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Actualités - ANALYSE

Eclairage - Émile Lahoud, Fouad Siniora, Michel Aoun, Hassan Nasrallah Quatre hommes et une déclaration d’intentions…

La déclaration ministérielle est effectivement un condensé de serments fondateurs grâce auxquels l’État libanais pourrait être éventuellement ressuscité, rebâti, réhabilité. Dans la durée. Il y a ceux qui l’ont pensée, créée, rédigée, choisi minutieusement l’emplacement de ses moindres virgules ; il y a ceux qui se sont contentés de l’approuver, il y a ceux qui l’ont encouragée, il y a ceux qui l’ont simplement lue, et il y a ceux qui l’ont critiquée sans même l’avoir parcourue. Dans tous les cas, ce texte qui les accompagnera pendant de longs mois et que le Parlement discutera puis agréera sans aucun doute à partir de demain, ce texte les oblige déjà. Tous : présidents, députés, ministres, fonctionnaires toutes catégories confondues, forces de l’ordre, bref, tous ceux qui assument, à un degré ou à un autre, un poste de responsabilité dans un landernau politique métastasé par trente ans d’une tutelle syrienne tout entière dévouée à une seule cause, cloner le Liban à l’image de la Syrie en souillant, pervertissant et corrompant heure par heure les mentalités. La déclaration ministérielle, indépendamment de ses deux ou trois grandes tares et de ses nombreuses promesses, porte en elle une ARM, une arme de reconstruction massive : le blanchissage des mentalités libanaises. Voilà, surtout, pourquoi elle devrait obliger ceux qui sont payés, bon gré, mal gré, par quatre millions de citoyens à qui l’on n’a pas toujours demandé leur avis, pour faire le Liban ; voilà pourquoi cette déclaration d’intentions devrait nécessairement s’immiscer dans leur quotidien professionnel. Quatre d’entre eux auront fort à faire avec cette déclaration ministérielle : Émile Lahoud, Fouad Siniora, Michel Aoun et Hassan Nasrallah. Est-ce bien nécessaire, une énième fois, de revenir sur la transfiguration au sens propre du terme de cet homme dont le deuxième mandat a été imposé aux Libanais par le truchement de leurs députés – un bon paquet d’entre ces derniers ayant d’ailleurs été noyé d’insensées menaces en tout genre ? Une fois son tuteur et protecteur parti, une fois que le temple de la fusion libano-syrienne dont il était le gardien-chef a commencé à se fissurer de partout, Émile Lahoud s’est brusquement souvenu qu’il était maronite. Pire encore : il s’est autoproclamé sauveur des maronites, et s’est accroché à son fauteuil comme d’autres à l’oxygène qu’ils respirent, aidé en cela par le patriarche Sfeir, par Michel Aoun et par Hassan Nasrallah. Le premier, auquel le pays sera éternellement redevable malgré quelques passagères frilosités, sans doute plus imputables à sa pourpre cardinalice qu’à une quelconque mathématique politique, n’a pas failli d’un iota à ses principes : adversaire de la première heure de l’amendement du 3 septembre 2004, il s’est avéré aussi farouchement opposé à une autre entorse à la Constitution, qui aurait guéri le mal par le mal. C’est son droit. La réaction du second est nettement plus incompréhensible. Le général, un des hommes les plus violemment antisyriens des années 90, n’est pas uniquement rentré d’exil pour présider un bloc parlementaire, s’habiller de polos orange, protéger et parrainer des ultrasymboles syriens ou faire de l’opposition un art de vivre. Évidemment. Michel Aoun est revenu au bercail pour assouvir le rêve, légitime au demeurant, de chaque Libanais maronite : être président de la République. Qu’est-ce qu’il attend à 70 ans ? Le feu vert de Washington et de Paris ? Un bristol filigrané que lui adresseraient toutes les parties politiques libanaises ? D’autant que s’il retrouvait le bureau qui était le sien à Baabda pendant deux ans, et quelles que soient ses capacités à assumer le job, les chrétiens du Liban, comme les sunnites et les chiites, ne pourront plus dire que la présidence qui leur revient n’est pas occupée par celui que la majorité de la communauté a adoubé. Quant à la réaction du Hezbollah, elle est tout à fait naturelle à l’aune de sa psychose mono-obsessionnelle qui a pour nom désarmement. Désormais réhabilité par une communauté internationale soucieuse d’éviter toutes nouvelles dissensions internes au Liban, Émile Lahoud a aujourd’hui pour lui ce divin cadeau qu’est la déclaration ministérielle du premier gouvernement d’après-tutelle. Qu’il s’emploie à la respecter et à en faciliter l’application, en apprenant à devenir le garant ultrascrupuleux d’une Constitution qu’il a giflée à maintes reprises, en réapprenant le b.a.-ba de son métier de président d’une république sclérosée, en désapprenant tous les tics, les réactions et les mécanismes décisionnels qui ont été les siens pendant les sept ans de son premier mandat, et cette déclaration deviendrait sa planche de salut, sa garantie de survivre politiquement pendant deux ans. C’est herculéen : chassé ostensiblement par des crises aiguës de maronitisme, aussi bourrées de repentir soient-elles, le naturel a toujours de grandes probabilités de revenir au triple crawl. Fouad Siniora a de la chance – sachant que le 14 février 2005 restera marqué dans ses rétines, sa mémoire et sa chair au fer rouge. Il a de la chance parce que, de simple et momentanée doublure, d’exécutant propre sur lui, payé pour sourire et sauver les apparences, de mercenaire politique exclusif de Koraytem, à l’intelligence consacrée par tous, il peut se transformer en un Premier ministre à part entière, de la trempe de ceux qui entrent dans l’histoire de leur pays autrement que par la petite porte ; un PM adulé. Tout cela grâce à quoi ? Grâce à la déclaration ministérielle. À condition bien entendu que Fouad Siniora lâche de temps en temps son nouveau hobby – jouer aux Kofi Annan méditerranéens ; à condition qu’il cesse de jouer, aussi, tantôt aux victimes expiatoires, tantôt aux Machiavel de deuxième catégorie ; à condition qu’il sache prendre des mesures difficiles, impopulaires ; à condition qu’il sache où, quand et comment rompre radicalement avec la politique du ni ni (ni désarmement du Hezb ni violation de la légalité internationale – par exemple…) ; à condition qu’il cesse de jeter des kilos de poudre aux yeux de ses concitoyens en essayant de les persuader que les vessies ammoniaquées qu’ils ont en face des yeux sont en réalité de salutaires lanternes, bref, à condition qu’il se décide à devenir un décideur. Et tant mieux pour lui s’il réussit à faire d’une pierre deux coups, en pygmalionnant tous azimuts un Saad Hariri atrocement parachuté dans l’arène. Michel Aoun est servi. Comme un roi. Lui qui a toujours su faire partager aux opinions de la planète, au Liban comme ailleurs, sa passion quasi charnelle pour le concept de l’opposition (à chacun sa danseuse…), il est désormais, grâce toujours à cette même déclaration ministérielle, gâté. Il aime les défis, et celui-ci est de taille. Si tout le monde joue sa partition avec honnêteté, ce sera de la démocratie pure. Le texte qu’il a critiqué il y a deux jours sans l’avoir même lu – « la déclaration semble avoir été établie pour résoudre les problèmes des personnes qui l’ont rédigée », a-t-il jugé bon d’asséner – a mis la barre haut. Le général trublion peut y trouver là le meilleur tremplin pour offrir ce qui a presque constamment et cruellement manqué au Liban lorsque les propositions avortaient ou échouaient : un badil, c’est-à-dire des solutions de rechange, loin du « je critique juste pour critiquer sans rien proposer ». Le meilleur tremplin également pour Baabda – si son opposition est saine et crédible –, lorsque sonnera l’heure de la retraite politique d’Émile Lahoud. Reste à voir comment se passera sa cohabitation avec Samir Geagea, une fois ce dernier revenu de son voyage. Et last but évidemment pas least : Hassan Nasrallah. Cet homme à l’intelligence féroce sait pertinemment, malgré ses étalages ponctuels de biceps, drones et autres grandiloquentes menaces, que les temps ont changé, que le désarmement est inéluctable, que le politique va bien finir par prendre le dessus sur le militaire – et l’occulter. Justement, la déclaration ministérielle, à la rédaction de laquelle a fortement contribué un Mohammed Fneich à la réputation flatteuse, ainsi que ses corollaires non dits lui apportent la clé sur un plateau de diamant. Le sayyed est futé, sa hantise de devenir anachronique pourrait d’ailleurs le sauver. Il n’a certainement pas oublié qu’il y a quelques mois il a claironné sur son Manar, très magnanime, son entière disposition à participer à un colloque libano-libanais consacré à l’avenir du Hezb. Et à sa nécessaire, son urgente Sinn Féinisation. L’initiative devrait venir de lui : non seulement réglerait-elle cette ancestrale schizophrénie diplomatique libanaise, mais elle contribuerait à quelque chose d’essentiel. Elle socialiserait Hassan Nasrallah, l’insérerait dans le tissu de ceux qui font le Liban. Pas qui le défont. Mine de rien, cette déclaration ministérielle pourrait un jour servir de base pour la rédaction d’une Constitution. Celle d’une urgente IIIe République. Ziyad MAKHOUL
La déclaration ministérielle est effectivement un condensé de serments fondateurs grâce auxquels l’État libanais pourrait être éventuellement ressuscité, rebâti, réhabilité. Dans la durée. Il y a ceux qui l’ont pensée, créée, rédigée, choisi minutieusement l’emplacement de ses moindres virgules ; il y a ceux qui se sont contentés de l’approuver, il y a ceux qui l’ont...