Rechercher
Rechercher

Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Elle interloque le public parisien par ses mises en scène du désir et du corps féminins Ninar Esber: la sensualité à fleur d’images(photos)

Elle est entrée en art comme on entre en religion. Sauf que Ninar Esber est loin d’avoir fait vœu de chasteté. Ce serait plutôt le contraire. Car ses œuvres (vidéo, performances, photographies) possèdent un côté résolument audacieux. Séduction, désir, chair sont des synonymes qui collent à son travail. Pour dire les choses comme elles sont : au Liban on n’a pas l’habitude d’un tel exhibitionnisme, du moins dans l’art. Alors, lorsqu’une Libanaise interloque le public parisien par ses mises en scène du désir et du corps féminins, l’on ne peut s’empêcher de regarder de plus près. Betty Boop rockeuse, au total look noir et ceinture métallique affichant clairement et en lettres majuscules le message suivant: «Female». Voilà, ceux qui auraient des doutes sur le sexe de l’ange sont maintenant fixés. Entre-temps, c’est elle qui vous fixe de ses grands yeux charbon, ses longs cils cillant à peine quand elle évoque son admiration sans bornes pour les pin-up, les icônes sexuées. Drôle d’inspiration pour une féministe? En réalité, nous distinguons aujourd’hui deux tribus de féministes. Il y a celles qui considèrent toute représentation du corps féminin comme une dégradation de leurs rôle et image. Et les autres, qui se sont réapproprié le nu féminin, se permettant même d’explorer,sans aucun tabou, la sexualité de leurs congénères. Ninar fait partie de celles-là. Elle milite pour la cause des femmes, mais elle ne veut pas pour autant «chasser les hommes». «J’admets qu’il y en a qui sont plus féministes que certaines filles d’Ève». «Tout ce qui peut toucher la femme m’intéresse. Parce que je suis une femme, je travaille sur moi, sur mon corps et sur le monde par rapport à moi. C’est plus facile et évident que de parler de la sexualité masculine.» On la retrouve donc dans ses photos et ses performances. Elle est là, dans une galerie, assise sur un piédestal, offerte au regard des visiteurs. Tantôt allongée, tantôt immobile, lisant un livre ou fixant un point invisible. Et cela dure des heures. Une manière de rendre hommage à Siméon le Stylite qui a vécu presque toute sa vie sur une colonne de 20 mètres. Elle lui a également consacré une vidéo de 11 min. intitulée Samaan (2000). Explorant la sensualité, la séduction et le désir, Ninar revisite souvent, en les transposant en arabe, des chansons devenues classiques en Occident. Dans I Wanna Be Loved by You (2003), une autre performance, elle s’est grimée en Marilyn Monroe dont elle susurre la chanson en version libanaise. Dans La Méprise (2003), vidéo de 4 minutes, elle reprend le texte de la scène du début du mépris, l’énumération amoureuse du corps faite par Brigitte Bardot et Michel Piccoli. «Je l’adapte à l’aide d’un langage “créole” (français et dialecte libanais). Ce qui fragmente encore plus le corps, car les spectateurs francophones ne comprennent que quelques “morceaux du corps”, et les spectateurs arabophones les autres morceaux.» Avec Mes yeux, ta dent, ma langue (2002), 10 min., elle a voulu dessiner la géographie amoureuse de deux corps, en mettant en valeur les fragments du corps, comme dans les blasons de la Renaissance. Parmi ses projets les plus récents, 1 mn à Beyrouth. «Cela fait partie d’une série de “minutes” que j’ai commencées en 2002. Depuis le 20 décembre 2002, je film une minute tous les jours, quel que soit le moment ou le lieu dans lequel je me trouve. Cette série est composée de 1 mn à Bangkok 2003, 35 min; 1 mn à Beyrouth 2004, 35 min; 1 mn à Beyrouth 2005, 37 min; 1 mn à Rome 2005, 7 min; 1 mn à Beaubourg 2005, 48 min; 1 mn en Italie 2005, 45 min. Parmi ses œuvres reconnues, un urinoir pour femmes. À la forme phallique, évidemment. Les origines Dix-neuf ans à Paris, et elle parle à une représentante d’un journal francophone en arabe. La contradiction ne s’arrête pas là. Ninar a même rédigé un roman dans sa langue natale, Layl al-aoual, aux éditions Dar an-Nahar. De plus, elle tient une rubrique dans un magazine féminin arabophone. Comment a-t-elle fait pour ne pas oublier son arabe natal? «Mon père, poète amoureux des lettes, m’a beaucoup aidée.» Il faudra presque lui soutirer l’information, et c’est sur le ton de la confidence qu’elle avoue être la fille d’Adonis. Comme la plupart des «enfants de…» qui se fraient un chemin dans le domaine public, elle revendique le droit à une identité personnelle, individuelle. Mais cette relation va bientôt éclater au grand jour avec son prochain livre: un entretien à bâtons (et tabous) rompus avec son paternel. L’artiste trentenaire dit avoir beaucoup souffert lorsqu’elle a quitté le Liban, il y a presque vingt ans. Principal objet en cause: la nostalgie du pays. Mais aujourd’hui, avec le recul, elle trouve une autre raison à cette torture intellectuelle: le questionnement sur l’identité. Évidemment, c’est à travers la création artistique qu’elle a finalement trouvé un moyen d’exprimer cette dualité. Le choix de vie a été difficile. «Il exige un certain don de soi, un grand sacrifice.» Pour plaire aux parents, à la société et faire beaucoup d’argent, elle a commencé par faire des études de stylisme et de modélisme. Mais l’on ne peut pas se mentir à soi-même. Artiste? On vous regarde tout de suite d’un œil torve. Signifiant: «Ah, elle est différente, celle-là.» Elle s’insurge. Pourquoi l’artiste doit-il véhiculer une image de bohémien «vivant sur une autre planète», ne se souciant pas de l’univers qui l’entoure? «Ce domaine exige beaucoup de précision. L’artiste doit s’astreindre à une discipline d’enfer.» Cette ancienne élève de Cergy-Pontoise, «une école expérimentale qui privilégie la réflexion et s’est spécialisée dans l’art conceptuel», a finalement appris à créer en toute liberté. Sans souci du qu’en-dira-t-on. «Je suis le seul maître à bord, et je décide ce que j’ai envie de faire, de la manière dont j’ai envie.» Maya GHANDOUR HERT

Elle est entrée en art comme on entre en religion. Sauf que Ninar Esber est loin d’avoir fait vœu de chasteté. Ce serait plutôt le contraire. Car ses œuvres (vidéo, performances, photographies) possèdent un côté résolument audacieux. Séduction, désir, chair sont des synonymes qui collent à son travail. Pour dire les choses comme elles sont : au Liban on n’a pas l’habitude...