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Actualités - OPINION

Tantôt les Syriens, tantôt les Libanais : Mehlis jongle avec les cartes qu’il a en main

On attendait Grouchy, ce fut Blücher : comme à Waterloo, un clou chasse l’autre, et le retournement de situation est total. Lors de la remise du rapport préliminaire de Mehlis, et juste après, les regards étaient braqués sur la Syrie. Désignée du doigt pour son refus de coopérer. Mais elle a promptement fait volte-face pour s’incliner, par la bouche du président Bachar el-Assad, qui a ouvert la porte aux enquêteurs internationaux. On pensait donc qu’ils allaient se diriger vers Damas pour rencontrer, par exemple, Kanaan, Ghazalé, Khallouf et Jameh. Mais, coup de théâtre spectaculaire, ce sont les Libanais qu’on a convoqués, ou plutôt convoyés, au quartier général de Mehlis à Monteverde. Cette substitution dans l’ordre de cibles, qui détourne (momentanément) l’attention de la Syrie, fait peut-être partie d’un deal conclu en Europe par Mehlis avec les envoyés du système syrien. Qui a toujours détesté agir ou réagir sous la pression et pourrait donc avoir demandé lui-même une soupape de décompression. En tout cas, deux semaines avant l’expiration, le 16 septembre, du délai de trois mois (extensible, il est vrai) accordé à la commission internationale d’enquête sur l’assassinat du président Rafic Hariri, c’était hier la rafle. Jamil Sayyed, ex-directeur de la SG, Raymond Azar, ancien patron des SR, Ali Hajj, directeur écarté des FSI, Moustapha Hamdane, chef de la garde républicaine, et l’ancien député Nasser Kandil (qui se trouvait en Syrie) ont été mandés à Monteverde. Sans qu’on y mette les gants, tout au contraire. En effet, dès cinq heures du matin, des escouades de FSI et de l’unité mixte armée-FSI, mise à disposition des enquêteurs, ont pour ainsi dire pris d’assaut les demeures des demandés. À l’exception du général Hamdane, qui s’est rendu de lui-même à Monteverde après avoir été notifié du rendez-vous. Privilège qui s’explique peut-être par le double fait qu’il est toujours en poste, contrairement aux autres, et qu’il relève directement de la présidence de la République, qu’on n’a pas voulu trop égratigner. Contradictions L’initiative est importante, et elle semble présager d’une autre série de convocations concernant d’anciens responsables, politiciens, officiers ou fonctionnaires civils. Selon un observateur averti, les enquêteurs, qui abordent maintenant la dernière ligne droite de leur mission, veulent mettre les bouchées doubles, sans doute en organisant des confrontations entre les noms cités. Dont les dépositions recueillies jusqu’à présent contiendraient un nombre impressionnant de contradictions qu’il faut tirer au clair. Toujours selon le même technicien, il faut s’attendre à ce que ces confrontations mettent également en présence cadres syriens et libanais. Il rappelle qu’en date du 19 juillet dernier, la commission avait adressé une note aux autorités de Damas précisant qu’elle souhaitait interroger cinq officiers syriens qui étaient en poste au Liban lors de l’assassinat du président Hariri. La Syrie ayant fait alors la sourde oreille, Mehlis s’était plaint de son manque de coopération dans le rapport préliminaire remis au Conseil de sécurité le 25 août. D’où un communiqué du Conseil pressant toutes les parties concernées de coopérer, mais sans nommer la Syrie car le délégué russe s’y était opposé. Ce qui n’avait évidemment pas empêché ses collègues d’Amérique et de France de fustiger nommément l’attitude récalcitrante de la Syrie. Par suite de quoi, comme on sait, le président Assad s’était hâté de montrer patte blanche. Cela avant le voyage qu’il doit effectuer à New York, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU. Pour que ses positions et ses thèses devant l’Assemblée ne soient pas altérées par un climat de pressions et de suspicion renforcées. Et que son message, ses doléances, ses revendications, ses griefs aient quelque chance d’être bien accueillis. Retour à l’enquête. Mehlis est censé communiquer au procureur général près la Cour de cassation libanaise, Saïd Mirza, les résultats de ses interrogatoires. Pour d’éventuelles suites sur le plan judiciaire local. En tout cas, il se confirme que Mehlis avait informé Siniora de l’opération qu’il comptait mener. Il avait de même rencontré Charles Rizk, ministre de la Justice, en présence de Mirza, s’engageant à tenir le parquet libanais au courant de ses avancées. Mais pourquoi maintenant, pourquoi pas avant ? Même question, sur le terrain, pour le ratissage du fond marin en bordure du Saint-Georges. Selon des spécialistes, Mehlis, procureur de métier, démontre en fait de la sorte son immense savoir-faire en matière d’enquête. Il anesthésie son petit monde, en laissant croire qu’on en resterait à un stade incomplet. Puis il joue sur l’effet de surprise totale, pour moissonner, d’un coup, plein d’informations. Et jeter un violent éclairage sur les zones d’ombre qui subsistaient encore. En donnant un brusque coup d’accélérateur, il peut du reste espérer terminer sa mission dans les délais, sans devoir réclamer de grande rallonge. Encore que, toujours selon les spécialistes, il ne soit pas exclu qu’il demande quelques petites semaines. Non pas par nécessité absolue, mais pour faire diversion. En principe, il devrait remettre ses conclusions à la fin septembre. La question qui se pose est évidemment de savoir si la publication du rapport va provoquer un séisme, des secousses mettant en péril la stabilité intérieure du Liban. Le climat est déjà très chargé : des bruits courent, les tensions sont exacerbées. Et la fameuse liste noire relative à des assassinats politiques, qui pousse nombre de pôles à se réfugier à l’étranger, provoque une psychose qui n’épargne pas la population. Philippe ABI-AKL
On attendait Grouchy, ce fut Blücher : comme à Waterloo, un clou chasse l’autre, et le retournement de situation est total. Lors de la remise du rapport préliminaire de Mehlis, et juste après, les regards étaient braqués sur la Syrie. Désignée du doigt pour son refus de coopérer. Mais elle a promptement fait volte-face pour s’incliner, par la bouche du président Bachar el-Assad, qui...