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Actualités - ANALYSE

Analyse Lahoud est désormais à l’heure des grandes interrogations Les conséquences politiques du rapport Mehlis déjà en ligne de mire… (photo)

Il est probablement encore trop tôt pour saisir l’ampleur du processus déclenché hier par la commission Mehlis, à travers l’interpellation des grands manitous du Léviathan sécuritaire libano-syrien, les généraux Jamil Sayyed, Moustapha Hamdane, Raymond Azar et Ali el-Hajj. S’il n’est jamais sage de crier victoire trop tôt, alors que l’hydre agonisante continue toujours à se débattre – et que c’est souvent à ce moment-là qu’elle peut faire le plus de mal, mue par l’énergie du désespoir, comme l’atteste d’ailleurs sur le terrain le départ d’un flot de responsables politiques pour la France en quête de sécurité –, il convient toutefois de relever que le magistrat allemand a porté un coup fatal hier à la structure sécuritaire qui a servi, durant quinze ans, de moteur au processus de « syrianisation » du pays. En convoquant hier les principaux responsables de l’entreprise de répression organisée de l’ère syrienne, en en faisant les principaux « suspects » dans l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, Detlev Mehlis et son équipe ont très certainement contribué, par enquête judiciaire interposée, à déloger certaines « statues » de leurs socles, et ce quel que soit le sort effectif qui sera réservé au quarteron de généraux et à Nasser Kandil. L’ironie du sort aura voulu que l’homme le plus bavard de l’histoire moderne et contemporaine du Liban soit finalement interpellé par la commission d’enquête internationale… pour recel d’informations. Il ne faut pas sous-estimer, dans ce cadre, l’impact que devrait avoir, à court, moyen et long terme, sur le plan symbolique, le choc psychologique positif suscité hier par l’interpellation des anciens chefs des SR. L’événement est d’une importance capitale, puisqu’il permet à la dynamique de déconstruction de l’omerta imposée ces quinze dernières années au Liban de progresser considérablement. Cela devrait d’ailleurs encourager les langues qui hésitent encore à se délier à témoigner devant la commission. En réalité, c’est surtout au caractère intouchable des symboles sécuritaires que Detlev Mehlis et son équipe ont porté un coup frontal, hier, dans une initiative qui possède, à n’en point douter, un caractère iconoclaste et sacrilège, au sentiment d’invincibilité de ces chefs sécuritaires, trop accoutumés au mystère des coulisses (qui surdimensionne l’ego et l’envergure) et aux piédestaux du pouvoir pour supporter de se retrouver, depuis quelque temps, sous le feu des projecteurs. Le tabou avait déjà été brisé à la place des Martyrs, durant les manifestations qui avaient précédé le 14 mars, lorsque, sur impulsion (et la réalisation ?) de Samir Kassir, les chefs des services de renseignements avaient été pointés du doigt par la foule et à la foule, leurs portraits brandis par les protestataires et frappés soit d’un grand « x » rouge, soit de la mention : « (Syriens) prenez-les avec vous. » Par-delà les frontières libanaises, l’événement, aussi rare au Liban que dans le monde arabe, est également un camouflet important porté au mythe même de l’État sécuritaire, dans sa dimension régionale, que Detlev Mehlis a contribué à détruire à travers son initiative. Et, en ce sens, l’interpellation des généraux s’inscrit dans la continuité du « Printemps de Beyrouth », au sens où le concevait Samir Kassir lui-même, c’est-à-dire comme un printemps de liberté et de démocratie pour tous les Arabes, à mille lieues du modèle du despotisme oriental et des structures totalitaires. Il reste que la portée de ces interpellations en série opérées par la commission d’enquête internationale n’est pas exclusivement psychosociologique. L’affaire a également, même si le rapport Mehlis n’a pas encore été publié, des conséquences politiques évidentes qu’il faut dissocier du cours judiciaire de l’enquête. Les arrestations auraient-elles d’ailleurs été décidées selon un timing bien précis visant à prévenir la scène locale contre une éventuelle déstabilisation sécuritaire dont l’objectif serait d’empêcher toute exploitation des conséquences politiques de l’enquête ? La question reste entière. Même si, pour l’instant, les anciens responsables sécuritaires interpellés ne sont encore que des « suspects », il n’empêche qu’ils relevaient tous de la même équipe politique, sous la tutelle effective de la présidence de la République et/ou de Damas. L’interpellation de ces chefs laisse entrevoir donc, d’ores et déjà, le spectre d’une responsabilité, morale et politique, que Baabda est tenue d’assumer dans l’assassinat de Rafic Hariri. Fort (?) d’un légalisme douteux hérité de la prorogation, à la recherche permanente d’une légitimation, tantôt chrétienne, par le biais de certaines forces politiques ou du patriarcat maronite, et tantôt internationale (la visite de Rice), Émile Lahoud, qui a pris, hier, une fois de plus, la défense du chef de sa garde prétorienne, Moustapha Hamdane, est désormais à l’heure des grandes interrogations. D’ailleurs, il paraît de plus en plus nécessaire, pour ceux qui défendent encore le président, par respect pour le poste de la présidence de la République dans une logique communautaire, de se demander, aujourd’hui, si le maintien du chef de l’État – surtout au cas où il devait se retrouver impliqué, de près ou de loin, dans l’affaire Hariri – est vraiment bénéfique pour la communauté chrétienne. Ou bien s’il s’agit d’un boulet dont cette communauté devra assumer les conséquences politiques. D’autant que les expériences du passé nous apprennent qu’en temps normal – c’est-à-dire hors du contexte de l’occupation syrienne –, aucun président qui ne faisait pas l’objet d’un consensus interlibanais n’a pu se maintenir au pouvoir. Un enseignement du passé que le président Lahoud est appelé à méditer, surtout s’il compte s’appuyer sur les représentants politiques de la communauté chiite pour rester à son poste. Le sursis de deux ans, obtenu par le président dans la foulée de l’intifada de l’indépendance, se retrouve donc remis en question, et, de France, le chef du PSP, Walid Joumblatt, n’a pas manqué hier de le faire remarquer, en prévoyant la chute prochaine de têtes, « au Liban et ailleurs ». La publication du rapport Mehlis approche. Et c’est immanquablement une nouvelle étape politique qui s’ouvre avec les convocations d’hier. Une étape qui devrait conduire, si la piste qui mène du côté de Baabda se précise, à l’ouverture d’une nouvelle joute politique, avec l’élection présidentielle en toile de fond. Il est trop tôt pour spéculer, mais les différentes forces politiques sont d’ores et déjà invitées à réfléchir à la suite des événements et à la manière d’éviter au pays une nouvelle période d’instabilité politique. C’est pourquoi le nouveau chef de l’État devra, avant toute autre chose, être à la fois représentatif de sa communauté et le produit d’un accord consensuel entre les différentes fractions. L’objectif étant, il n’est pas trop tard, de rétablir définitivement le pacte de convivialité au sein des institutions. Michel HAJJI GEORGIOU

Il est probablement encore trop tôt pour saisir l’ampleur du processus déclenché hier par la commission Mehlis, à travers l’interpellation des grands manitous du Léviathan sécuritaire libano-syrien, les généraux Jamil Sayyed, Moustapha Hamdane, Raymond Azar et Ali el-Hajj.
S’il n’est jamais sage de crier victoire trop tôt, alors que l’hydre agonisante continue toujours à se...