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Actualités - OPINION

Si Mehlis m’était conté

La « sinistrose » colle aux fesses des Libanais. Que la terre tremble à Tokyo, qu’un tsunami frappe l’Asie du Sud, que des attentats à répétition paralysent Londres, l’angoisse étreint aussitôt les cœurs : et si cela venait à se produire chez nous ? Trois décennies que cela dure. À l’assujettissement savamment entretenu par les Syriens succèdent aujourd’hui une complaisance masochiste dans la peur, une croyance aveugle, une soumission aux pires prophéties. L’Irak brûle, l’Iran « nucléarise », el-Qaëda hausse la barre de sa nuisance, à Beyrouth, les analystes « bien informés » voient alors arriver les guerres civiles, les conflits intercommunautaires, une nouvelle vague d’assassinats ciblés. Le bouquet ? La cerise sur le gâteau ? Le rapport de Detlev Mehlis, l’impact du rapport Mehlis, le danger du rapport Mehlis. Depuis deux semaines, c’est le matraquage systématique alimenté par des sources évidemment anonymes, des « révélations » fantaisistes distillées comme paroles d’évangile. Mais de qui se moque-t-on ? La ficelle est tellement grosse qu’elle n’a même pas nécessité une réaction de Mehlis. L’intention est claire : discréditer le « superflic » de l’ONU, jeter la suspicion sur l’enquête internationale. Les manipulateurs de l’ombre sont probablement ceux-là mêmes qui seraient pointés du doigt dans le rapport. « Révéler » la vérité ou la supposée vérité avant qu’elle ne soit dite, voilà le « trait de génie » de ces cerveaux malades. La Syrie va être mise en cause, les exécutants sont des membres du Hezbollah, la Mitsubishi piégée serait venue de la banlieue sud ou de Aïn el-Héloué. Voilà ce qui se dit et se répète tous les jours et la conclusion est la même : le pays va exploser. On ne saurait être plus clair, plus direct pour adresser une mise en garde. Mais l’évidence est là et toutes les manipulations ou intoxications du monde n’y feront rien. Retour au 14 février et au cataclysme du meurtre de Rafic Hariri. Dès le premier jour, et instinctivement, du fait de la conjoncture politique d’alors, les soupçons se sont portés sur les services syro- libanais et sur des complices, des exécutants engagés sur place. Tout au long des mois qui ont suivi, ces soupçons se sont renforcés avec la multiplication des attentats contre des personnalités hostiles à la mainmise syrienne. « Révéler » donc aujourd’hui que le rapport Mehlis pourrait incriminer la Syrie ou ses alliés locaux ne constitue nullement un « scoop ». Ce qui est nouveau, par contre, c’est l’avertissement sous-jacent, celui qui laisse entendre que les conclusions de l’enquête déstabiliseront la scène interne. Le comble, évidemment, serait que les conclusions de l’enquête aillent dans une tout autre direction que celle redoutée par les manipulateurs de l’ombre. L’histoire de l’arroseur arrosé trouverait alors toute sa signification. Mais cela reste tout à fait aléatoire. Comment expliquer, en effet, cette hargne, cette volonté plus que suspecte de mettre en avant les risques d’un rapport accablant pour la Syrie ? Sans le vouloir, les manipulateurs se placent ainsi en position de coupables présumés. L’enquêteur en chef de l’ONU garde entre-temps le silence et protège bien son secret ou son intime conviction. Son rapport, il le publiera quand il jugera opportun de le faire. Pas avant. Pour ce magistrat superflic, tout est question de flair, et tout le remue-ménage qui l’entoure le laisse imperturbable. Un sang-froid qui devrait déteindre sur les Libanais et les rassurer. En effet, en mettant les coupables à nu, le rapport Mehlis les désignera à l’opprobre mondial et éliminera automatiquement leur capacité de nuisance. Commanditaires ou exécutants, tous seront mis dans le même sac et il serait absurde de croire que du chapeau Mehlis ne sortiront que des boucs émissaires. Le Liban a affaire à une enquête internationale cautionnée par le Conseil de sécurité. Sa mission est précise et ne souffre d’aucune interprétation : faire toute la lumière sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre. Par sa mort, le 14 février, Rafic Hariri a donné naissance à la révolution du 14 mars. Par son rapport, Mehlis permettra à cette révolution de s’accomplir. Le 14 mars aura alors tenu toutes ses promesses. La vérité est salvatrice et les Libanais ont payé bien cher, au cours des trente dernières années, cette rédemption annoncée. Si Mehlis m’était conté, je n’attendrais pas demain, c’est aujourd’hui même que je vendrais la mèche. Nagib AOUN

La « sinistrose » colle aux fesses des Libanais. Que la terre tremble à Tokyo, qu’un tsunami frappe l’Asie du Sud, que des attentats à répétition paralysent Londres, l’angoisse étreint aussitôt les cœurs : et si cela venait à se produire chez nous ?
Trois décennies que cela dure. À l’assujettissement savamment entretenu par les Syriens succèdent aujourd’hui une...