le Pakistan), et où tout est beauté, tolérance, art et convivialité. Puis entreront en jeu des idéologues radicaux et des zélotes qui casseront l’harmonie régnante. Une invite à l’intervention des pays voisins. C’est la cassure. Et se rompra aussi la corde de Shalimar le funambule, entraînant sa chute : il sera trahi par sa bien-aimée, Boonyi, qui, pour fuir ce qui n’est plus un éden, devient la maîtresse de l’ambassadeur des États-Unis, nommé Max Ophuls (du même nom que le célèbre metteur en scène), avide, lui, de conquêtes féminines. Perdus ainsi le paradis et les amours pour la vie. Ce n’est pas le fin mot de l’histoire. Angoisse planétaire Quelque temps plus tard, on apprend dans un autre continent la mort d’un ambassadeur américain de renom, retraité, du calibre de Henry Kissinger et au sex-appeal d’une vedette de Hollywood. Il se nomme Max Ophuls et a été abattu par son chauffeur devant l’appartement de sa fille à Los Angeles. C’est d’ailleurs ainsi que débute le roman. Le chauffeur n’est autre que Shalimar: l’enquête dira qu’il est un terroriste international entraîné au Cachemire et ayant perpétré un assassinat politique. La fille de l’ambassadeur découvrira que derrière ce motif apparent se cache le désir de se venger d’avoir été trahi par son épouse. Le monde actuel n’est-il pas ainsi fait? De frustrations ressenties dans un coin du globe et exprimées violemment à l’autre bout? Reste que la métamorphose de Shalimar l’amuseur en tueur ne tourne pas à l’horreur. L’auteur en a tracé un portrait très humanisé et quelque peu touchant. Ce que lui reprochent les critiques américains. Peut-être que Rushdie, qui a personnellement longtemps vécu dans le confinement et qui, comme tout un chacun, est en train de vivre des angoisses planétaires, a-t-il eu la nostalgie des jours heureux qu’il avait vécus encore tout jeune avec ses grands-parents au Cachemire. Pays qu’il décrit superbement avec ses belles coutumes et sa sérénité qui prévalaient à l’époque. En ces temps de violence, c’était là son détour au paradis de l’enfance. Âgé aujourd’hui de 54 ans, il est citoyen britannique d’origine indienne. Son père avait choisi leur nom de famille en référence au célèbre philosophe arabe Ibn Ruchd, connu pour son immense culture, son esprit d’ouverture et sa tolérance. Salman Rushdie avait publié son premier livre, Grimus, en 1974. Depuis la parution, en 1981, de son roman Les enfants de minuit, il a été au faîte du monde des lettres. Et il a ouvert la voie royale de la littérature à toute une génération d’écrivains britanniques ayant leurs origines dans le sous-continent, dont Arundhati Roy qui s’est fait connaître avec Le dieu des petits riens.
WASHINGTON-Irène MOSALLI

Un livre de Salman Rushdie fait l’événement sous toutes les latitudes. Non seulement à cause de la «fatwa» dont il a fait l’objet pour ses Versets sataniques, en 1989, et qui lui a valu une interminable réclusion, mais parce que cet auteur porte en lui plusieurs mondes qui sont intimement et magistralement liés à son écriture. Avant d’être dans la...